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Les systèmes de valeurs et les spécificités culturelles face aux effets de la mondialisation et de l'universalité
Les valeurs : le noyau et son environnement
Publié dans Le Soir d'Algérie le 28 - 11 - 2015

(Etude synthétisée dans une intervention présentée à l'APN) - (1re partie)
Dr Mohamed-Larbi Ould khelifa
Le système de valeurs constitue l'essence de la structure culturelle d'une société donnée ; les sociologues et les anthropologues vont jusqu'à le confondre avec la culture proprement dite dans ses deux composantes : la première étant le legs hérité et transmis de génération en génération ; la seconde les évolutions faites d'apports et de modifications pouvant varier en vitesse et en ampleur ; opérées à grande vitesse de manière à menacer les valeurs principales, c'est-à-dire les valeurs spirituelles et certains pratiques, rites et traditions qualifiés de «noyau de la culture» par la chercheuse américaine Ruth Benedict, ces évolutions peuvent faire l'objet de rejet ou d'attachement excessif. Dire que le noyau est immuable dans le système de valeurs ne signifie pas que son environnement est constitué d'un seul bloc puisqu'il prend la forme d'un ensemble de maillons portant chacun un titre particulier comme la religion, les caractéristiques nationales, l'Histoire et ses symboles, la démocratie, etc.
Dans le cas d'une vitesse au ralenti et d'une amplification du noyau, conséquence du nombre élevé des phénomènes nouveaux venus s'y greffer, le changement intervenu au niveau du système de valeurs peut se limiter aux phénomènes inhabituels considérés par certaines catégories de la société comme phénomènes intrus, à combattre. L'appel est alors lancé en faveur de l'authenticité, l'originalité, l'ipséité et la recherche de l'entité menacée de l'intérieur ou de l'extérieur, ou des deux réunis, comme c'est le cas depuis longtemps avec la mondialisation redoutée et diabolisée par certaines élites opposées au concept du modeling débouchant sur l'assimilation par une culture plus puissante. Cette appréhension n'est rien d'autre qu'un mécanisme de défense appelé «exception culturelle» en France, ou l'expression d'un attachement à un code non écrit reposant sur les traditions ancestrales appelé «Common Law» en Grande-Bretagne. La culture du plus fort est reconnue comme telle lorsqu'elle réussit à se propager hors de ses frontières géographiques et à imposer ses propres valeurs à l'image de la culture américaine qui a pu imposer son mode de vie à travers le monde entier.
Or, la mondialisation est un échange entre les cultures et leurs expressions civilisationnelles, en période de rayonnement, lorsque la civilisation réussit à réunir les conditions de la suprématie, et en période d'inertie, lorsqu'elle est influencée par d'autres, cas évoqué par Ibn Khaldoun dans sa célèbre expression : «Le sujet vaincu est toujours séduit par l'image du vainqueur.»
Une même civilisation peut regrouper en son sein plusieurs cultures, ainsi qu'en témoignent les origines gréco-romaines de ce qu'on appelle la civilisation occidentale, cet état de fait ne signifie absolument pas une uniformité culturelle dans tous les pays occidentaux. De même que la civilisation islamique a été le réceptacle de nombreuses cultures influencées par leurs propres héritages et par la référence au concept du «Traditionnel/Rationnel». Les différences locales entre des cultures appartenant à une seule civilisation, elles, sont qualifiées par le chercheur américain E. Gardner de «frontières psychologiques», allusion faite au degré d'acceptation ou de rejet d'une autre culture. En vérité, l'influence partagée, voire l'interaction, qui remonte à la nuit des temps, a été encouragée par les échanges commerciaux et les guerres. De nos jours, la multiplication des moyens de communication (train, radio, avion, internet et réseaux sociaux très en vogue) a largement favorisé cette interaction.
Evidemment, le sujet qui appréhende la menace, c'est l'identité culturelle collective ou de groupes s'estimant différents ou constituant une minorité par rapport à l'ensemble de la collectivité. Ce sentiment de menace réelle ou imaginaire, souvent animé par une mobilisation politique, peut se transformer, selon l'écrivain libanais Amin Mâalouf, en identités meurtrières, l'une des causes principales de la dislocation des sociétés, voire des guerres civiles, notamment dans certains pays arabes et africains où l'appartenance ethnique et confessionnelle prend le dessus sur l'appartenance à l'Etat-nation qui suppose l'égalité en citoyenneté, dénominateur commun pour tous. Il serait utile de rappeler que l'accès à l'Etat-nation est un concept relativement récent dans le monde entier.
