Il y a cent ans naissait à Ksar El Boukhari, prés de Médéa, Hassan El Hassani, l'un des plus grands comédiens algériens et du monde arabe. Dans sa jeunesse, Hassan Hassani, fils d'un instituteur, ne savait pas qu'il allait devenir le plus grand comique algérien aux côtés de Rachid Ksentini. L'infatigable homme a été coiffeur, comédien, représentant commercial et député. Il aimait sa famille, son métier d'artiste et sa deux-chevaux. De son vivant, Hassan El Hassani a connu la joie qui suit les applaudissements et les hommages mais aussi la tristesse, la déception et la mal-vie. En 1959, alors qu'il venait de passer trois années d'emprisonnement dans les camps de concentration de Beni-Messous, Tefechoun, Bossuet et Paul-Cazelles aux côtés d'autres artistes notamment Tayeb Abou El Hassan qui sera son compère sur scène, l'artiste, voulant arriver très vite revoir sa mère, arrive à la maison se trouvant au quartier El-Idrissi à Bouzareah vers minuit en plein couvre-feu. Il frappe à la porte et entend la voix de sa mère : «echkoun ? (Qui est-ce)». Il répondit : «Hassan !» Un long silence s'ensuivit et la porte resta fermée. Attendant une nouvelle fois la voix féminine, il n'eut que le silence. Il retape de plus belle et quand la porte s'ouvrit, il constata que sa mère était morte derrière cette porte du silence. La surprise était trop bonne pour que la maman qui aimait tant Hassan ne puisse supporter l'attaque cardiaque. Hassan Hassani n'aura donc jamais plus l'occasion d'entendre la voix de sa mère qu'il voulait revoir depuis son premier jour d'emprisonnement. La bougie qui se fait brûler Hassan Bencheikh, connu surtout sous les pseudonymes de Hassan Hassani et Boubegra aurait déconseillé à son fils Cherif de suivre une carrière artistique. Pourtant, très doué, Cherif aurait facilement pris une place parmi nos meilleurs comiques. On se demande pourquoi le plus grand comédien depuis Rachid Ksentini a décidé de décourager son fils de suivre la carrière d'artiste. Cet acte de Hassan El Hassani est sûrement motivé par le fait qu'il en avait souffert. L'artiste était l'exemple type de «la bougie qui illumine son entourage tout en se faisant brûler». L'homme qui a toujours caché ses souffrances a connu des moments très difficiles durant sa vie. De Boghar où il est né le 21 avril 1916 à Bouzaréah en passant par les camps de concentration durant la guerre et Boufarik, le comédien qui était un grand travailleur a su garder son sourire et ses blagues pour faire la joie autour de lui. N'ayant jamais laissé tomber son accent naturel de guebli, il en profitera pour en faire son atout principal dans la vie et sur scène. Lors de son passage par les camps de concentration de Beni Messous, Paul-Cazelles et Tefechoun, il a continué à jouer des pièces avec ses amis comédiens tels que Tayeb Abou El Hassan qui sera son compère sur scène pendant une longue période. Ce duo a également enregistré plusieurs disques (45 tours). Bien qu'on ne le connaisse que dans le rôle de montagnard, Hassan El Hassani pouvait jouer n'importe quel rôle. Il a prouvé ce don et ces capacités dans son monologue «Ya baba Atini Dourou» en jouant neuf rôles dont celui d'une vieille, d'un enfant et d'un Marseillais. Fils d'un instituteur décédé en 1985, Boubegra avait obtenu son certificat d'études vers 1930. Par la suite, il avait été coiffeur, puis gérant du cinéma Rex de Berrouaghia avec son frère Belkhir. Député, mais toujours artiste C'est suite à la mutation de son père qu'il est rentré sur Alger. Apres avoir exercé son premier métier de coiffeur à Boufarik, il travaillera comme représentant chez Lesieur-Tamzali avant de se consacrer à son premier et vrai amour, le théâtre. Il faut noter que Hassan Hassani avait déjà créé une troupe à Berrouaghia et avait joué ses premières pièces El Cadhi Bouchroura et Le rêve de Hassan. Les deux pièces seront rejouées plus tard sous d'autres versions. En 1963, dès la création du TNA (théâtre national algérien), Kateb le met sur la liste des comédiens (de première catégorie), ce qui lui permettra de toucher un salaire de 1400 dinars. Mais quelques années plus tard, le TNA connaîtra quelques problèmes, ce qui poussera Hassan El Hassani et quelques compagnons, notamment Tayeb Abou El Hassan, Kaci Ksentini, Amar Ouhadda, Hamid Nemri et Stambouli, à créer la TTP (troupe théâtrale populaire). Cette troupe sillonnera tous les coins perdus de l'Algérie pour donner des spectacles. Plusieurs artistes, jeunes et moins jeunes feront partie de cette troupe dont Mustapha El Anka, Rachid Zouba, Warda Amel et le futur chanteur Meskoud. La TTP avait également donné des dizaines de spectacles dans les casernes du sud. Hassan El Hassani a réussi une double carrière de comédien et d'acteur de cinéma. En 1959, il avait déjà joué dans le film Le charlatan. Après l'indépendance, il sera à l'affiche dans Z, Les aveux les plus doux, Le vent des Aurès et L'opium et le bâton. Il jouera dans plusieurs dizaines de films dont quelques-uns en Italie, en France et en Egypte. En 1976, on lui propose de déposer sa candidature pour devenir député à l'assemblée nationale. Après réflexion, il accepte et sera classé largement premier au suffrage. Lors de la première séance, feu Rabah Bitat, président de l'APN de l'époque, lui avait lancé : «Alors, tu goules ou tu goules pas ?» (faisant allusion à sa pièce), et Boubegra lui rétorquera par cette repartie qui restera dans l'histoire : «Ici, si tu goules tu coules !» Pendant sa période de députation, l'artiste mettra au garage sa 2CV pour rouler dans une Passat bleue mais retrouvera plus tard sa Citroën tant aimée. Par la suite, il ne cessera plus de tourner car il devient parmi les acteurs les plus recherchés. Alors qu'il devait faire une tournée en Amérique dans les années 1980, le président Chadli l'invite à faire partie de la délégation. Une deuxième surprise l'attend à San Francisco puisque le chef de l'Etat lui organisera son anniversaire. Le rêve de Hassan s'est-il réalisé ? Les portes du silence
Sans montrer ses douleurs, l'infatigable artiste finira par se fatiguer et céder à la maladie qui l'attaquait. En jouant dans Les portes du silence de feu Amar Laskri, il finira un jour par se confier, alors qu'il nous transportait dans sa 2CV, de Chevalley vers Bouzareah : «Ya wlidi, rani m'ridh» (mon fils, je suis malade). L'artiste, l'ami de tout le monde, l'homme qui aimait tout le monde et que tout le monde aimait, ne terminera jamais son film. Son cœur cessera de battre dans Les portes du silence. Des portes ressemblant à celle qui était restée silencieuse pour ne lui annoncer que la mort de sa mère.