Du nu à la critique des pratiques sociales en passant par la marchandisation des esprits, la quatrième édition de l'exposition internationale «Al Tiba9 » visible jusqu'au 31 octobre au musée du Bardo vous promet une virée palpitante dans l'univers de la transgression. Réalisée par une douzaine d'artistes appartenant au collectif Asswad, l'exposition est située à l'étage supérieur du pavillon principal du Bardo. Malgré la beauté et l'audace tant artistique que thématique des œuvres, on regrettera que certaines d'entre elles ne soient pas légendées, ce qui, en l'absence d'un catalogue et d'un guide, entame sérieusement le plaisir de la visite. On se contentera donc des tableaux dont on connaît les auteurs, à l'instar du diptyque «Nya» et «Hab ch'bab» de notre consœur de L'Expression Hind Oufriha. Il s'agit d'une série de photographies qui célèbrent le corps de la femme dans une joyeuse explosion de couleurs et de pixels. L'artiste veut revisiter la représentation du corps féminin dans les arts plastiques en lui opposant une sorte de mouvement et de vivacité traduits ici par une nudité ambivalente, active, contrairement à celle propagée par les tableaux ou la sculpture classiques. L'une des photos montre d'ailleurs une femme dénudée, couronnée d'épines, mais qui porte un appareil photo ou une caméra, comme pour observer à son tour celui qui la regarde, comme pour enregistrer, voire voler, ses impressions, ses grimaces ! Soutenue par un travail graphique remarquable, l'œuvre de Hind captive effectivement le regard de par la sensualité agressive de ses modèles qui déplace ainsi la femme de son habituel rôle d'objet esthétique à admirer vers un statut de créature subversive et complexe. Tout aussi percutante, la plasticienne finlandaise Ulla Karttunen nous propose une installation qui questionne le regard que nous portons sur l'Autre à travers un impressionnant mannequin sans tête vêtu d'une robe blanche faite à partir de papier-toilette et pendu au plafond par une corde. Il s'agit ici d'une inversion des valeurs où le papier hygiénique, «considéré comme le plus banal et le plus trivial des matériaux», devient le lieu de naissance d'une espèce de «saintpatron » des marginaux et des gens «pas comme il faut» ! Pour sa part, l'artiste marocain Mounir Fatmi jette son dévolu sur l'objet religieux et sa désacralisation : dans un premier tableau, il atomise la magie supposée du Texte à travers une calligraphie dispersée au milieu d'un bleu cosmique tandis que la seconde œuvre tourne en dérision la dangereuse incursion de la religion dans l'espace médical avec l'image de deux saints auréolés prenant en charge un malade dans un bloc opératoire pendant que le médecin regarde en se croisant les bras. L'artiste italien, Claudio Burel, exprime son sens de la transgression à travers une installation pop art qui fustige l'invasion technologique de notre monde où l'esprit est conditionné par tout une artillerie d'artefact et de dépendance aux machines et au virtuel, lesquels finissent même par se substituer aux plaisirs de la chair. Al Tiba9 est l'un des événements artistiques les plus marquants de ces dernières années en cela qu'il apporte à chaque édition un souffle nouveau et fait découvrir des talents aussi originaux que complexes venus des quatre continents.