Dans les pays arabes et musulmans, à titre d'exemple, il date de l'effondrement du califat ottoman puis l'apparition des mouvements de libération. Cependant, l'idée de «grande nation» est restée présente dans certains courants politico-religieux et nationalistes et certaines organisations supra-nationales prônant une souveraineté nationale limitée, raison pour laquelle l'Union européenne peine à accéder à un gouvernement fédéral. Tout récemment aux Etats-Unis, un Etat a baissé le Stars and Stripes, emblème de l'unité américaine ; dans la région arabe, tous les projets d'union arabe allant du Golfe jusqu'à l'océan ont échoué. Au cours des dernières décennies, la région a été le théâtre de nombreuses guerres internes et des alliances avec des forces étrangères contre les voisins ; aucun politique ne parle, aujourd'hui, de nation musulmane unie rassemblant un milliard d'habitants éparpillés à travers le monde. Outre la différence en expérience historique et ce qu'elle a induit comme particularités locales, le centre de pouvoir et d'influence a déserté la région arabo-islamique depuis bien longtemps ; il n'en reste que les souvenirs et les prières évoqués à l'occasion des prêches du vendredi et des jours de fête. Il est clair que les regroupements actuellement en place sont fondés sur des alliances et des intérêts économiques conduits, dans la majorité des cas, par des puissances capitalistes à travers leurs méga-entreprises et leur influence dans la sphère des finances et des affaires.
Le système de valeurs en Algérie et le choc de la colonisation
En ce qui concerne l'Algérie, le plus dur coup qu'a subi le système de valeurs a été le choc de la colonisation de 1830, l'agression contrée par la Résistance conduite par l'Emir Abdelkader et Saleh Bey à la tête d'une armée relativement organisée, constituée en majorité de paysans, autrement dit d'agriculteurs et d'adeptes de zaouïas, faisant face à une armée moderne fortement équipée par les usines d'armement des dix-huitième et dix-neuvième siècles. Les Algériens ont dû constater, au cours des trois premières décennies de l'occupation, une nette supériorité de l'ennemi appuyée par le canon, l'araire et la croix, et tout ce que cela peut évoquer comme terreur, destruction et décimation du système de valeurs fondées, en grande partie, sur la culture des zaouïas et sur la philosophie tribale. Pour affronter l'agression, ils devaient s'armer d'une grande détermination inspirée de leurs traditions chevaleresques séculaires, une manière de «mourir debout» comme on dit ; nous avons, d'ailleurs, consacré à ce choc une étude intitulée «La grande épreuve» parue en 2012 (3e édition).
Malgré son attachement aux valeurs de son milieu traditionnel, notamment les valeurs spirituelles, l'Emir qui était un soufi éclairé et non pas un simple adepte, a vite réalisé que les valeurs authentiques de notre société ont été altérées par l'énorme retard qui a frappé le monde musulman et conduit les musulmans ruinés à la soumission. Il a, alors tenté, dans une sorte de course contre la montre, de rattraper le retard en organisant et modernisant les moyens de défense ; mais la supériorité évidente de l'ennemi et le manque de temps ont eu raison de sa volonté d'édifier un Etat national moderne et unifié pour rassembler un peuple dont la culture confond islam et nationalisme; il a réussi, quand même, à semer la graine qui portera ses fruits un certain Novembre 1954. Dans Le miroir de Hamdane Khodja, le lecteur découvre une description avancée du déséquilibre apparent en termes de force, et un appel à affronter l'époque avec les armes qu'il faut.
La Révolution bouleverse les valeurs
Sans aucun doute, le grand bouleversement qu'a connu le système de valeurs dans la société algérienne moderne a été opéré par la grande Révolution. Auparavant, les relations obéissaient au critère d'âge qui accorde le droit de respect et d'autorité au plus âgé de la famille, du groupe ou de la tribu, ce que le sociologue britannique Taylor appelle couches d'âge. A la faveur de la Révolution, des jeunes dont l'âge variait entre 20 et 25 ans seulement ont assumé de hautes responsabilités sans que la population aussi bien rurale que citadine conteste la chose ; bien plus, à leurs yeux ils étaient des héros dignes d'hommage et de considération.
