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L'Algérie en crise, une société entre lame et lamelle
Aventure ambiguë et enjeux culturels
Publié dans Le Soir d'Algérie le 07 - 10 - 2014

Le début du XXe siècle constitue un moment essentiel dans l'éveil nationaliste et l'adoption de nouvelles formes de représentation. Le colonisé prend conscience de la nécessité de se nourrir de la culture du colonisateur considérée comme un élément fondamental de la «modernité». L'appropriation de ces structures européennes obéissait à la nécessité de «posséder» une culture utilitaire, nourricière. Jamais les Algériens n'eurent autant de mal à choisir une culture qui ne leur appartenait pas. L'autochtone avait déjà sa propre culture, ses propres écoles. L'Européen venait bouleverser son état mental et sa vie sociale. Il était colonisé, rejeté, mais paradoxalement fascinant. Avant la colonisation, contrairement à certaines idées idéologiquement préconçues, la société algérienne n'était pas du tout parfaite. Elle était marquée par de multiples carences. Mostefa Lacheraf en parle ainsi : «Cette société paysanne, par la force des choses, l'inertie du conservatisme et le déclin des valeurs culturelles par rapport à l'ère classique de la civilisation arabe, de la spiritualité arabe et de l'ancienne prospérité du Maghreb, avait tout naturellement secrété des institutions plus ou moins carencées, des normes de vie, des concepts et idéaux se caractérisant en majeure partie par les traits d'une société féodale et d'une éthique soufie à la limite de l'orthodoxie.»
L'Algérie, vivant mal, comme d'ailleurs les autres pays arabes, la présence ottomane ou turque, était trop peu préparée à résister à la colonisation française. Les autochtones, durant la période dite ottomane, vivaient terriblement mal. La question ottomane reste trop peu examinée par les historiens algériens alors qu'elle nous paraît importante. Seuls les historiens français ont étudié cette période cruciale de notre histoire, en prenant souvent comme point de départ la légitimation de la présence coloniale française. Avons-nous affaire à une sorte de conquête coloniale ? Le pays était économiquement sous-développé. Les Turcs dirigeaient un pays qui ne leur appartenait pas, tout en engrangeant profits et bénéfices, aux dépens de la population indigène qui va continuer à vivre sous l'occupation française misère et pauvreté. Sur le plan culturel, l'Algérie connaissait une sérieuse régression, comparativement à l'âge d'or allant du Xe au XVe siècle. Les Français, usant principalement de violence et de répression, ont trouvé un terrain favorable à la conquête de ce pays. Certes, les Algériens résistèrent au départ à toutes les entreprises d'«acculturation», d'ailleurs trop peu opératoires, mais finirent par adopter, beaucoup plus par nécessité, certaines formes de représentation européennes. Le choix, imposé ou parfois consenti, d'adopter certaines formes affecta tous les courants culturels et politiques. La résistance des premières décennies disparut pour laisser place à une adoption ambiguë et problématique de la culture de l'Autre. On n'emprunta pas systématiquement les instruments culturels du colonisateur. Le regard éclectique et étranger porté sur le corps du colonisateur correspondait à la montée du nationalisme. Les espaces culturels autochtones étaient en quelque sorte otages du nationalisme «dont la pensée embryonnaire et passionnée va la marquer dans le secteur par excellence de la marche en avant, de la lutte de plus en plus collective et par conséquent progressiste».
Une culture embryonnaire marquée par les soubresauts politiques de l'époque et les emprunts de traits évidents d'une autre société, industrialisée et «moderne», soutenue par «un effort de survie biologique», commençait à voir le jour à partir des premières années du XXe siècle, au fur et à mesure que s'épuisaient et devenaient caducs des pans entiers du patrimoine culturel jalousement préservé, mais contenant sa propre sclérose.
La nécessité d'adopter certains phénomènes européens répondait au désir de survivre et d'assimiler la culture technicienne et industrielle considérée comme un paramètre fondamental du progrès. L'école, en principe obligatoire depuis 1883, permit, même si elle était très sélective et idéologiquement trop orientée, la formation d'une élite algérienne qui élabora ses premiers textes et travaux juste après la Première Guerre mondiale.
