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El-Maïn, berceau des ancêtres de l'Algérie profonde
Du douar à la ville, les crises de croissance
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 12 - 2016

Berceau des ancêtres durant des siècles, ce ne fut qu'un hameau, un refuge sûr et sécurisé dans les crêtes de Bibans, à l'intérieur des hautes et inaccessibles montagnes des Babors. Mais la dette de sang leur sera à chaque fois réclamée, et ils paieront à leur corps défendant. L'engagement des habitants d'El Maïn dans la guerre de Libération nationale lui ravira ses meilleurs enfants. Nombreux seront tués ou bannis. Mais la vie est plus forte. Ce qui était un douar est maintenant une ville avec ses besoins spécifiques et ses manques. Les mutations sociales ont un prix. L'adaptation à la vie moderne n'est pas sans crises récurrentes quant aux conditions matérielles. Internet et ses pendants Facebook, Twitter et Snapchat ne sont plus l'apanage de la jeunesse des grandes villes. Quelle riposte à cette crise de croissance qui ne finit pas de mettre au défi les responsables à quelque niveau que ce soit ?
Les hivers légendaires des Babors (2004 m d'altitude) seront désormais plus doux, les villageois ne greloteront plus au pied d'un radiateur gourmand en mazout : le gaz de ville arrive. Enfin ! Une revendication tonitruante qui date, les autorités concernées se sont fait tirer les oreilles pour se résoudre à s'attaquer sérieusement à ce problème récurrent qui avait fini par pousser les habitants d'El-Maïn (60 km au nord de la wilaya de Bordj-Bou-Arréridj) à sortir dans la rue crier leur ras-le-bol.
Aux premières lignes de cette revendication, les jeunes qui ont fini par bloquer la route afin d'attirer bruyamment l'attention des autorités. Ça ne pouvait plus durer. Se réchauffer notamment en hiver s'avère très onéreux : une bouteille de butane — à 220 DA — couvre à peine trois jours. Mais il en faudra d'autres pour les autres besoins domestiques. Idem pour le mazout polluant et qui, de plus, n'est pas sans effets désagréables en matière d'hygiène.
Encaissé dans les monts Babors, le village El-Maïn s'étire sur l'erg d'une colline qui s'élèverait à 690 m. Plutôt 950 m, estiment certains, à plus de 1 000 m rétorqueront d'autres. On ne sait pas à quelle... altitude se vouer ! Il reste que les chemins montent que l'on vienne de Medjana, de Guenzet (anciennement Ith Yaâla) ou de Ouled Khelifa ! Le chemin de wilaya 43 (CW43) offre l'avantage d'une route bitumée à souhait (un tapis, selon une expression consacrée dans tout le pays au demeurant) pour le plaisir de la conduite, malgré la vingtaine de kilomètres en épingle à cheveux assez éprouvante qui nécessite une attention soutenue. Ici, l'adage «au volant la vue c'est la vie» prend tout son sens. Au-delà de 40-50 km/h, cela devient périlleux. Cette route brise l'isolement d'une commune qui regroupe huit villages dont Sidi Idir, deuxième grande agglomération urbaine après le chef-lieu, El-Maïn. Il n'en demeure pas moins que l'absence d'une navette dans les deux sens Bordj - El-Maïn se fait nettement ressentir et l'on pointe bien évidemment un doigt accusateur vers qui de droit. En réalité, la municipalité a besoin d'une réelle mise à jour à plusieurs niveaux, outre celui du transport des voyageurs. En matière de population, le chiffre de 6 236 résidents permanents (pas loin du double vraisemblablement) date d'un ancien recensement et ne semble guère refléter l'explosion urbaine criante.
En ce lundi 14 novembre, c'est jour de marché ou souk comme tous les lundis depuis des lustres, selon un rituel immuable ! Clémente, la météo apporte sa touche d'un beau soleil caressant les burnous et les quelques têtes enturbannées. Les commerçants ambulants venus des villes avoisinantes et parfois aussi de loin installent leurs prés carrés dès les premières lueurs du jour dans une ambiance éphémère de bonne humeur. Un magasin de quincaillerie, ouvert l'année durant, a pignon sur rue et rajoute au décor hétéroclite où l'on peut trouver de tout avec cependant quelques spécificités puisque l'on y vend des produits des cultures du terroir : piments, oignons et autres légumes mais qui ne traduisent toutefois aucunement une agriculture florissante, un pis- aller, voire... Il n'en demeure pas moins que l'on peut tout aussi acheter de la belle sardine fraîche ou du petit thon à 450 DA le kg ! C'est aussi l'occasion de profiter de la viande de bœuf fraîche à 900 DA kg. En retrait du marché qui occupe la rue centrale, au demeurant en mauvais état, un marché aux bestiaux propose des baudets (23 000 DA) et de beaux bœufs (90 000 à 100 000 DA l'unité) respirant la santé.