De son côté, la femme a réussi à se défaire de son statut d'être inférieur grâce à la significative présence des femmes désormais compagnons des hommes dans la bataille, et dans beaucoup de domaines de soutien tel que l'approvisionnement ou l'hébergement avec bien sûr l'approbation et la bénédiction de la famille. C'était un véritable bouleversement dans le système de valeurs algériennes au sein d'une société conservatrice qui assimile la femme à l'honneur et à la réputation de la famille aussi bien en province qu'en ville ; malgré le respect que lui vouent enfants et petits-enfants, d'aucuns parmi la génération des anciens qui, associant la femme à l'infamie, continuent de dire : «La femme, sauf votre respect» ! Heureusement, cette attitude est en voie de disparition encouragée par la propagation du modèle de la famille nucléaire et par la série de lois promulguées depuis l'Indépendance dont la loi relative à l'égalité des salaires depuis 1962.
Au cours de la dernière décennie, le statut de la femme s'est beaucoup amélioré grâce aux lois instituées par le président de la République, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, notamment en matière de protection de la femme contre la violence au sein de la famille et hors cellule familiale, afin de la libérer de l'oppressante tutelle qui renie ses droits les plus élémentaires ; signalons, au passage, que des organisations féminines ont contribué à cette démarche, mais il faut souligner que la mise à contribution de la femme devrait se tourner vers les régions rurales, englober toutes les activités, et élargir sa présence dans les postes de responsabilité puisqu'elle représente la moitié de la société. La lutte à cet effet serait plus efficace si les organisations féminines venaient à concentrer leurs efforts sur le terrain, ne pas se suffire de militantisme de salon, réussir à transformer les attitudes et mentalités négatives et s'éloigner du radicalisme affiché par le mouvement féministe.
Les réactions au projet d'amendement du code pénal soumis au Parlement en mars 2015 ont révélé que les valeurs liées à la famille et à la femme sont l'objet d'un tiraillement entre deux camps : l'un conservateur appelant à maintenir la femme sous tutelle, l'autre appelant à davantage de droits ; en vérité, ni les hommes sont tous meilleurs que les femmes simplement parce qu'ils sont nés hommes ni les femmes sont toutes meilleures que les hommes parce qu'elles sont nées femmes !
Il est une réalité qui mérite d'être signalée : dans les deux camps il y a des femmes ; interrogation logique et immédiate : quelle tendance prendrait, donc, ce changement de valeurs ? Nous préférons opter pour un constat basé sur la relation cause/effet.
Résultat : la forte présence de la femme dans l'enseignement et son indépendance économique vont automatiquement encourager une présence plus forte et plus efficace dans la société, sauf qu'une autre hypothèse, totalement opposée, peut être, elle aussi, plausible car chaque culture peut couver des valeurs en état de dormance ou d'inactivité pouvant à tout moment entrer en action sous l'effet de quelques facteurs internes ou externes. La majorité des Algériennes dans les villes ont bien rejeté les tentatives de séduction de l'administration coloniale et refusé d'enlever le voile ; en rejetant cet acte estimé suspect, elles ont considéré leur réaction comme un soutien à la Révolution et une résistance culturelle.
Le Conseil scientifique de la CIA prédit des transformations sociales et politiques vers la fin de 2025, et des changements dans les relations entre ce qu'il appelle «The arc of Turbulence» (l'arc de turbulences), région qui englobe le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, et l'Arc latin, c'est-à-dire la région sud de l'Europe ; ces prévisions concernent les situations économiques, la démocratie, l'emploi par rapport à la croissance démographique ; il est fort probable que ces prévisions renferment des indicateurs et des suggestions destinés à influencer les élites politiques et savantes de la région.
Beaucoup d'anomalies sont à relever dans la société citadine algérienne : certaines valeurs ne sont ni totalement rurales ni complètement citadines ; cela s'explique par le fait que la majorité des habitants des villes est constituée de populations rurales fuyant les villages, pendant la Guerre de libération et au cours des quatre dernières décennies, notamment les années 1990 marquées par la violence terroriste, phénomène qui a boosté l'apparition des bidonvilles autour des grandes villes et l'accélération de l'émigration vers l'étranger.