La période de l'entre-guerre vit la naissance d'un discours culturel de résistance qui cherchait à mettre en œuvre des attitudes anticoloniales en partant d'une logique inverse, soutenue par un repli identitaire et idéologique. Ainsi, on reprenait le schéma colonial à l'envers, évitant de l'interroger sérieusement et de le combattre tout en produisant des modèles discursifs plus ou moins autonomes.
Cette attitude travaillée par le phénomène attraction-répulsion est présente dans la déclaration du 1er Novembre 1954 qui ne fait nullement mention de la possible construction d'un Etat ni de pratiques réellement révolutionnaires. Même dans la production des lettrés algériens qui ont fréquenté l'école française, les valeurs françaises semblent traverser leurs textes. Ainsi, la référence explicite aux valeurs de la France (Les Lumières, Révolution de 1789...) marque le discours des écrivains et des instituteurs qui considèrent que la colonisation ne serait qu'une trahison de ces préceptes contenus dans la Déclaration des droits de l'homme.
Souvent, on se réapproprie les valeurs françaises qu'on réutilise pour dénoncer le colonialisme. L'appareil est le vecteur essentiel de la reproduction des savoirs «occidentaux», contribuant à la marginalisation des éléments culturels autochtones, péjorés et condamnés à une certaine ghettoïsation forcée. La colonisation allait mettre un terme, usant de répression et de force, à toute possibilité d'expression autochtone autonome.
Selon une phrase souvent citée d'un certain professeur nommé Emérite, la proportion des illettrés en Algérie de 1830 était relativement moins forte qu'en France à la même période. Marcel Egretaut qui cite M.Rozet (Voyage dans la Régence d'Alger, 1883) estimait qu'il y avait cent écoles publiques et particulières dans Alger à l'arrivée des Français. Avant la conquête française, des milliers de madrasas existaient un peu partout dans le pays. On y enseignait le Coran et la grammaire arabe. Les enseignants se formaient dans les zaouïas. Dénuée parfois de valeur «scientifique», l'instruction avait néanmoins une efficacité. C'était surtout pour cette raison que le décret du 14 juillet 1850 portant création des écoles arabes-françaises fut signé.
Trois établissements supérieurs étaient créés à Tlemcen, Constantine et Médéa. Dans une lettre du ministre de la Guerre au préfet d'Alger datée du 30 novembre 1850, il écrivait ceci : «le décret a en vue la population arabe proprement dite, et non pas seulement la population indigène de certaines villes comme Alger, dont l'importance politique est nulle. Il lui a donc fallu placer les écoles supérieures à la portée de la population à laquelle elles sont spécialement destinées, et dans ce but, le choix est tombé sur Médéa
Au début, très peu d'Algériens acceptaient de fréquenter ces écoles. L'enseignement était strictement traditionnel. L'objectif des autorités coloniales était clair : former des magistrats et des administrateurs arabes loyaux à la France. Les autorités avaient compris la finalité de cette instruction et considéraient toute compromission avec la science des « infidèles» comme une grave trahison, ce qui avait permis au gouvernement français de recourir à un enseignement parallèle apte à briser les résistances des indigènes.
Le «refus scolaire» dont parle Yvonne Turin dans sa pertinente étude était devenu conscient en 1880, soutenu par un discours politico-religieux : «Toutes les solutions imaginées ou expérimentées par les promoteurs d'une action au double visage, généreux mais en même temps politique, et calculée ont échoué. Après l'échec de la restauration des écoles arabes, la création d'un enseignement mixte s'est révélée aussi illusoire. L'assimilation était une aventure ambiguë : on proposait pour les uns la «ressemblance aux dominateurs» et pour les autres «l'asservissement».
D'où le refus d'assumer une hérésie. Le décret de février 1883 relatif à l'institution de l'école publique obligatoire allait permettre à des fils de notables de suivre un enseignement gratuit. «D'ailleurs, explique Mostefa Lacheraf, certains cadres supérieurs de l'enseignement primaire s'employaient, tout en rassurant les colons, à orienter cet enseignement primaire dans la voie du conformisme et du simple prestige. (...). En dépit du décret qui avait été pris le 13 février 1883 et compte tenu des quelques établissements payants qui existaient auparavant, on arrivera péniblement en 1887 au chiffre de 79 écoles publiques françaises pour les Algériens avec 80 963 élèves sur 500 000 enfants d'âge scolaire.»