Le revendeur anticipe nos questions et nous explique que durant la période de cueillette des olives et en l'absence de chemins vers les oliveraies et les propriétés agricoles, le baudet rend de précieux services tandis qu'une paire de bœufs est incontournable pour les labours des parcelles de terre à flanc de montagne comme c'est le cas précisément dans la région. Il est vrai que l'on met toujours en avant, faussement, la vocation agricole de cette région de la Petite-Kabylie que ne dément pas son incapacité à faire vivre ses habitants. Que peut-on tirer d'une terre de schiste ? Il en est de même de sa réputation de productrice d'huile d'olive très faible cette année 2015-2016 alors qu'au plan national, elle est considérée comme une année exceptionnelle du point de vue rendement quand bien même la moyenne du prix du litre se stabilise entre 700 et 900 DA pour l'huile de qualité supérieure de Tamokra-la-Bourgeoise (8 km au nord-ouest d'El-Maïn). Est-ce suffisant pour la consommation domestique ? Survivance des temps passés qui se conjuguent encore au présent, un marchand ambulant ne se fait plus d'illusions quant à la bonne marche de son affaire, puisque, désormais, les produits chinois concurrencent ses pioches, binettes et autres outils métalliques fabriqués par le forgeron du coin, un métier de longue tradition au demeurant. Trouvera-t-il acquéreur pour ses selles à 3 500 et 4 000 DA, ses fourneaux à gaz bricolés ?
Les deux cafés maures du «centre-ville» connaissent l'habituelle fréquentation d'une clientèle de retraités et de chômeurs fébriles autour de parties de dominos interminables. 11h30, c'est place nette, les commerçants ont déjà quitté les lieux vers d'autres places publiques. Quelques agents communaux prennent la relève s'activant à nettoyer les lieux. Vite fait bien fait, tant il y a peu à faire. Cela n'empêchera pas Abderrahmane Bensiline, chef du service hygiène et écologie, de venir inspecter. A 29 ans, ce poète et artiste- peintre accompli occupe cette fonction par défaut en attendant des opportunités plus motivantes, lui qui a déjà à son actif plusieurs expositions de ses œuvres dans des galeries en Algérie et en France. Ce natif d'El-Maïn, issu d'une vieille famille dont les ancêtres ont été les premiers à élire domicile dans cette montagne des Bibans, est le secrétaire général de l'association Thafat qui compte 94 adhérents qui versent chacun 100 DA de cotisation par mois. Des chaises entreposées pêle-mêle, une télé grand écran, un ordinateur et une table constituent son patrimoine. L'emplacement du local en contrebas de la ville est en lui-même un acquis. Les animateurs de Thafat veulent bien croire dans les actions des associations dans la vie de la cité même si elles ne profitent pas encore des 3% du montant des subventions prévues par la loi. Au nombre de quatre, ces associations : Unité et travail (El Ouahda Oua El 3amel), Assirem, Izdihar et Thafat revendiquent le droit d'être entendues quant à leur rôle sur plusieurs sujets qui interpellent aussi l'APC que préside Brahim Mazouz (3e mandant, tour à tour FLN, RND, puis indépendant, voire...) qui nous a frustré de réponses aux questions que nous avions prévu de lui poser. Il est vrai que nous ne nous attendions pas à cet art de l'esquive ! Benbetka, le président de l'association Izdihar, aurait réuni quelques dizaines de millions de dinars en 5 ans pour couvrir les frais de pose d'un réseau d'eau potable pour tout un quartier. Au-delà du chef-lieu communal, le dénuement de villageois sans ressources est parfois insoutenable. «Ce sont les associations qui font marcher la commune.» En effet, si la djemaâ du village appartient désormais à l'histoire ancienne — nous l'avons cherchée en vain —, c'est dans la salle de conférences de l'APC que se retrouvent les résidents de la commune, dans son acception «société civile», les dimanches, pour exposer leurs doléances et desiderata à Brahim Mazouz qui nous fait part de son exaspération à arbitrer de menus litiges entre voisins. Et parfois ce n'est pas une mince affaire tant il est difficile de concilier les subjectivités propres aux montagnards ! Ce n'est pas tout tant il a du grain à moudre car les problèmes les plus concrets