Certains sociologues intéressés par le phénomène ville affirment que l'expansion des villes est allé de pair avec l'industrialisation en Europe et aux Etats-Unis, et avec l'apparition du prolétariat qui était, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, composé en majorité d'agriculteurs. Dans notre pays, la majorité des citadins d'avant 1962, excepté un nombre réduit de familles de notables ayant adopté le mode de vie européen, était constituée de population sous-prolétaire en marge de la société coloniale qui détenait le monopole de la vie moderne, d'où le cachet architectural qui caractérise la plupart des grandes villes et même les moyennes, sachant que l'urbanisation est l'expression des valeurs esthétiques et fonctionnelles spécifiques de la civilisation ou la culture de ses bâtisseurs.
Par conséquent, le système de valeurs qui prévaut actuellement dans nos villes prend la forme d'un mélange de valeurs importées du village, de la tribu ou du aârch et de valeurs répandues dans les villes européennes industrialisées ; ce phénomène «In between» (entre-deux) s'affiche clairement chez la deuxième et la troisième génération post-indépendance qui ont puisé dans les deux systèmes pour adopter certaines valeurs et rejeter d'autres. Il est rare de trouver un grand-père ou un arrière-grand-père ayant été élevé en ville avant les cinquante dernières années. Jusqu'aux années 1960, les films et pièces théâtrales relataient la nature des rapports au sein des familles vivant dans les grandes villes avant la Révolution ; globalement, ces rapports paraissaient moins tendus que ceux décrits dans la production théâtrale et cinématographique, limitée, des années 1980.
Le phénomène est très visible, aujourd'hui, dans les comportements des gens et les relations entre voisins de bâtiment, des gens qui ont quitté leurs villages pour venir s'installer dans les villes et s'entasser à 7 ou même 12 personnes dans des appartements de 3 pièces, tout en conservant leurs traditions et leur mode de vie rural. Cette situation a persisté jusqu'au début du millénaire en cours car, depuis, le modèle de la famille nucléaire ou réduite s'est multiplié.
L'on remarque, également, que les agglomérations qui voient le jour autour des villes et en terre d'émigration ont toutes un point commun qui est le rapprochement sur la base des valeurs référentielles et des liens de parenté ; mais cette particularité n'est pas le propre des Algériens. Les Chinois émigrés aux Etats-Unis, eux aussi, se cantonnent selon leur appartenance géographique et évitent de s'intégrer dans la société d'accueil préférant fonder leur «China Town», des îlots implantés au cœur du grand ensemble humain qui leur paraît dissemblable. Il en est de même pour les Polonais, les Portugais, les émigrés africains dans la partie ouest de l'Europe qui se regroupent sur des bases purement ethniques. Pour moult raisons, les personnes d'origine européenne ou juive bénéficient, en Europe et aux Etats-Unis, de beaucoup de facilités leur permettant de s'intégrer dans les pays d'accueil aussi bien dans les plus hautes responsabilités politiques que dans les domaines des sciences, des arts et des lettres ; les raisons peuvent être historiques (pour les juifs après la Seconde Guerre mondiale) ou dues à la relative facilité d'intégration pour affinité religieuse (pour les Européens).
C'est ce qui est arrivé aux Noirs américains en dépit de deux siècles d'intégration dans la culture yankee ; la discrimination en raison de la couleur et des origines africaines constitue un réel obstacle culturel et psychologique, voire de classe ; ce même traitement a été réservé aux Indiens, les premiers habitants regroupés dans des clos au Canada, aux Etats-Unis et en Australie. Les Noirs se sont rendus compte qu'ils devaient compter sur une autre valeur, celle de l'excellence et de la réussite, notamment dans le domaine de la chanson, de la musique et des sports ; mieux, ils se sont mis à chanter et magnifier la peau noire : «Black is beautiful.» Pour ces mêmes motifs, les populations d'origine latino-américaine et de confession catholique vont se cantonner dans des quartiers à part ; désormais, ils sont les Latinos.
