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L'Algérie en crise, une société entre lame et lamelle
Les tragiques journées d'octobre 1988
Publié dans Le Soir d'Algérie le 11 - 10 - 2014

Octobre 1988 reste encore une énigme. Chacun essaie d'expliquer les causes de ce séisme qui a failli emporter l'Algérie, mais qui a laissé d'indélébiles traces dans le paysage politique et l'imaginaire populaire. Pour le moment, chacun interprète les faits et propose son analyse en fonction de sa position politique. Etait-ce un mouvement spontané ou une manifestation calculée et provoquée ? Les manifestations étaient circonscrites aux grandes villes, vite réprimées par l'armée appelée à faire un travail de police qui n'était pas le sien, égratignant quelque peu son crédit. La presse publique, notamment Algérie-Actualité dirigé par Kamel Belkacem, se mettait à dénoncer les enlèvements et des cas de tortures.
Certains responsables du pouvoir de l'époque avaient estimé dans des déclarations faites à la presse que tout le mouvement, même si des situations inattendues et imprévues en avaient caractérisé le cheminement, avait été conçu par des personnalités influentes du régime qui voulaient précipiter la chute du clan opposé à leurs intérêts et à leurs projets. Mais le discrédit du pouvoir en place avait favorisé les débordements et les manifestations de rejet. Les signes du désenchantement étaient latents dans une société qui avait commencé à croire que l'indépendance avait été confisquée par un groupe restreint composant le bloc dirigeant. La production littéraire et artistique avait accompagné ce sentiment de désillusion.
Le thème du désenchantement allait dominer la production romanesque : textes de Bourboune, Ouettar, Boumahdi, Mimouni, Dib, Kateb Yacine, Alloula, Djaout... Juste avant cette date fatidique, les luttes de clans au sein du pouvoir avaient atteint leur paroxysme et marquaient une marge de rupture. La situation sociale et économique de l'Algérie, surtout après la grave dégringolade du prix du pétrole et la dévaluation du dollar, était catastrophique. Le prix du baril de pétrole chutait dangereusement, passant de 40 en 1979 à 11 dollars en 1986, provoquant un véritable séisme dans un pays qui comptait essentiellement sur la manne des hydrocarbures. Cette situation engendrait un manque à gagner de plus de 40%, soit l'équivalent de 5 milliards de dollars. La facture des importations ne faisait que croître alors que les investissements productifs se réduisaient à une peau de chagrin. Le service de la dette dépassait largement les 8 milliards de dollars (2/3 des recettes pétrolières). L'inflation était galopante (elle avoisinait les 15% en 1988), la corruption devenait inquiétante. Le pouvoir d'achat des ménages connaissait une véritable dégringolade et le chômage frappait des pans entiers d'une jeunesse désormais désœuvrée alors que la contestation et les signes de désenchantement croissaient dans une société dont l'économie fut, à maintes reprises, déstructurée (dépeçage des grandes entreprises et projets de privatisations).
Les marges de liberté étaient extrêmement étroites : article 120 excluant tous ceux qui n'étaient pas militants du parti unique, rejet de toute possibilité d'expression, presse en grande partie muselée, même si certaines signatures se caractérisaient par leur courage dans un champ fermé. L'ouverture relative du mouvement associatif (loi 85-15 du 21 juillet 1987), à partir de 1987, était considérée par le pouvoir en place comme une sorte de soupape de sécurité pouvant canaliser un mouvement de contestation et de revendications démocratiques enclenché essentiellement durant les années 1980. Une première ligue des droits de l'homme non agréée par les autorités est née avant la ligue de 1987 apparue après l'adoption du texte législatif relatif au mouvement associatif. Même le président Chadli Bendjedid avait appelé les Algériens à faire grève dans un discours désormais célèbre prononcé le 19 septembre 1987. Ce qui est une «première» mondiale. Mais derrière cet appel du président de l'époque, se profilait une certaine impuissance. On savait que les choses n'allaient pas bien entre la Présidence où étaient installés le général Larbi Belkheir, directeur du cabinet, et Mouloud Hamrouche, chef du protocole et secrétaire général de la présidence notamment et le FLN dirigé par Mohamed-Chérif Messaâdia qui a toujours soutenu la thèse du complot. D'ailleurs, de grandes luttes avaient opposé ces deux