Malgré la promulgation de la loi Jules- Ferry, le nombre d'enfants scolarisés reste dérisoire. Le tableau suivant que nous avons emprunté au sociologue Aïssa Kadri révèle la réalité de la scolarisation durant la période coloniale qui s'est caractérisée par une grande méfiance à l'égard des autochtones condamnés à bouder l'école. Certes, la situation était paradoxale : les autorités coloniales voulaient attirer un certain nombre d'enfants, recrutés notamment dans l'univers des notabilités, qui auraient pour mission de véhiculer et reproduire le discours colonial tout en évitant d'intégrer le grand nombre. Ce qui pouvait poser de sérieux problèmes à la colonisation qui appréhendait l'émergence d'une sensibilité et d'une conscience nationale.
En 1954, à la veille du déclenchement de la guerre de libération, le nombre d'élèves scolarisés était estimé à un peu plus de 293 000 sur une population en âge scolaire avoisinant les 2 millions de personnes, alors que le nombre d'étudiants musulmans fréquentant l'université d'Alger, ouverte en 1909, représentait une infime proportion : un musulman sur plus de 15 000 était étudiant, alors qu'un Européen sur 227 l'était à cette époque (Aïssa Kadri).
Ismaël Urbain, conseiller très proche et très estimé de Napoléon III, ne réussit pas à changer les choses. Il est vrai que quelques écoles furent construites dans quelques villes. Le discours des initiateurs de l'école coloniale était clair : former des serviteurs dociles pour l'administration. On y formait des fonctionnaires subalternes, des infirmiers, etc. A. Rambaud écrivait en 1897 dans le Bulletin de l'Enseignement des Indigènes : «La première conquête de l'Algérie a été accomplie par les armes et s'est terminée en 1871 par le désarmement de la Kabylie. La seconde conquête a consisté à faire accepter par les indigènes notre administration et notre justice. La troisième conquête se fera par l'école.»
L'appareil idéologique scolaire était conçu comme un instrument d'assimilation, un outil au service du système colonial. Les programmes d'enseignement s'articulaient autour d'un discours qui privilégiait la soumission, le fatalisme et la «supériorité» de la culture française.
L'école était considérée comme l'appareil idéologique le plus important permettant la transmission du discours colonial. Mais l'extrême complexité de l'appareil idéologique scolaire, trop sujet à de multiples contradictions, rendait les désirs des concepteurs peu opératoires. Ainsi, le discours scolaire pourrait être contourné pour servir à d'autres desseins, comme ce fut le cas de l'action de l'ENA et de nombreux écrivains de langue française.
D'ailleurs, les premiers nationalistes avaient fréquenté l'école française. Les appareils idéologiques ne peuvent, en aucun cas, fonctionner comme des mécaniques, des espaces monolithiques, mais sont marqués par les bruits, les rumeurs et les mouvements de la société.
Si, au début, les autochtones résistèrent activement à l'enseignement de la langue française, quelque temps après, ils l'adoptèrent sans grande hésitation. L'acceptation de la langue française par nécessité, pour reprendre Mostefa Lacheraf, s'accompagna de l'assimilation d'autres disciplines.
La crainte de la «désislamisation» suscita de nombreuses résistances, parfois très fermes. C'est pourquoi les réformistes musulmans (Oulama) ouvrirent plusieurs madrasas. Le mouvement dirigé par Abdelhamid Ben Badis encouragea l'enseignement de l'arabe. Vers les années 1920-1930, les Oulama touchèrent plusieurs centaines de personnes, cherchant à affirmer l'existence d'un «passé glorieux». Frantz Fanon explique ce fait ainsi : «La passion mise par les auteurs arabes contemporains à rappeler à leurs peuples les grandes pages de l'histoire arabe est une réponse aux mensonges de l'occupant.» Malgré la fermeture de nombreuses madrasas et zaouïas, la langue arabe ne disparut pas pour autant, elle était vécue comme une histoire à assumer. Mostefa Lacheraf écrit ceci : «Et pourtant l'arabe bien que déclassé, avait continué à être enseigné en veilleuse dans les écoles rudimentaires de village ou dans quelques zaouïas décadentes. Son extension pédagogique avait été considérablement réduite, peut-être de moitié, peut-être davantage, mais disons-le tout net : le niveau restait à peu près fidèle à lui-même. Ce qui pouvait le dévaloriser désormais, c'était plus la relation entre les faits de part et d'autre, leur logique nouvelle que sa baisse de qualité.»