Pour les anthropologues, le système de valeurs est la colonne vertébrale de l'appartenance culturelle qu'elle soit individuelle ou collective : l'appartenance individuelle étant les spécificités qui distinguent une région ou un territoire dans un même pays, comme le dialecte, la langue, la nourriture, les costumes, la confrérie ou la zaouïa et le legs rituel ou mythique raconté par les grands-mères, voire l'appartenance à même aïeul par la voie de témoignages oraux (avant l'apparition de l'état civil avec la colonisation). C'est pourquoi l'espace maghrébin regorge de surnoms «Ben, Bou, Ould, Aït, Ath». Par contre, les grands savants et les notables tirent leurs noms des villes qui les ont accueillis, c'est le cas de Elbedjaoui, Ettelimssani, Elwahrani, Ebiskri, Elwardjalani (ou Elwergli), Ettbessi, etc. Parmi les spécificités qui caractérisent l'appartenance individuelle figurent les costumes (le grand turban et la barbe chez les sikhs en Inde, le costume de la femme kabyle, mozabite, chaouie ou targuie) et les plats traditionnels très prisés revisités à chaque occasion religieuse ou fête. L'attachement aux traditions des ancêtres s'accentue à chaque fois que les gens se sentent différents des autres catégories de la société ; l'identité individuelle est, alors, surestimée par rapport à l'identité collective, lorsque l'Etat-nation manque à ses devoirs ou lorsque des puissances internationales ou régionales exploitent des conflits latents ou déclarés dans des régions fragiles, proie facile aux interventions.
L'appartenance collective est clairement affichée dans le préambule de la Constitution algérienne avec l'insertion de la dimension amazighe en matière de langue et de culture ; le régime républicain signifie l'égalité en citoyenneté, autrement dit en droits et en devoirs.
C'est là une valeur absolue fédératrice qui combat, ne serait-ce que sur le plan théorique, l'idée d'une caste supérieure et une autre inférieure, et tend à réduire les disparités entre les catégories, d'abord en produisant la richesse, ensuite en procédant à une distribution égalitaire de cette richesse. C'est une valeur récente dans les sociétés africaine et arabe, et en Amérique latine ; historiquement, elle remonte à l'apparition de l'Etat-nation au lendemain de la défaite du régime colonial direct qui a remplacé sa domination par d'autres mécanismes économiques, politiques et culturels auxquels nous consacrerons une partie de cette approche lorsque nous aborderons l'impact de la mondialisation et l'universalité.
Le système de valeurs et les institutions de transmission : la famille, l'école et l'espace local
Quel que soit le degré de constance ou de vitesse de changement du modèle culturel, et au-delà du système de valeurs, la première mutation se produit au sein de la famille, notamment la famille élargie (extended family) qui regroupe, sous un même toit, les parents et leur descendance autour d'un objectif, celui d'inculquer un ensemble de valeurs adoptées par les hommes envers les femmes, c'est-à-dire ce qui est permis ou non permis dans la sphère sociale rurale ou urbaine.
A partir de 12 ans, les enfants, dans les régions à climat chaud ou doux à travers le monde, commencent à s'interroger et interroger leurs pairs sur l'utilité et la justesse de certaines valeurs reçues ; ce questionnement à caractère protestataire est très présent au sein d'un type de groupes que les spécialistes de la sociologie comparée appellent «la société des bandes de rue» (Street Corner Society) et qui se distinguent dans nos villes par la création d'un langage et d'une terminologie spécifiques propres à eux ; ils vont jusqu'à en faire un genre musical appelé «raï» chanté par des «cheb» qui veut dire jeune (même s'ils ont dépassé la cinquantaine) destiné à exprimer le refus et la protestation. Ce dialogue protestataire devient de plus en plus mordant à l'adolescence et prend la forme d'une crise connue chez les psychologues sous l'appellation de «crise de l'adolescence» qui marque une phase transitoire entre l'enfance et l'exigence d'être reconnu comme adulte ; cette crise dont les formes d'expression varient entre les garçons et les filles peut conduire les jeunes à la délinquance et à la dérive. Pour parer à de telles situations, certaines sociétés peu développées pratiquent des «rites de passage», une sorte de rituels spécifiques par lesquels les adultes font leur déclaration de reconnaissance à la nouvelle génération. Si la famille (nucléaire ou étendue, modèle qui est de nos jours en nette réduction chez nous) est responsable des premières formes de socialisation selon les particularités locales, l'école, quant à elle, a pour mission dans tous les systèmes éducatifs d'insérer cette première copie de socialisation dans le moule de la communauté nationale qui en fait l'ensemble des valeurs communes et fédératrices.