tendances lors de la discussion de la Charte nationale seconde mouture où les chantres de la «libéralisation» représentée par la présidence et Abdelhamid Brahimi, alors Premier ministre, et les adeptes d'une économie fondée sur un secteur public fort incarné par l'appareil du FLN se faisaient une véritable guerre de tranchées. Tout était bon pour descendre l'adversaire. Messaâdia allait même recommander à la direction de Révolution africaine de publier des dossiers sur la corruption. D'ailleurs, Révolution africaine, organe central du FLN et Algérie-Actualité, proche des services de la Présidence n'arrêtaient pas de se rentrer dedans et de défendre chacun les positions de la partie qu'il représentait. Il n'est nullement possible d'évoquer les événements d'octobre sans se référer à la question du pouvoir marquée par des querelles intestines entre clans rivaux qui cherchaient par tous les moyens à prendre les commandes. Chaque fois que les équilibres tanguaient, comme en 1974 ou en 1985, les clans se battaient à couteaux tirés. La prise de pouvoir par le colonel Chadli Bendjedid, après le décès de Houari Boumediene, a été une suite de règlements de comptes, de crises internes et de situations paradoxales qui ont désarticulé la société. Chaque camp voulait son «président». Yahiaoui et Bouteflika qui se vouaient une haine tragique s'étaient neutralisés pour laisser la place vacante au plus vieux gradé de l'armée qui avait le soutien intéressé du patron des services de renseignements qui, pensant que Chadli ne tiendrait pas longtemps, rêvait de le remplacer. Les postulants réels ou virtuels étaient nombreux. Certes, du temps de Boumediene, ces conflits étaient latents, mais il arrivait à les gérer au mieux en évitant les coups de force, neutralisant les uns et favorisant des conflits qu'il réglait par la suite, se présentant comme l'indispensable arbitre. Boumediene comme les autres membres de l'état-major (EMG) et de Oujda : Ahmed Medeghri, Kaïd Ahmed, Abdelaziz Bouteflika et Ali Mendjeli) avaient comme livre de chevet Le Prince de Machiavel. Chadli voulait tout simplement rompre avec les hommes qui lui semblaient peu ouverts à sa politique ou susceptibles de lui nuire. C'est ainsi qu'il s'était séparé avec fracas de nombreux hommes qui constituaient des éléments-clés durant l'ère de Boumediene : Bouteflika, Yahiaoui, Abdesselam, Draïa, Bencherif...Les questions économiques et sociales passaient au second plan. On recourait constamment à des opérations de prestige comme le «programme anti-pénurie» (PAP)(1) géré par le premier «Premier ministre» de l'Algérie, Mohamed Benahmed Abdelghani, qui dépensa des milliards pour importer réfrigérateurs, téléviseurs, machines à laver...
Mais les luttes de personnes et de clans se manifestaient fortement sur la scène publique. Ainsi, les différends et les désaccords qui déchiraient les clans allaient reléguer au second plan les perspectives sociales et économiques. Ce qui provoquait de nombreuses manifestations de colère comme celles du printemps 1980 qui a vu successivement les étudiants arabisants soutenus par des hommes du pouvoir à l'époque manifester dans la rue pour une arabisation rapide et les étudiants, essentiellement kabyles, appuyés par le FFS et, dit-on, une frange du pouvoir suivis par la suite par la population de cette région, revendiquer les cultures populaires. Cette situation avait coûté sa place à Yahiaoui, ancien rival de Chadli, désormais pestiféré, évité par ceux-là mêmes qu'il avait placés aux postes-clés de responsabilité, qui allait se retrouver carrément exclu du comité central du FLN après avoir été son incontestable chef depuis son installation par Boumediene. Les choses devenaient claires. Pour Chadli Bendjedid, l'essentiel était d'en finir avec Boumediene. C'est ainsi qu'il désignait à la tête du gouvernement en janvier 1983 Abdelhamid Brahimi qui avait déjà occupé pendant cinq années le poste de ministre du Plan et qui avait lors du plan quadriennal 1980-1984 tenté de mettre un terme à la politique d'industrialisation en dépeçant les sociétés nationales(2) qui allaient passer de 70 à 400 entreprises. Sonatrach fut déstructurée. Ce qui avait valu des milliards au Trésor public. A l'ombre de ces luttes qui caractérisaient le fonctionnement du pouvoir montait l'islamisme qui allait dominer la scène politique et s'affirmait fortement la corruption dénoncée par les gens du «peuple» qui assistaient, impuissants, à l'inexplicable émergence de nouveaux riches.