Le niveau de l'enseignement de l'arabe demeurait parfois superficiel. Les enseignants s'illustraient surtout par leur absence d'ouverture aux nouvelles réalités du monde «moderne» et du progrès.
Le moralisme étroit de beaucoup de Oulama, notamment après le décès de Abdelhamid Ben Badis, ne tolérait aucune évolution ni changement. Ce qui fit parfois de la langue arabe un outil utile pour les bavardages d'enseignants confondant le plus souvent langue et religion. Cet amalgame existe toujours. C'est une sorte d'hypothèque originelle. Quand on parlait de la langue arabe, on disait que c'était «la langue de Dieu ou du ciel» alors que le français était considéré comme «la langue du pain». C'est surtout à partir de cette réalité que les Algériens commencèrent à fréquenter l'école française. C'est vers les années vingt que les instituteurs algériens furent nommés dans les écoles. Ils reproduisaient le savoir qu'ils avaient acquis au cours de leurs études. Souvent issus de milieux populaires, formés à l'école normale par les intellectuels de la troisième République, ils croyaient énormément en la Révolution française et aux principes de 1789. Leur journal La voix des humbles défendait et diffusait leurs idées. Mal à l'aise, vivant dans une situation ambiguë, marginalisés, ils n'arrivaient pas à développer un discours cohérent. Pour la revue Ettaqadoum du 15 juin 1923, de tendance nationaliste, «ils recherchent le lien de la masse en dehors d'elle et souvent contre elle, ils font la conquête morale des gens des douars où ils exercent et travaillent modestement à l'expansion française». La même idée est exprimée par Ferhat Abbas, de formation française : «L'Algérie croit en la France, du moins en une certaine France, celle des philosophes du XVIIIe siècle, celle des principes de 1789, celle des Français qui ont été du côté des indigènes et que les intellectuels ne songent nullement à poignarder.»
Ce discours cherchait à faire ainsi la distinction entre les valeurs des «philosophes des Lumières» et les autorités coloniales. C'est un discours ambivalent, ambigu, qui semble trop éloigné des idées défendues par les militants et les responsables de l'Etoile nord-africaine qui ne se faisaient aucune illusion sur la France coloniale. Même si les idéaux français sont absents du discours nationaliste du PPA, par exemple, les militants et les cadres de ce parti usent souvent d'un langage puisé dans les arcanes idiomatiques et politiques de la France. L'école, paradoxalement à la fois lieu d'attraction et de répulsion, joue un rôle important dans l'émergence des nouvelles formes européennes et l'éveil nationaliste.
A côté de l'école et des instituteurs, les historiens ont vite adopté les instruments d'écriture européens tout en tentant de mettre en œuvre un discours différent, subvertissant ainsi les lieux essentiels de la formation scolaire. Mais les pièges ne sont nullement absents dans cette pratique nouvelle visant à contourner le discours colonial tout en empruntant ses espaces méthodologiques et ses instruments idéologiques. Les deux premières décennies du XXe siècle ont constitué sans aucun doute les premiers moments, certes très agités, du mouvement nationaliste algérien.
Plusieurs écrits virent le jour. Les historiens publièrent ainsi leurs travaux. Les politiciens entamèrent la diffusion de leurs idées. Moubarak El-Mili, Tewfik El-Madani et Saïd Boulifa proposèrent une autre lecture de l'Histoire de l'Algérie. Dans son ouvrage, Histoire de l'Algérie dans le passé et le présent, El-Mili écrit : «L'Histoire est le miroir du passé et l'échelle (grâce à laquelle on s'élève) du présent. Elle est la preuve de l'existence des peuples, le livre où s'inscrit leur puissance, le lieu de résurrection de leur conscience, la voix de leur union, le tremplin de leur progrès. Lorsque les membres d'une nation étudient leur Histoire, lorsque les jeunes prennent connaissance de ses cycles, ils connaissent leurs réalités et alors les nationalistes vivants et insatiables du voisinage n'absorbent pas leur propre nationalité. Ils comprennent la gloire de leur passé et la noblesse de leurs ancêtres et n'acceptent ni les dénigrements des dépréciateurs, ni les atteintes des falsificateurs, ni les médisances des gens de parti pris.» Ce nouveau regard porté sur l'Histoire de l'Algérie fut l'expression des revendications nationalistes. On comprit la nécessité d'affirmer l'existence de la nation algérienne. L'Histoire fonctionnait comme un révélateur du discours nationaliste, participant de la prise de conscience nationale et portant la contradiction au discours colonial. L'intelligentsia nationaliste de l'époque, en rupture avec les assimilationnistes, tentait par tous les moyens d'imposer un discours parallèle à l'école coloniale.
