Le Président Abdelmadjid Tebboune s'exprimera lors de l'African Energy Week (AEW) 2025    La nécessité d'un démarrage effectif de toutes les unités industrielles récupérées soulignée    Missions refusées    « Une page d'histoire figée dans le temps »    Attaf prend part aux travaux de la session extraordinaire du Conseil de la Ligue des Etats arabes au niveau ministériel    Trump pousse Téhéran à se doter de l'arme nucléaire    Pour une évaluation des performances des arbitres en fin de saison    La sélection algérienne en stage de présélection    18 mois de prison ferme pour publication illicite de sujets du Bac à Ammi Moussa    Les raisons de la dépréciation du dinar sur le marché parallèle et l'impact sur le processus inflationniste    Réunion de coordination pour la mise en œuvre du décret portant transfert de l'OREF    Alger: coup d'envoi de la 6e édition de la grande campagne de nettoiement    Hand/Excellence dames: quatrième sacre consécutif pour le HBC El-Biar    Tennis/Circuit africain ITF/CAT : Alger accueillera deux étapes    BEM et Bac 2025: Le ministère de l'Education nationale exprime sa considération aux différents secteurs, instances et organes nationaux    Ghaza: Fattouh dénonce la transformation des points de distribution d'aide humanitaire en pièges à exécution    Campagne nationale de vaccination des enfants de moins de 6 ans dès dimanche prochain    Coupe du monde-2025: Kaylia Nemour en or aux barres asymétriques    La restructuration du CADC contribuera à la dynamique de l'industrie cinématographique    Finances : les réformes initiées ont atteint un stade avancé    Le président iranien appelle à l'arrêt inconditionnel de l'agression sioniste    ENTMV : 320 traversées programmées durant la saison estivale    El-Meniaâ : Divers projets pour améliorer le réseau électrique pendant la période estivale    Cour constitutionnelle: constatation de la vacance du poste de président, Mme Leïla Aslaoui assure l'intérim    Sortie de la 53e promotion de l'Ecole de Commandement et d'Etat-major de Tamenfoust    Oran: des recommandations pour la sauvegarde et la valorisation des archives manuscrites    Réunion de coordination entre le ministère de la Culture et la wilaya d'Alger pour la mise en œuvre du décret portant transfert de l'OREF    Boudjemaa salue les efforts de l'Etat en faveur de l'amélioration de la performance judiciaire et de l'instauration de l'Etat de droit    Le MCA a un point du titre, suspense pour le maintien    Vers l'intégration de 40 nouvelles spécialités dans le domaine numérique dès la rentrée prochaine    Rush sur le Parc de Mostaland    Donald Trump appelle à la reddition de Téhéran    Un lieu pour l'éveil des enfants à La Haye    « Abdelmadjid Tebboune n'a pas accordé d'entretien à des journaux français »    Déjouer toutes les machinations et conspirations contre l'Algérie    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Ici mieux que là-bas
Balade dans le mentir/vrai(13) Le jet-lag et le vieux général
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 05 - 2014


Par Arezki Metref
[email protected]
Au retour de la Havane en ce mois de juillet 1978, après une journée de vol et une escale à Madrid, je débarquai à Paris où je devais passer une ou deux nuits avant de regagner Alger. Je téléphonai de l'aéroport de Roissy à mon ami Patrick qui était en partance, le jour même, pour Juan Les Pins. Il me dit :
- Tu trouveras les clés sous le paillasson.
La nuit que je passai dans ce minuscule appartement du 5e arrondissement fut mémorable.
Mémorable d'abord à cause de cette insomnie de type nouveau, résultant du décalage horaire. Insomnie terminale qu'on appelait, dans le jargon des transhumants au long cours, le jet-lag. C'était la première fois qu'un voyage me faisait changer de fuseau horaire.
Bien que familier d'une forme disons conventionnelle de l'insomnie, celle de cette nuit-là ne manqua pas de me surprendre par sa soudaineté et sa survenue à un stade avancé de maturité.
Néophyte dans l'enjambement des méridiens, je ne connaissais pas du tout cette pénible sensation de porter encore, pendant des heures, la laborieuse scansion des mécanismes d'une horloge interne attardée aux antipodes. Au moment de cette expérience nouvelle, je ne savais, en guise d'insomnie, que cette lutte pas à pas, à laquelle mon corps servait d'arène, ce duel progressif entre le sommeil et la veille qui fait gagner alternativement, avant l'issue finale, des rounds à chacun des protagonistes. Je pratiquais une insomnie perlée, comme on le dirait d'une grève.
Je m'étais endormi vers 23 heures, assommé par le voyage et l'accumulation des fatigues du festival ainsi que par les cahots qui avaient usé la carlingue à sensations.
Puis, vers 4 heures du matin, je recouvrai brutalement la conscience de la veille. Le passage de l'état de sommeil caverneux – celui du premier homme que chacun de nous porte en lui comme un irrémédiable atavisme – à la veille s'opéra avec l'incision brutale d'un scalpel déchirant la nuit. C'était comme si une force céleste avait appuyé sur un interrupteur et qu'une insupportable lumière chassait toute fibre d'obscurité. Une ampoule de 10 000 watts s'alluma dans mon cerveau puis se mit à clignoter comme le signal que quelque chose allait changer de place dans mon ordre – ou mon désordre – intérieur.