La provocation était aux portes de la misère, de la pauvreté et du chômage qui montrait subrepticement le bout de son nez. Le désespoir gagnait progressivement une jeunesse qui n'en pouvait plus de se retrouver exclue, obligée de «tondre» les murs. La contestation commençait à gronder. Mais le Palais faisait le ménage, peu à l'écoute des cris de la foule. C'est ainsi que Chadli donna la possibilité à deux jeunes colonels, Mostefa Beloucif et Rachid Benyellès de figurer comme suppléants dans la liste du bureau politique du FLN de Messaâdia qui barrait la route à tous les non-militants en instituant un article 120 qui allait marginaliser les cadres non partisans.
Dans cet état quelque peu délétère, Chadli fit quelques gestes en libérant certains prisonniers politiques en 1985. Mais 1986 allait chambouler tous les calculs. Le prix du pétrole connut une chute sérieuse qui mit en pièces tous les discours officiels. Quand on sait que 98% des recettes de l'Algérie proviennent du pétrole, les choses deviennent très graves.
Les luttes de personnes s'étaient exaspérées, surtout après les discussions sur la charte nationale «enrichie» de 1986 où chaque partie campait sur ses positions. Ainsi, les deux clans en présence n'étaient pas satisfaits des conclusions des «débats». La contestation berbériste et islamiste investissait le terrain. La rue devenait le théâtre de grèves et de manifestations. A Bordj Bou-Arréridj, des jeunes défiaient le pouvoir en organisant une marche. A Oran, les lycéens avaient manifesté contre les gouvernants(3).
La Casbah connut de graves émeutes en avril 1985 suivies en 1986 des événements de Constantine et de Sétif qui avaient, à l'époque, défrayé la chronique. Les jeunes étaient sortis dans la rue exprimer leur désespoir et manifester leur mécontentement. La réaction du pouvoir fut trop violente. Les responsables de la mouhafadha du FLN appelaient à une grande répression tandis que la wilaya dirigée, à l'époque, par M. Hamid Sidi-Saïd, tentait d'apaiser la situation. Les événements sont considérés par beaucoup de monde comme une sorte de répétition générale d'octobre 1988. Même pour les émeutes de Constantine et de Sétif, certains n'hésitent pas à avancer l'idée d'une manipulation organisée par une frange du groupe gouvernant. De nombreuses questions restent encore posées.
La réalité sociale s'illustrait par une grave montée du chômage et une désespérante perte du pouvoir d'achat de la ménagère. Au même moment, Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed, deux figures historiques et des personnalités charismatiques de l'opposition, se rencontraient à Paris pour sceller un contrat commun intitulé «Pour la démocratie en Algérie» qui ne manquera pas de déranger sérieusement les dirigeants français qui tenteront de faire pression sur les chancelleries occidentales pour freiner l'ardeur de ces «historiques» et réduire leur marge de manœuvre. Fin août 1985, Mustapha Bouyali attaquait une caserne et s'emparait de nombreuses armes avant de rejoindre le maquis. Sa cavale ne s'arrêtera qu'en 1987.
Le «pouvoir» commençait à paniquer. Pour tenter de régler les choses, il libérera des prisonniers comme les 26 arrêtés lors des événements de Constantine et de Sétif, d'ouvrir Riad El-Feth, vite considéré comme l'espace du pouvoir et des couches les plus favorisées, mais ne put empêcher les grèves étudiantes qui avaient paralysé toutes les universités.