Dans les sociétés stables sur les plans politique et sécuritaire, le changement dans le système de valeurs inculquées à travers les programmes éducatifs s'opère lentement et peut s'effectuer sous le qualificatif de «réformes de l'éducation» qui toucheront le cursus, les méthodes pédagogiques d'enseignement et de formation à la lumière des conclusions faites par les recherches scientifiques spécialisées qui peuvent pousser certaines composantes de l'élite à revoir le système de valeurs de manière intégrale ou partielle. On sait que le premier modèle de réformes qui repose sur l'actualisation des contenus des programmes et des techniques pédagogiques est adopté dans la plupart des pays en raison du cumul de connaissances pédagogiques et scientifiques (sciences de la nature et sciences humaines), et en raison des avancées technologiques. Il faut dire que les réformes successives, en l'espace d'une décennie ou un peu moins, finissent par tuer les réformes et se révèlent être le fait d'une personne ou d'un groupe de pression. Dans ce cas de figure, des problématiques secondaires peuvent surgir dévoilant les préoccupations d'une partie de l'élite, comme le débat sur l'utilisation du dialecte en première et deuxième année primaires, alors que le problème de fond réside dans l'amélioration des contenus de l'enseignement et de la formation ainsi que la préparation des enseignants sur le plan pédagogique dans cette phase précise ; il est à rappeler que l'Algérie a connu une initiative semblable pendant la colonisation avec les livres scolaires de Souilah édités en arabe dialectal avec la bénédiction de l'administration coloniale. La langue arabe a été, pendant la période coloniale, une langue fédératrice et elle le restera ; avec la langue amazighe unifiée à l'avenir, elles seront l'expression de l'Algérophonie ; elle est, également, le cordon qui nous lie à l'espace maghrébin et arabe. Chaque langue possède plusieurs niveaux de communication plus ou moins proches de la langue normative, le réservoir de la création, qu'est la langue classique d'où dérivent les langues spécialisées spécifiques aux métiers (agriculture, industrie, etc.) et même les langages des couches sociales et les langues populaires non codifiées telles que le cockney, ou la poésie populaire dite «malhoune» appelée ainsi car n'obéissant pas aux règles de la grammaire arabe. Toutefois, le débat continu autour de la langue, et principalement axé sur la donne culturelle et le parcours historique de l'Algérie, s'explique par les rapports entre les valeurs dominatrices et les valeurs-refuges que nous évoquerons dans cette étude.
Nous estimons que le plus important est d'enseigner, de manière simplifiée, la Constitution algérienne dans le cycle primaire car elle renferme les principes fondamentaux de la Révolution de Novembre 1954, et figure parmi les meilleures Constitutions au monde, notamment en ce qui concerne l'identité nationale aux trois dimensions, le régime républicain, les droits et devoirs des citoyens, l'émancipation de la femme, en plus de nombreux droits non garantis dans beaucoup de Constitutions. De par leur culture et leur expérience historique, la grande majorité des Algériens sont presque unanimes que le régime républicain est le plus indiqué, abstraction faite de l'application de ses textes. Nous avons déjà suggéré cette idée à l'occasion d'une conférence organisée par le Conseil constitutionnel en 2009 et présidée par le prince El Hassen de Jordanie ; plusieurs institutions constitutionnelles avaient pris part à cette manifestation qui a débattu le thème de la Constitution comme référence dans la société. Aux Etats-Unis, pour passer du cycle élémentaire au cycle supérieur, l'élève doit réussir à trois épreuves principales : la Constitution fédérale, les maths et la langue anglaise. En fait, l'une des tâches stratégiques et vitales de l'Etat est de veiller à l'unité du pays et à l'harmonie sociale qui engendre la fierté de la grande majorité d'appartenir, dans le pire et le meilleur, à une patrie, et nourrit la conviction que la diversité est une richesse commune et que la puissance de l'Etat constitue une force, voire une immunité pour tous les citoyens.