J'avais déjà derrière moi une raisonnable carrière d'insomniaque, mais je me trouvais là confronté à une situation nouvelle.
Je repris conscience de la réalité, mais pas de toute la réalité car je ne savais plus où j'étais, en l'occurrence, dans une pièce où, dépourvue de volets, la fenêtre laissait filtrer une lueur bleu-vert comme les eaux d'un lagon au lever du jour. Je réalisai plus tard que cette couleur aquatique était en fait la fusion de la nuit finissant édulcorée par la tenture.
En vérité, initié malgré moi depuis mon adolescence à l'insomnie, j'avais déjà essayé de multiples remèdes, allant des recettes de grand-mère à la panacée médicamenteuse. J'avais ingurgité des hectolitres d'infusion à la camomille ou encore de breuvages à base de valériane et d'aubépine. Sans succès. J'avais testé toutes sortes de somnifères, avec ou sans ordonnance. Le remède fut parfois pire que le mal. J'avais forcé sur la dosette en consommant du lait chaud, dont les vertus d'endormissement étaient bien établies, jusqu'au jour où je me découvris une méchante intolérance au lactose.
Sur prescription médicale, j'avais usé aussi de potions éphémères et abrutissantes à base de céréales ou de fruits fermentés sous le soleil de Dieu.
Plus tard, et je ne l'aurais jamais découvert sans ce jet-lag inaugural, j'apprendrai qu'en un village caraïbe du nom de Macondo, une vieille femme, Ursula, tenant la recette de ses aïeux instruits des vertus des plantes médicinales, prépara un breuvage à base d'aconit qui fut impuissant à faire reculer l'épidémie de «peste de l'insomnie» qui frappait toute la population sans distinction d'âge, de sexe, de couleur de peau.
Il faut dire que, pour ma part, analphabète en ces choses-là, je soignais l'insomnie de façon empirique et du bout des lèvres, convaincu, en ces jeunes années, que c'était moins un handicap qu'une grâce qui m'octroyait le loisir de vivre doublement mon temps de vie. Je résolus vite d'en profiter comme d'un don du ciel pour lire et, pourquoi pas, écrire. Pendant des nuits et des nuits, j'entrevoyais le rapport fécond et tourmenté entre l'écriture, fragmentaire, hachée, et l'impuissance à dormir, ou plutôt la puissance à repousser le sommeil qui vous repousse, donc celui des écrivains à l'insomnie. Beaucoup d'entre eux, locataires malgré eux des bas-fonds de la nuit blanche, ont produit une œuvre façonnée par la main blafarde de la solitude. Dans sa consomption insomniaque, l'inspiration possède la vitesse et la périodicité de la comète de Halley : il faut savoir la voir, et la saisir.
Mais, plus poétiquement que tous les autres, c'est le chroniqueur de ce village de Macondo qui établit la concomitance pratique entre insomnie et écriture, la première générant l'oubli et la seconde permettant de rattraper le passé élimé par le néant en le retenant dans des mots.
J'attrapai l'interrupteur et illuminai les lieux. Dans cette pièce où le jet-lag me réveillait au jour naissant dans une teinte d'eau dormante, je trouvai enfin des repères. Tous les murs de l'appartement étaient tapissés de livres, quelque 3 000 volumes dans moins de 33 m2 habitables. De quoi faire ! Je parcourus les titres.
Plusieurs rayons supportaient une quantité inouïe d'ouvrages des éditions de la Pléiade, ces livres aux pages en papier bible si fin qu'un seul ouvrage contenait l'œuvre entière d'un écrivain prolifique comme Balzac.
Un autre pan de mur était dédié à la littérature d'anticipation du Club du livre, dont Patrick était friand.
Puis à l'extrémité d'un rayon, un livre attira mon attention. Il était édité chez Grasset. Pas bien épais, non ! La couverture comportait un dessin semi-abstrait, une chaîne d'amibes aux couleurs vives à la façon Peace and Love des années hippies. Le titre était L'automne du patriarche et l'auteur un certain Gabriel Garcia Marquez, dont je n'avais jamais entendu parler.
J'ouvris ce livre sans curiosité particulière et bien que me sachant réceptif à l'irradiation textuelle, je ne savais pas que ce roman aux phrases interminables et aux images décapantes allait changer ma façon de voir le monde, ou plutôt m'en procurer une car, comme disait Camus, à cet âge-là, c'est un pur mensonge que de prétendre en avoir une.
Cette nuit, ou ce fragment de nuit, fut mémorable aussi pour cela : je trouvais Gabriel Garcia Marquez par un texte délirant, drolatique, baroque. Une hallucinante peinture d'un vieux général qui avait entre 107 et 232 ans, malade du pouvoir, qui n'arrêtait pas de mourir et de ressusciter dans l'implacable sentiment de puissance maléfique et démesuré caractéristique des dictateurs du cru, à commencer par le premier d'entre eux, Trujillo, qui avait inspiré ce roman.
Je ne devais plus lâcher une ligne de Gabriel Garcia Marquez.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.