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La dernière métamorphose d'Apulée
Chercheur de racines
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 08 - 2014


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- En début d'après-midi, mon cousin Mabrouk t'emmènera visiter les ruines de Madaure, me dit Maâmar.
Il ajoute que Mabrouk a deux particularités, si on peut dire :
- Du temps où il était dans l'Algérois, en forçant le trait, on peut dire qu'il était le seul RCD du pays chaoui. Et puis c'est un passionné des origines.
A l'heure dite, Mabrouk arrive vêtu d'un pantalon court et d'une chemisette kaki. Avec sa rousseur tannée par le soleil gétule, il n'est pas sans rappeler la carnation d'un saint Augustin. Il sort de son sac toute une documentation sur M'daourouch (Madaure), sur Souk-Ahras (Taghaste) où il vit, ainsi que ses propres textes. Car Mabrouk taquine la plume comme la plupart des chercheurs de racines.
Après une carrière sans nul doute brillante, à en juger par sa rigueur, son intelligence et son esprit de méthode, dans une société nationale à Alger, il décide un jour de rentrer au bercail pour assouvir sa passion de la quête des origines. «Vivre tout près de ses ancêtres n'est qu'apothéose de l'âme, une fois le laps de temps consommé, et aussi lointain que remonte notre passé, à l'épopée de Gaïa, de Massinissa notre grand aguellid, on ne peut qu'être fier, très même, et en citer au podium – le mien –, Jugurtha, Ptolémée, Syphax et la belle Dihya, et tant d'autres à travers l'histoire, que nous gardions jalousement pour nous en ranimer aux temps de disette ou d'égarement identitaire.» Voilà ce qu'écrivait Mabrouk dans un texte intitulé Isoranes — les racines — en 2006.
Durant ces quelques heures pendant lesquelles il me guidera dans les ruines de Madaure, j'aurai tout loisir d'apprécier son immense culture historique, sa parfaite maîtrise du berbère, de l'arabe et du français, et surtout sa grande humilité.
Nous grimpons dans la voiture climatisée de Walid pour échapper à la langue de feu de l'air caniculaire. Le site de Madaure se trouve à 4-5 km à peine du village. Déjà dans la voiture, comme si la conscience de ne disposer que de peu de temps le poussait à la synthèse, Mabrouk entame l'histoire de Madaure par petites touches. Ce qui témoigne de ses scrupules pédagogiques à ne pas me bombarder de trop d'informations à la fois.
J'entreprends d'enregistrer ses propos qui m'intéressent au plus haut point, afin de n'en perdre aucune syllabe. Ainsi, me dis-je, si je dois m'arrêter là, mon but sera d'ores et déjà atteint. Rencontrer des personnages authentiques du cru, préservant et assumant l'histoire de Madaure dans sa continuité depuis l'aube numide, n'est-ce pas là le but de mon voyage ? Et voilà que ce sacré appareil made in China n'enregistre pas le moindre mot !
- C'est sûrement les piles, conclut Walid qui stoppe le véhicule devant un kiosque.
Je les remplace par celles qu'il vient d'acheter et prie Mabrouk de répéter ce que l'appareil n'a pas enregistré. Nouvel échec. Indulgent, Walid suggère que les piles du kiosque, tout aussi made in China, sont périmées. Je m'apercevrai plus tard que c'était mon incapacité à me servir de l'enregistreur qui en était la cause.
Nous nous garons dans un parking face à l'entrée du site, clos depuis quelques années. Une source d'eau minérale coule à ciel ouvert. Des voitures s'y arrêtent et des conducteurs en descendent pour remplir des jerrycans de cette eau réputée pour son abondance et sa pureté. Nous sommes samedi et, bien entendu, les trois seuls visiteurs.
