Ils se défient du regard, s'infligent des soupes de grimaces, montent sur leurs grands chevaux et se dévisagent avec hostilité. Eux, ce sont les automobilistes que nous croisons chaque jour que Dieu fait sur nos routes. Conduire une voiture est loin d'être une sinécure. L'incivisme routier monte au créneau : queues de poisson, refus de priorité, insultes... On se croirait en pleine jungle. Un seul code est respecté : la loi du plus fort. Carton rouge pour la conduite. Témoignages. Hassen, 45 ans «Conduire aujourd'hui rime avec guerre des nerfs, nous dit Hassen. Avec les interminables bouchons à toute heure de la journée, les automobilistes sont devenus hyper-agressifs. Ils conduisent et se conduisent très mal. Ce n'est pas pour rien que nos routes sont devenues de véritables mouroirs, enregistrant chaque année plus de 4000 morts. Le facteur humain y est pour beaucoup. J'en suis témoin au quotidien. Chaque jour, je suis confronté à des situations hallucinantes : on me double par la droite, on s'infiltre pour me prendre ma place dans une file, on me refuse la priorité, on me fait une queue de poisson... Sur l'autoroute, je ne compte pas le nombre de fois où j'ai évité de justesse un accident mortel à cause de tous ces chauffards inconscients roulant à tombeau ouvert. Ni campagne de sensibilisation, ni pub choquante, ou lois répressives ne semblent leur faire entendre raison. Et quand ils se retrouvent handicapés suite à un accident routier, ils se mettent à pleurer et à souhaiter revenir en arrière. Mais c'est trop tard ! Malheureusement, ces fous du volant entraînent souvent de malheureuses victimes dans leur sillage. Moi-même je viens de me faire emboutir l'avant de mon véhicule. C'était sur la route de la Chiffa, juste après Médéa, en début de soirée. Les véhicules roulaient pare-choc contre pare-choc à cause des embouteillages. Tout à coup la voiture qui était devant moi a commencé à reculer. J'avais beau klaxonner, rien n'y fait. Devinez quoi ? Je vous le donne en mille : le gars, s'était assoupi au volant !» Hakim, 29 ans Les conducteurs de scooter se plaignent eux aussi de subir le diktat des automobilistes : «Je roule en deux-roues et subis au quotidien le mauvais comportement des conducteurs de voitures», nous révèle Hakim. «Dans notre société, j'ai remarqué que toute personne roulant en scooter ou en moto est cataloguée voyou. Alors la chasse est ouverte pour nous écraser comme des mouches. Je me suis mis au scooter à cause de la circulation infernale à Alger et je me retrouve à faire mes prières à chaque fois que j'enfourche mon engin. On me serre de près, on me colle pour me faire tomber, on m'insulte, on me fait des gestes obscènes... C'est la ‘hogra' totale ! Je ne comprends vraiment pas cette haine des automobilistes envers nous ! C'est dément !» Hassiba, 28 ans Les femmes au volant crient elles-aussi leur désarroi. Face à certains comportements sexistes et machos, elles ne savent plus à quel saint se vouer. Hassiba en fait les frais au quotidien : «C'est comme si la rue appartenait exclusivement aux hommes et qu'ils ne supportent pas de voir une femme conduire une auto. Chaque jour, je croise un panel d'énergumènes qui me refusent la priorité, me doublent n'importe où, m'incendient du regard, me lancent des propos grossiers, me klaxonnent pour rien, me piquent ma place lors d'un stationnement... De vrais misogynes ! Je ne parle pas des dragueurs ! Ils sont légion. Récemment, il y en a un qui, en arrivant à ma hauteur, a baissé sa vitre pour me demander : ‘'Vous êtes célibataire ?'' Il m'a même tendu son numéro de téléphone griffonné sur un bout de papier. Encore, ça, ce n'est pas bien méchant. D'autres comportements sont inadmissibles. Un automobiliste m'a crié l'autre jour, ‘‘allez welli lel couzina (retourne dans ta cuisine)'' en me faisant un bras d'honneur ! C'est quand même incroyable ! Du coup, nous les femmes, on se fait harceler partout. Même quand nous sommes planquées dans l'habitacle de notre véhicule, pas droit à la paix !» Difficile de se frayer un chemin sans risquer sa peau ou perdre son calme. Comme bien d'autres de nos contemporains, on aimerait tant voir des sourires derrière les volants, des gestes affables et respectueux. Ou tout au moins, le respect du code de la route. Conduire deviendrait alors une partie de plaisir. Mais n'est-ce pas demander la lune par les temps qui courent ?