sont posés par la jeunesse el-maïnie qui attend beaucoup de l'engagement de leur élu à qui elle reproche de se motiver beaucoup plus pour la chose politique. Un moyen de juguler la pression des revendications qui s'exerce en permanence sur lui ? Et s'il donne l'impression de ne pas être né de la dernière pluie puisqu'il est au fait des affaires de ses administrés, les défis auxquels il doit faire face font ressentir leur acuité. L'urgence, malgré son splendide isolement imposé par la nature d'un relief montagneux et les chemins escarpés, la petite ville d'El-Maïn s'éveille aux besoins du monde d'aujourd'hui. Smartphone, wifi et leurs pendants Facebook, Twitter et Snapchat font partie des nouvelles mœurs. Et l'on se tient informé «plus vite que tout de suite», ainsi que le proclame une publicité. La parole libérée se fait entendre jusqu'en haut-lieu. La «culture de l'émeute» faisant, walis et ministres inscrivent plus régulièrement dans leur agenda El-Maïn même si les promesses ne sont pas rapidement suivies d'effet. Bien plus, cet intérêt des hautes autorités semble répondre au grand problème de «visibilité» dont souffre la commune depuis des lustres, comparativement aux autres municipalités. L'occasion pour ses habitants de mettre à profit cette providentielle écoute pour exposer des doléances spécifiques à caractère social, en matière de santé et de formation des jeunes, les loisirs, des questions sur lesquelles tous s'accordent quant au déficit criant souvent source d'incompréhension.
Abdelhamid Mokrani, 76 ans, haut de taille, un commerçant aux allures de patriarche, ne comprend pas que les 40 enfants de son village demeurent sans centre de formation malgré la promesse (d'une enveloppe de 11 milliards de centimes) faite par l'ancien ministre El Hadi Khaldi lors de son passage. Pis, nous dit-on, lors du précédent mandat, les équipements acquis pour doter le centre de formation (une ancienne école) ont été détournés vers une autre destination ! La raison invoquée par le chef de daïra est... l'absence de jeunes à former ! Comme pour mieux corser le sujet, une solution a été proposée, à savoir inscrire ces jeunes dans le centre de Guenzet (anciennement Ith Yala, 9,5 km) ou à Ath Ouartilane à titre gracieux, nourris et blanchis. Mais le vieux Mokrani ne l'entend pas de cette oreille et revendique plutôt une antenne à El-Maïn même et invoque les problèmes de transport, etc. En fait, c'est compter sans les rivalités entre villages et le «nif» ! Mais là où le bât blesse, c'est la situation des jeunes diplômés de l'université qui reviennent au village et qui se retrouvent au chômage qu'ils soient à Amezrareg, Ath Halla, El-Majene, Aglaguel, Takroumbelt ou du chef-lieu de la commune. Les jeunes se dressent pour dénoncer le manque de loisirs et les infrastructures y afférentes.
Pour l'heure, l'abcès de fixation est la Maison de jeunes qui n'est pas près de prendre forme, comme nous avons eu à le constater par nous-même. Situé à quelques dizaines de mètres en bas de l'APC sur le bas-côté de la route principale de la commune, le site offre une image de désolation avec le ferraillage des fondations livré à la rouille. Cinq millions de dinars ont déjà été engloutis pour très peu ! Les travaux sont à l'arrêt et les intéressés — l'APC, les jeunes, l'entrepreneur — sont dans une situation d'expectative en attendant une solution. Les jeunes font pression et menacent.
Brahim Mazouz proteste quant à l'utilité d'une telle structure et cède mauvaise quand il faudra aussi songer à construire une auberge de jeunesse pour les échanges culturels. Il nous déclare qu'une enveloppe supplémentaire de 5 millions de dinars vient d'être débloquée pour convaincre l'entrepreneur de reprendre les travaux. Et les délais de livraison ? Ce que le président de cette municipalité semble ignorer est que ce village est devenu une ville avec ses besoins propres en matière de circulation de personnes et d'ouverture sur le monde.
En effet, à l'instar des autres villages, El-Maïn n'est plus le douar des parents mais une ville en évolution, malade de sa croissance et d'absence de vision à long terme. Les maisons ne sont plus en pisé et tuile rouge italienne mais en terrasse béton.