Les grèves succédaient aux manifestations de mécontentement. Le pays connaissait sa plus grave crise depuis l'indépendance. La corruption battait son plein. Le chômage atteignait plus de 25% de la population (16,9 selon les chiffres officiels) et les licenciements gagnaient tragiquement le terrain. Les choses devenaient insoutenables. Le gouvernement de l'époque tenta, grâce à El-Hadi Khediri(4), un transfuge de la DGSN, nommé ministre de l'Intérieur, de contourner le fameux article 120 en faisant voter par l'APN une loi sur les associations qui donnait la possibilité à des Algériens de se regrouper et d'activer en conséquence. C'est ainsi qu'est née la Ligue des droits de l'homme, avec des hommes comme Miloud Brahimi, Rachid Boudjedra, Youcef Fethallah et Ali Benflis, d'ailleurs vivement encouragée par le ministre de l'Intérieur de l'époque, El-Hadi Khediri. Mais la crise n'arrêtait pas de s'envenimer à tel point que l'Algérie ne semblait pas du tout gérable. Les luttes de personnes alternaient avec les querelles claniques qui faisaient office de politique. Le FLN (dont paradoxalement le secrétaire général était Chadli) dirigé par le responsable de son secrétariat permanent était en désaccord total avec l'équipe de la présidence. L'Algérie était dirigée par deux têtes qui se neutralisaient. Le pays était bloqué. Messaâdia voulait d'un parti fort qui contrebalancerait le pouvoir du président. Ni l'armée ni Chadli ne pouvaient supporter une structure partisane puissante. Il le comprendra plus tard à ses dépens. En 1988, on avait l'impression que l'Algérie n'était pas gouvernée. La suspicion dominait la scène.
La rumeur prenait le dessus sur l'information. Rien n'allait plus. Les grèves se conjuguaient au présent. Même le président n'hésita pas dans son discours de septembre 88 à inciter les gens à faire grève. Le mois de septembre a été le théâtre de débrayages, d'arrêts de travail continus, de folles rumeurs et de nombreux règlements de comptes. Le sixième congrès du FLN, événement exceptionnel, se préparait sérieusement et allait être le lieu et l'enjeu de grandes décisions. C'est dans ce contexte quelque peu exceptionnel où les conflits de personnes atteignaient un seuil paroxystique que les événements d'octobre eurent lieu. On se souvient encore de ces manifestants qui détruisaient les bâtiments publics, saccageaient les symboles de l'Etat et les lieux-phares de la corruption. Ainsi, les choses semblaient bien organisées dans leur désordre et leur anarchie.
A l'époque, Chadli mit en forme un «commandement militaire» qui allait, le long de l'état de siège levé le 12 octobre, décrédibiliser quelque peu l'institution militaire intervenue pour sauver les meubles et consolider le président qui sort ainsi renforcé d'autant plus qu'il a réussi par la suite à se débarrasser de ses adversaires comme Messaâdia qui fut remplacé à la tête du parti par Abdelhamid Mehri, alors ambassadeur au Maroc. Brahimi, qui était proche de Chadli, ne pouvait, compte tenu des dégâts sur les plans économique et social, demeurer en poste. Ce n'est d'ailleurs pas fortuit s'il fit appel à Kasdi Merbah pour le remplacer réalisant qu'il pouvait calmer les choses. Mais son passage n'était que circonstanciel parce qu'il devait laisser sa place à l'homme de Chadli, Mouloud Hamrouche.
Son départ forcé sonnait le glas de Chadli et indiquait tout simplement que les jours de Chadli étaient comptés. Ces événements permirent au mouvement islamiste de sortir de la clandestinité et de profiter ainsi de la situation, dominant facilement la rue. Au même moment, la presse et des intellectuels se mirent à dénoncer la torture. Le chef de l'Etat avait vite pensé, après le 10 octobre, que la cause était entendue et que tous ses adversaires étaient mis hors jeu, mais ne savait pas que les choses allaient encore s'aggraver. Il voulait prendre de vitesse tout le monde. Le 12 octobre, il levait l'état de siège, le 24 octobre, alors que les congrès régionaux du FLN se déroulaient sur un air de mécontentement et de désillusion, il lançait l'idée de réformer radicalement le parti. Il mettait à la porte Messaâdia le 29 du même mois et annonçait le 3 novembre un référendum sur une révision constitutionnelle et faisait appel à l'ancien chef des services secrets, la redoutable Sécurité Militaire, Kasdi Merbah, pour former le gouvernement le 5 novembre 1988. Le 23 février 1989, la nouvelle Constitution expurgée de formules comme «socialisme» ou «charte nationale» est adoptée. On avait évoqué une expression ambiguë qui avait fait couler beaucoup d'encre et de salive, «associations à caractère politique». Et c'est ainsi qu'avec les lois «électorale» et sur les «associations politiques» (juillet 1989) que naîtra le multipartisme qui permettra à des dizaines de partis de voir le jour avant la disparition de la grande partie d'entre eux. Puis une loi sur l'information allait permettre la création de journaux dits «indépendants». Tout se mélangeait. Les gens ne se retrouvaient pas dans ce désordre qui marquait la vie nationale, encore prisonnière des humeurs des dirigeants trop influencés par certains analystes occidentaux dont des proches de François Mitterrand qui aurait joué un rôle important dans les décisions prises après octobre 1988. Le président français entretenait d'étroites relations avec Chadli Bendjedid. L'Algérie tanguait et ne se retrouvait pas dans cet espace cacophonique empêchant toute parole sereine. Les uns et les autres s'interrogeaient sur une démocratie équivoque, encore sans béquilles, embastillée dans les lieux obscurs des manœuvres, des magouilles et des illusions perdues.