Mabrouk me raconte toutes les batailles menées notamment au sein de l'association Les Amis de Madaure, pour que le site ne reste pas à l'abandon. L'adversaire dans cette bataille, c'est la bêtise et la suffisance arabo-islamique à nier tout passé qui lui soit antérieur, ou le cas échéant à le dégrader. J'avais entendu parler de ces anciens qui s'étaient vantés lors d'une cérémonie officielle sur le site, en présence des autorités locales et nationales, d'avoir essayé d'abattre des colonnes d'une demeure de la Madaure romaine, une façon d'éradiquer l'héritage antéislamique. Les colonnes portent encore les blessures des méfaits de leur ignorance. Heureusement, la pierre a résisté avec cette vigueur de l'évidence en vertu de laquelle on ne peut détruire son passé quel qu'il soit.
Autre cas rapporté par Maâmar. Il avait lui-même proposé que l'un des lycées de M'daourouch soit baptisé du nom du natif du lieu, à savoir Apulée. Réponse de la bêtise :
- Non, c'était un mécréant !
On peut penser que s'ils n'ont pas changé le nom du lycée Saint-Augustin de Annaba, ce ne peut être que par crainte d'un scandale international.
Mabrouk lui, au contraire, revendique le passé de Madaure depuis sa naissance berbère. Il attribue le nom de Madaure –M'daourouch – au toponyme berbère tamadit, autrement dit, les deux rivières. Compte tenu de la prospérité agricole de la région, avec la présence abondante d'eau souterraine, il n'est pas impossible que cette explication soit fondée.
On sait, en revanche, avec une quasi-certitude que, ville numide, Madaure est mentionnée depuis le IIIe siècle avant J.-C. Elle appartenait au royaume de Syphax avant d'être conquise par Massinissa.
C'est un architecte, CH. A. Joly, qui le premier entreprend les fouilles au début du XXe siècle. Cela donnera de la matière à l'incontournable Stéphane Gsell pour une publication sur Madaure à triple détente, successivement en 1914, 1918, 1922. C'est de cette publication que vient l'essentiel de ce que l'on sait sur Madaure – ainsi que des écrits d'historiens latins. On croit savoir que la population de la ville atteignait le nombre de 10 à 12 000 habitants. Le théâtre, conservé presque intact, le plus petit théâtre romain du monde, contenait 1 200 places, soit 10% de la population.
On découvre que la cité était une ville de riches possédants, compte tenu de la fertilité du sol et des nombreux moulins à blé et pressoirs à huile dont les vestiges sont encore visibles aujourd'hui. Mais la cité était surtout connue pour être, après Carthage, le deuxième centre universitaire le plus important d'Afrique. L'université y brillait en particulier par ses cours de philosophie et de rhétorique considérés comme les plus réputés de l'Empire romain.
Ce n'est pas un hasard si Madaure a donné un Apulée et un grand grammairien comme Maxime, un païen, ami de saint Augustin. Maxime naquit, étudia avec ce dernier qui avait 15 ans à cette époque, puis professa à Madaure même. Pas inintéressant de noter l'esprit de tolérance religieuse qui régnait alors à l'université de Madaure. Maxime, fermement acquis au paganisme, manichéiste, croyant en la religion de Numa, et Augustin, évêque d'Hippone et figure universelle de l'Eglise, malgré leurs chemins divergents, continuaient à échanger comme du temps de leur jeunesse estudiantine, des arguments pour et contre le christianisme notamment.
Poursuivant notre balade sur le forum, Mabrouk m'interpelle :
- Tu imagines, ici presque rien n'a changé depuis le temps où Maxime et Augustin se promenaient en philosophant !
Il ajoute :
- D'ailleurs dans la correspondance d'Augustin, il y a des lettres adressées à Maxime qui rappellent ces promenades de jeunesse.
- Et Apulée alors ? lui demandai-je.
En allant à la recherche de Madaure, j'avais inconsciemment évacué tous les autres pour ne m'intéresser qu'à Apulée. Peut-être à cause de L'Ane d'or, cette œuvre littéraire qui compte parmi les 4 ou 5 romans les plus importants de l'histoire de l'humanité, avais-je étroitement réduit Madaure et sa longue histoire à Apulée.