Le climatiseur remplace l'éventail ! Il faut être aveugle pour ne pas voir ce bouleversement urbain. Autres temps, autres mœurs ! Les besoins de la vie moderne se font déjà sentir. Pas d'hôtels pour les passagers ou les touristes d'un jour, pas d'auberge pour la réception des jeunes dans le cadre d'échanges. La demande potentielle est pourtant appréciable. A l'heure où il est question de ressources pour les communes, n'est-ce pas là des opportunités d'investissement et donc de sources de revenus? El-Maïn en manque cruellement. La terre (s'il n'est pas excessif de qualifier ainsi un sol pauvre et aride), traditionnellement exploitée, ne nourrit pas son homme. Mais a-t-elle pu en définitive subvenir à ses besoins à une époque ou à une autre ? L'économie rurale moribonde pousse à explorer d'autres ressources, à rechercher d'autres possibilités de création de richesse qui, outre l'emploi induit, contribuera à fixer les populations et peut-être aussi à encourager ceux qui voudront revenir au bercail. Du reste, la fiscalité locale est insignifiante vu l'absence totale d'activité génératrice de revenus. Et ce ne sont pas les quelques petits commerçants qui sont susceptibles de renflouer les caisses de la commune, laquelle, sans les subventions de l'Etat, est tout simplement condamnée à une mort clinique. Par contre, on ne comprend pas que les quelques atouts dont dispose la municipalité ne sont pas mis en valeur quand ils ne sont pas bloqués. Qu'en est-il de la source d'eau de Mezraregue où pourrait être implantée une usine d'eau minérale, de l'unité de transformation plastique d'Ath Halla qui attend l'autorisation d'extension afin de sortir de son carcan d'unité artisanale ? L'élevage bovin est inexistant bien que les conditions s'y prêtent vu le climat tempéré : 15,7°C de moyenne annuelle et une pluviométrie à faible précipitation, 358,6 mm/an, alors qu'à Alger elle est de 672,3 mm ! (Alors qu'il pleuvait à torrent dans la capitale les 14 et 15 novembre, à El-Maïn le temps était sec, le ciel peu couvert). Nombreux sont ses enfants qui l'ont quitté mais nourrissent une grosse nostalgie du village de leurs parents. Développer le «tourisme de nostalgie» en l'absence d'infrastructures hôtelières ? Si la forêt se rebiffe à l'entrée de tout le territoire de la commune, découvrant une terre aride et sans couverture végétale, l'on est par contre conquis, fasciné — et c'est peu dire —par les forêts denses de pins et de sapins de Djaâfra, Achabou, Colla et celle d'Adar Umaza que traverse le CW23. L'écosystème respire l'équilibre parfait. Le calme des lieux est une thérapie pour nos angoisses et stress de gens de la ville. La pointe d'inquiétude qui naît en nous vu la solitude de l'endroit ne résiste pas longtemps, la sécurité règne en maître, nous dit-on.
Les thermes d'El-Baïnene d'Ath Halla, à 10 km du chef-lieu de commune, au fond de la vallée, accessible par une route non goudronnée mais carrossable par temps sec, sont une référence pour les gens de la Petite-Kabylie. Pour y accéder, il faut traverser le village fantôme Aht Halla, intact mais fui par les siens. La station thermale a l'avantage d'être située dans le carrefour Guenzet-Sétif par Bordj-Bou-Arréridj-Béjaïa par Akbou. Pour 150 millions/mois, l'APC a cru judicieux de la donner en gérance à un exploitant privé. Située sur une rive verdoyante de l'oued Ath Halla qui sépare El-Maïn de Guenzet, on vient aux thermes dont on vante les vertus curatives pour une journée ou un court séjour dans le respect de l'intimité des familles. La politique des prix pratiqués ne diffère pas de beaucoup des grandes stations thermales. Le bain à 150 DA la journée sans chambre, 5 000 DA pour une famille de 4 personnes, les soins compris. C'est dire... N'est-ce pas là une opportunité à en faire une station thermale digne de ce nom offrant toutes les commodités et remplacer ses structures légères de bois qui nous donnent l'impression d'être face à un baraquement de transit !
En outre, force est de relever que ces thermes sont plus connues de bouche à oreille que dans la nomenclature des stations thermales d'Algérie comme Hammam Guergour à Sétif, pourtant situé dans la même aire géographique.