La violence marquait le quotidien. L'illégalité se conjuguait avec les jeux de coulisses. Ce n'est pas sans raison que de nombreuses personnes se posent d'insistantes questions sur la «spontanéité» d'un mouvement encore traversé par de nombreuses zones obscures.
Les conflits de personnes et d'options pouvaient-ils être à l'origine de ces événements douloureux qui ont fait des centaines de victimes ? D'anciens responsables politiques comme Messaâdia et Betchine, ancien patron des services de renseignements, confirment l'idée de la manipulation et du complot.
S'il s'agissait de manipulation, quelles seraient les forces à même de provoquer ces événements ? Encore une fois, la question reste posée. Les problèmes de choix et de conflits entre des options différentes ont souvent caractérisé le territoire politique algérien.
Les différends à l'intérieur du «pouvoir», les difficultés de distribution de la rente dans un contexte de disette financière et des choix économiques désastreux ont favorisé une sorte de délitement social, provoquant l'accentuation de la distance du «pouvoir» qui voit son autorité s'effriter avec la société.
C'est dans la précipitation que des mesures d'ouverture vont être prises. La Constitution de 1989 allait favoriser le multipartisme et l'ouverture du champ associatif et audiovisuel, mais inaugurer également un processus ambigu, fait de calculs et d'hésitations, menant le pays à des secousses et à des dérèglements tragiques. A l'ombre de ces graves dysfonctionnements, va fleurir la corruption qui devient un mot-clé dans le discours politique algérien.
A. C.
(1) Le PAP (Programme anti-pénurie) apparu vers le début des années 1980 qui ont vu la montée du prix du baril du pétrole favorisant une certaine embellie financière allait être à l'origine de l'importation de nombreux produits qui allaient inonder le marché.
Sous le slogan «Pour une vie meilleure», tout était permis, il fallait rompre avec l'austérité observée sous Boumediene.
Ces dépenses inconsidérées allaient engendrer une véritable crise financière liée à la brusque baisse du prix du pétrole en 1986 provoquée essentiellement par l'Arabie Saoudite qui avait exagérément augmenté la production. Ce qui va déstabiliser les pays de l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole)
(2) Le décret 80-242 du 4 octobre 1980 portant restructuration des entreprises publiques. Ce projet conçu par un bureau d'études américain, MC Kinsey and Co, vise tout simplement à dépecer les grandes entreprises industrielles, engendrant une forte désindustrialisation suivie d'un déficit en investissements et d'une progression du chômage. Cette situation de déstructuration des entreprises avait pour objectif de démanteler le secteur public et de faire disparaître les traces de «l'industrie industrialisante», chère au prédécesseur de Chadli Bendjedid, Houari Boumediene.
Cette politique encourageant l'informel, l'atomisation des entreprises publiques et la spéculation a été désastreuse pour l'avenir du pays. L'Algérie naviguait à vue, sans grands projets de développement. Ce qui est d'ailleurs toujours le cas.
(3) La rédaction de l'hebdomadaire Algérie-Actualité avait profité de l'absence du directeur Kamel Belkacem pour rendre compte de l'événement. Ce qui avait provoqué l'éviction du rédacteur en chef de l'époque, Ahmed Halli.
4) El Hadi Khediri (1934-2011), ancien responsable de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN, 1977-1987), puis ministre à partir de 1987, notamment de l'Intérieur (1987-1988) où il fit adopter la loi permettant une ouverture très relative du mouvement associatif, après de fortes pressions sociales et politiques.


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