Je ne dois pas être le seul puisqu'à la conquête française de M'daourouch, l'administration coloniale avait donné au village conquis par la force, non pas le nom d'un général, comme le voulait l'usage, mais celui d'un philosophe. Comment ne pas voir en Montesquieu un hommage à Apulée ?
Tandis que l'on pénètre à l'intérieur de la forteresse byzantine, — construite comme ouvrage militaire vers le VIe siècle avec les pierres de la ville romaine bâtie en 75 après J.-C. — Mabrouk me désigne des terres et des constructions sur les deux tiers du site n'ayant pas fait l'objet de fouilles. Sans réaliser, sans doute, le télescopage de l'Histoire que tous ces épisodes provoquent, il me dit :
- Là, c'est la propriété de la tribu Belhouchet, celle du colonel bien connu de l'époque Boumediene.
Dans ces ruines géométriques et dans celles qui n'ont pas encore été mises à jour, je tente d'imaginer où avait bien pu habiter Apulée, où il avait pu jouer enfant. Impossible à savoir, évidemment ! On peut supposer un garçon bien né, fils aisé du Duumvir de la ville, qui a eu tout loisir de s'adonner à l'étude. L'instruction pour laquelle il a montré dès son enfance une ardeur goulue, il l'a acquise non seulement par sa propre volonté, mais aussi grâce à la fortune de son père. Dans son Apologie, qui comporte de précieuses informations autobiographiques, il avoue s'être «adonné, dès mon plus jeune âge, et de toutes mes forces à la seule étude des lettres, dédaignant tout autre plaisir». Il a cherché à acquérir la rhétorique «plus qu'aucun homme peut-être, au prix d'un travail acharné de nuit comme de jour, aux dépens de ma santé».
Je fais candidement part à Mabrouk de l'étonnement qui me saisit chaque fois que je visite un site qui renvoie à nos lointaines origines. Qu'est-ce qui fait que cet héritage nous semble étranger, à nous population autochtone – presque frappé d'extraterritorialité. Ce n'est pas parce qu'il écrivait en latin qu'Apulée était romain. Et ce n'est pas parce qu'il est un père de l'Eglise que saint Augustin a cessé d'être un enfant de Taghaste.
Mabrouk acquiesce et déplore lui aussi les mutilations de nos arbres généalogiques. Lui, en tout cas, fait partie des gardiens du nom propre qui tiennent à se construire comme individu et comme nation, avec l'apport de toutes les strates qui nous constituent.
Je me suis mis à imaginer ces ruines envahies de visiteurs qui, j'en suis certain, ne demanderaient qu'à s'y rendre. Mais pour cela, il faudrait réunir les conditions matérielles idoines, et surtout les conditions culturelles à même de faire accepter, et surtout de se prévaloir de cette richesse. Voyez Carthage...
Tiens, puisqu'on y est, il faut se souvenir que Bourguiba s'était approprié saint Augustin face à nos responsables politiques incapables de le revendiquer, tant ils étaient rigidifiés dans leur vulgate nationaliste arabo-islamiste — exception faite, peut-être de Bouteflika, à qui il faut bien reconnaître ça. Saint Augustin, berbère et chrétien, tu penses !
Au lieu d'un groupe de touristes que le soleil perpendiculaire me fait entrevoir sous forme de mirage, j'aperçois un couple égaré dans le paysage ordonné des ruines. Lui, la trentaine, en survêt, cheveux en brosse. Elle, élancée, le port seigneurial, les yeux dardant un mélange de douceur aurasienne et de détermination chaouia, vêtue d'un hidjab aux couleurs vives. Sans ce voile qui occulte sa chevelure, sûre qu'elle me ferait penser à mon amie Kahina...
Dans la voiture du retour, c'est à mon tour de parler. Je demande à Mabrouk comment il définit notre identité. Il me répond :
- Quoi qu'il en soit, à la base nous sommes des Amazighs.
A. M.
Demain : Les héritages du langage


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