«On ne naît plus à El Maïn !» accuse un accompagnateur au vu du déficit des infrastructures de santé. En l'absence d'une clinique d'accouchement, il faut se déplacer à Akbou (36 km) à travers des routes sinueuses et en pas moins d'une heure. Là aussi les habitants fustigent les autorités car en période de froid (surtout décembre-janvier), les routes sont bloquées, il tombe plus de 50 cm de neige. Malgré l'intervention du chasse-neige, il est parfois trop tard pour la femme arrivée à terme pour l'accouchement. Huit villages et non des moindres gravitent autour du chef-lieu, El-Maïn, secondé par la deuxième plus grande agglomération urbaine, en l'occurrence Sidi Idir. Il manque des médecins spécialistes plus utiles que la pléthore d'infirmières qui s'acquittent tant bien que mal des accouchements que fera mieux une sage-femme formée pour cela.
Les «ronds-de-cuir» auront tout le loisir de faire le constat des besoins par ailleurs. Venus de Bordj-Bou-Arréridj, l'exécutif de wilaya était là ce lundi 18 novembre pour s'enquérir des travaux de mise en place du réseau de gaz de ville. A Sidi Idir en effet, l'équipe d'un jeune entrepreneur s'active à creuser au marteau-piqueur, à travers une ruelle étroite, dans le schiste, l'excavation devant recevoir le réseau de gaz.
Les travaux traînent en longueur et ne sont pas du goût du responsable de la wilaya venu constater de visu l'avancement des travaux. La joie des riverains est lisible sur les visages. Il était temps ! Promesse, le lâcher de gaz sera effectif avant fin novembre, c'est-à-dire avant les grands froids de l'hiver qui étendra son manteau blanc dès le mois de décembre pour la plupart de ceux qui ont réglé les frais de raccordement de 10 200 DA, nous affirme-t-on. C'est plus qu'une évidence : on ne se réchauffe plus au feu de bois ! Et si le gaz de ville est synonyme de confort domestique, l'eau dans le robinet l'est encore plus. Et pour cause, elle est rare, très rare.
Les fontaines publiques appartiennent au passé. Elles sont toutes à sec, y compris celles le long de la route Medjana - El-Maïn... Les forages auxquels l'on a recours ne suffisent pas pour les besoins d'une urbanisation accélérée et le bouleversement du mode de consommation. La population sortie dans la rue a eu à exprimer sa colère. Beaucoup d'espoir est attaché au colossal projet de transfert à partir du barrage de Tichy Haf (commune de Bouhamza) d'une capacité de stockage de 150 millions de mètres cubes. 900 milliards de centimes est la coquette somme débloquée pour ce projet. Encore faudra-t-il s'attaquer sérieusement aux déperditions d'un réseau dont la commune n'a pas les moyens d'assurer la maintenance, selon Brahim Mazouz qui accuse aussi certains résidents de procéder à des piquages clandestins sur le réseau. Il reste qu'à l'école primaire mixte flambant neuf El-Mokrani, à l'entrée de la commune (face au carré des martyrs d'El-Maïn !), l'eau courante y est, comme nous avons eu à le constater à notre arrivée à l'heure de la récréation dans le brouhaha joyeux des écoliers en tabliers roses et bleus, copie conforme d'un établissement scolaire de n'importe quelle grande ville. Les enfants le rendent bien en décrochant la 2e place en réussite de la daïra de Bordj-Bou-Arréridj. Un bémol toutefois avec le faible taux de réussite au bac 2016 à cause des «perturbations» qu'à connues l'année scolaire.
«La dette du sang» est fortement mise en avant par les populations d'El-Maïn qui a énormément souffert. Et d'ailleurs n'ont-elles pas tenu à aménager un imposant cimetière juste à l'entrée de la ville comme pour signifier au visiteur son engagement massif dans la lutte contre l'armée coloniale française ? Ce carré des martyrs est à tout le moins une référence parlante. Base arrière de prédilection pour les moudjahidine, du fait de son isolement et de la sécurité, le village d'alors devait, dit-on fièrement, réunir le Congrès de la Soummam si le projet n'avait pas été éventé. Les colonels Amirouche et Si Haouès étaient les hôtes réguliers d'El-Maïn (Wilaya III). De même qu'on signale le passage de Baya, infirmière de l'ALN, puis artiste peintre mondialement connue. Dans ces montagnes que l'on croyait protégées par leur inaccessibilité, on a assisté pour la première fois à l'utilisation des avions T-6 (achetés en quantité par la France aux Etats-Unis pour être reconvertis en bombardiers anti-guérilla d'abord à El-Maïn). L'année 1956 sera meurtrière pour les habitants. Quatre jours durant ce fut un déluge de feu qui n'épargna ni les humains ni leurs bêtes. Des familles entières furent décimées chez elles par l'explosion de bombes d'une tonne et demie.