Les réformes peuvent tendre, entre autres, à changer certaines valeurs et les remplacer par des valeurs adoptées par des élites, des courants politiques ou idéologiques dominant à un moment donné, ou encore mettre en exergue certaines valeurs marquantes dans l'histoire du peuple et de la nation, appelées communément «valeurs nationales», parce qu'elles renforcent la fierté d'appartenir à la nation et à ses symboles matériels et immatériels, sentiment largement répandu dans le monde et encouragé, quelquefois, par les mythes comme c'est le cas de l'entité sioniste montée de toute pièce. Si l'histoire de l'Algérie n'a nullement besoin de recourir aux légendes, beaucoup de ses épisodes restent, cependant, méconnus ou dérobés ou exploités comme sujets de recherche, de publication et d'étude à l'étranger ; personne ne peut s'y opposer, la recherche scientifique et l'écriture étant un droit garanti à tous les chercheurs ; néanmoins, il est important de réfléchir à diligenter la création d'une académie des sciences de l'histoire qui pourrait aussi fouiner dans l'histoire des autres.
La suppression ou la consolidation de telle valeur ou telle autre est conditionnée par les équilibres qui interviennent dans la société ou l'Etat. Le système éducatif dans l'Algérie post-indépendance a connu plusieurs réformes dont certaines portaient sur les valeurs référentielles, mais aucune parmi ces réformes n'a pu toucher les grandes valeurs contenues dans la Déclaration de Novembre 1954 dont le régime républicain, l'Islam, la langue arabe et la langue amazighe. Même l'épreuve du terrorisme et la nouvelle vague d'islamisation n'ont eu aucun effet sur la donne religieuse de l'Algérie contemporaine, restée telle qu'elle était avant l'indépendance, marquée par une attitude défensive et conservatrice malgré la présence d'élites au sein de certains courants islamistes, proches du courant wahhabite. A vue d'œil, le nombre de jeunes affiliés à ce courant s'est multiplié depuis la moitié des années 1980, mais ni le phénomène ni sa relation avec les transformations des trois dernières décennies n'ont intéressé les spécialistes en sociologie de la religion. L'Algérie n'a que faire des confrontations de courants puisque l'Islam se résume à son seul texte fondateur qui est le Saint Coran. Une telle confrontation peut commencer par une sorte de jeu ou une simple polémique et aboutir à des dissensions et des tragédies, à l'image de ce qui se passe aujourd'hui dans de nombreux pays musulmans dont les régimes et beaucoup de leurs élites ont mal calculé les véritables enjeux, à savoir la lutte contre le sous- développement et la situation de dépendance en tant que relais aux centres de puissances dans le monde. En proie à un danger imaginaire ou réel guettant une valeur principale, certains pays décident de la mettre en valeur et la renforcer par le biais du système éducatif.
Ce fut le cas de la France avec la laïcité au lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo. Ainsi, la priorité dans l'actuelle réforme de l'enseignement en France a été accordée au thème de la laïcité au cycle primaire et au-delà. Il arrive, également, qu'une valeur intruse ou n'ayant aucune assisse culturelle ou historique tombe en désuétude et finisse par perdre son sens ; chez nous, par exemple, personne ne fait sien le slogan «Nos ancêtres les Gaulois» ou lui accorde une valeur référentielle quelconque ; par contre, le terme «harki» (collaborateur avec l'administration ou l'armée coloniale) a conservé sa signification péjorative suscitant mépris et dédain parmi les gens. Le discours politique et médiatique dans notre pays tend, en grande partie, à faire endosser la responsabilité de l'échec dans le remplacement de certaines valeurs par d'autres à l'école, et l'accuse de produire toutes formes de phénomènes honnis tels que la violence dans les stades, l'extrémisme religieux, le chômage et autres ; reconnaissons que l'analyse est très simpliste. En vérité, l'école n'est qu'un maillon dans un système sociétal et politique enchevêtré ; elle ne peut pas donner plus que ce qu'elle ne reçoit du maillon qui la précède et de la société dans son ensemble, bien qu'elle soit un axe principal dans tout projet sociétal et politique conduit par des élites et soutenu par de larges catégories du peuple dans une étape donnée de son histoire.
M.-L. O. K.


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