Le sentiment nationaliste guidait toute approche historique. Aux relents intégrationnistes et assimilationnistes des élus musulmans et d'autres intellectuels s'opposaient la quête et l'affirmation de l'identité prônée par les Oulama, et l'ardent désir d'indépendance des militants du PPA. Ahmed Tewfik El-Madani fit publier en 1932 une Histoire de l'Algérie, très fouillée et très documentée remettant en question certaines thèses développées par des historiens français : «Ceux qui, par courte vue, manque d'étude et de connaissance du milieu algérien, pensent qu'il est possible avec le temps de faire de ce peuple musulman foncièrement nationaliste un peuple français dans ses coutumes, ses mœurs, son organisation, sa langue, ceux-là sont des gens qui se bercent de l'illusion de voir midi à quatorze heures.» Le discours d'historiens comme Moubarak El-Mili et Ahmed Tewfik El-Madani marqua une étape importante dans l'historiographie algérienne et permit de ridiculiser les élus indécis, ballottés entre leur refus de la situation coloniale et la crainte de déplaire aux autorités, réalité qui les obligea à porter un masque et à dissimuler leur impulsion de «refus» par des déclarations louant la France et les actions menées en Algérie. L'Histoire dit l'impossible rencontre avec la colonisation et contribue à la mise à nu de la propagande dominante de l'époque tout en gommant la néfaste domination turque. Les militaires algériens écrivirent des textes contestant la colonisation française. Le lieutenant Hadj Abdellah (Boukabouya) publia deux récits qui provoquèrent un grand scandale à l'époque. L'Islam dans l'armée française (Constantine, 1915) et Les Musulmans au service de la France (Lausanne, 1917) furent considérés comme éminemment positifs par l'intelligentsia. D'autres essais politico-sociaux tentèrent d'expliquer le phénomène algérien. Ils accompagnaient ainsi la naissance du mouvement nationaliste. Jean Déjeux écrit ceci à ce propos : «Ces écrivains entendaient donner leurs points de vue sur ‘‘la question des indigènes'', ‘‘le problème algérien'' ou ‘‘le malaise algérien''.»
Un intellectuel de Nedroma, M'hamed Ben Rahal, refuse la francisation, dénonce certains «présents de la civilisation» et opte pour une « résistance-dialogue», selon l'expression d'un sociologue algérien, Abdelkader Djeghloul : «Il écrivit des textes mettant en valeur une forme de revendication anticoloniale nouvelle, paradoxale : il affirma l'identité algérienne, mais ne refusa pas totalement la présence coloniale, il souligna dans ses articles la nécessité de défendre la culture arabo-islamique : «Certes, nous ne devons pas accepter les yeux fermés ce que nous offre la civilisation, beaucoup de ses présents — trop peu enviables — peuvent être laissés pour compte. Mais un grand nombre pourrait lui être emprunté sans danger et pour notre grand profit. Tout le domaine des sciences exactes, une bonne partie de l'organisation intérieure et politique, le système des travaux publics et de l'enseignement, tout ce qui concerne le commerce, l'agriculture et l'industrie, nous pouvons l'adopter sans grandes modifications.» (1) De grands écrits historiques furent republiés. Nous pouvons citer à titre d'exemple le dictionnaire biographique, Ta'if birijal al salaf. Cette grande renaissance de la parole algérienne accompagna le développement du mouvement nationaliste et mit en avant l'idée nationale.
A. C.
1 Cité par Abdelkader Djeghloul, in Eléments d'histoire culturelle algérienne ENAL, 1984,P.57


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