D'Achabou, village d'en face, la riposte a permis de faire tomber quatre de ces semeurs de la mort. Dans un local d'une ancienne école datant du début du XXe siècle, transformée alors en PC et en centre de torture par l'armée française, moteurs et autres restes de ces bombardiers y sont entreposés. Ils sont couverts de poussière dans un total mépris de leur importance pour l'histoire de la région (preuves matérielles). Leurs maisons détruites, les villageois n'abdiquent pas pour autant. Bien au contraire, ils mettent en avant les 450 chahids ! Un livre d'un natif du village, Brahim Challal, a le mérite de fixer cette page d'histoire dans «Tayelmaïnite». Dans une ode à Amirouche, la chanteuse Nora lui rendra un vibrant hommage dans une complainte à vous donner la chair de poule et qui remplira longtemps de son air les chaumes. Le «lion des djebels» était aimé, adulé ! A quand un musée à El-Maïn afin d'y exposer toutes ces reliques d'une histoire tragique ? Auparavant, suite à l'insurrection en 1871, d'El-Mokrani-Aheddad, nombreux seront les villageois déportés en Nouvelle-Calédonie et Cayenne, ce qui dément la thèse de Mouloud Gaïd (Les Béni Yala) quant à la participation de la région dans cette guerre contre l'occupant. Est-ce dû à une vieille rancune qui remonte bien loin dans l'histoire et qui avait opposé El-Maïn à Guenzet au XIIe siècle ? Plus près de nous, les accrochages entre l'ALN et les éléments du MNA (fortement implantés à Guinzet) de Messali Hadj durant la guerre de Libération étaient fréquents.
Nostalgie du passé, fantasme né d'un déchirement toujours mal vécu suite à l'exode, les El-Maïnis s'insurgent. Ils attendent une juste reconnaissance du sacrifice de leurs parents, à l'instar des autres régions. Un rapide parcours sur les réseaux sociaux renseigne sur ce besoin.
Les critiques fusent. Le plus inquiétant est ce que qu'appelle le sociologue Nacer djabi «la haine de soi», du fait justement de cette absence du «récit historique» d'où découle une «autoflagellation» d'une rare violence. La notoriété de la diva Cherifa (Bouchemal Ouardia) décédée en 2004 et enterrée à El-Maïn (et non à Ath Hallah) n'aura pas suffi à faire la promotion de son village natal. Les rares personnalités qui ont frayé dans les cercles du pourvoir n'ont pas fait profiter leur bled d'un quelconque programme, plus préoccupés qu'ils étaient par leur carrière. Par ailleurs, ne dit-on pas que l'importance d'un peuple se mesure à l'importance qu'il accorde à ses morts ? Cela se vérifie à El-Maïn. Creusées dans un cimetière en pente raide sur trois paliers, tout en bas de la ville, les tombes des anciens sont envahies par les herbes folles et n'ont pas, pour la majorité d'entre elles, conservées leurs repères (pierre tombale ou «échahed»). Indiscutablement, un cimetière est un livre ouvert, le point de départ de tout retour aux sources, une mémoire à sauvegarder. Qu'attendent pour réagir les services de l'APC ? C'est dans le centre du vieux Bord-bou-arréridj que les anciens se donnaient rendez-vous, s'informaient sur les événements de leur village. Lieu de rencontre : le café situé à l'angle des rues Ben- Boulaïd et El-Haddad fermé depuis trois mois. Le quartier est devenu un haut lieu du change parallèle où les cambistes, de gros paquets de 1000 et 2000 DA à la main, battent le rappel d'une éventuelle clientèle... Les temps ont bien changé !
Benyahia Mokhtar, 87 ans, est né et vit depuis toujours à Sidi Idir. Il dit : «Que tous les sacrifices ne soient pas vains. Riches et pauvres doivent travailler à construire notre pays. Que ceux qui ont de l'argent l'investissent ici. Grande est notre souffrance.» Comme pour rassurer, un autre vieillard s'invite et dit de lui-même : «L'espoir revient.» «Ifuk el hif ?» (finie la misère ?).
B. T.
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