«La préparation pour la lutte armée était difficile dans la région», nous confie le moudjahid Rabah Akkouche dit Rabah Lkbayli, qui nous a reçu dans sa maison au village Omar, distant de 3 km de Bordj Ménaïel, à l'est de Boumerdès. Ce militant de première heure, ayant rejoint le PPA juste après sa sortie de la prison alors qu'il n'avait que 19 ans, était chargé de la collecte des cotisations. «Je me rappelle, c'était en 1944 que Zidi Mohamed, militant du PPA, commença à structurer les groupes pour la collecte des cotisations. Et c'est à lui qu'on rendait compte chaque mois avant qu'il les transmettait pour l'achat des armes», se remémore Ami Rabah. Et de continuer : «Nous travaillions dans la discrétion la plus absolue en évitant soigneusement les autorités coloniales françaises qui surveillaient chaque périmètre dans une région isolée. J'ai toujours caché mon activisme politique même parmi mes proches et ma famille». Durant les années quarante, l'armée française exerçait une pression féroce sur les populations de cette région Ouest de la wilaya III. «Les autorités coloniales ont compris que la région était l'un des piliers de la Révolution nationale dont il fallait mater et isoler», nous précisa encore notre interlocuteur. D'ailleurs c'est ce qui est arrivé au lendemain du déclenchement de la lutte armée par la construction des centres de détentions, de zones tampons et de sections administratives spéciales (SAS). «Notre activisme politique, durant cette période, avait disparu suite à l'arrestation de 45 personnes ainsi que moi-même par l'armée française. Nous étions tous emprisonnés à la Maison d'arrêt de Tizi Ouzou», raconte Ami Rabah qui disait alors au juge : «Je veux la liberté pour mon pays». A sa sortie de la prison, ce militant fut expulsé par les autorités administratives coloniales pour s'installer à El Harrach dans l'Algérois. Ici, le militantisme n'était pas aussi facile d'autant plus qu'il ne connaissait pas beaucoup de monde dans l'Algérois, un département sous contrôle total des autorités coloniales. Cela ne l'avait pas empêché d'activer dans la clandestinité et la discrétion et changer le modus operandi. «Nous avons réorganisé les groupes par trois personnes et diviser El Harrach en cinq régions pour faciliter le contact entre nous. Afin d'éloigner tous soupçon, nous organisions nos rencontres autour d'une table à l'intérieur des bars. Et ça a réussi», confie Ami Rabah. «On a réussi à accomplir certaines missions durant l'année 1947 notamment l'attaque de la brigade de la Gendarmerie d'El Harrach et l'usine de liège de la ville. On a pas fait de victimes humaines mais on avait réussi à semer la panique dans le cœur des autorités coloniales qui n'avaient pas attendu pour riposter. Et depuis la pression ne cessait de s'accroître sur nous. Ce n'est qu'en 1953 que nous décidâmes de nous rendre à Blida, suite à l'assaut de l'armée coloniale contre un cafétéria qu'on gérait à El Harrach. Nous avions réussi à prendre la fuite», a-t-il ajouté. Toutes les conditions favorables étaient presque réunies pour lancer la révolution armée contre le colonialisme français qui n'avait pas hésité de surveiller le moindre geste. «C'est à ce moment-là que nous avions compris que le moment était venu et que la lutte armée allait se déclencher à tout moment», dixit Ami Rabah avec un ton rassurant avant d'ajouter : «Notre groupe a décidé de quitter Blida pour rejoindre les maquis de Sidi Ali Bounab où les moudjahidine étaient campés». Malgré la pression militaire coloniale, les moudjahidine ont pu s'en sortir et atteindre des objectifs importants. «L'assaut lancé, en mars 1955, sur les monts de Sidi Ali Bounab, appuyé par des forces aéroportées, a fait un mort parmi nos hommes. Durant le même mois, l'armée coloniale avait lancé cinq opérations dans la région touchant ainsi Laaziv du côté de Chender, Bordj Ménaïel, Issers et Timezrit. On avait perdu 5 hommes». Les combats dans lesquels il avait pris part comme chef de section avant de regretter la perte d'une vingtaine d'autres de ses camardes d'armes, tués en 1956 dans des combats près de Voumissra, son village natal, et Igassithen sur la route de Timezrite. Des renforts pour la Wilaya IV En dépit de la pression militaire, les populations locales adhéraient massivement à la lutte armée. Mais dans d'autres wilayas notamment IV les préparatifs n'ont pas été à la hauteur des aspirations des cadres du FLN et de l'ALN. Des groupes et sections furent dépêchés sur place notamment dans les maquis de Zberbar, Oued El Maleh, Beni Maoune, Palestro, Bouzegza, Béni Khelfoun pour soutenir les moudjahidine de la région ceux qui étaient en difficulté. «Mon groupe a fait partie des contingents appelés en renfort. De mai à août 1957, nous avions perdu près de 128 hommes dans des combats contre les forces coloniales. La plus sanglante était celle de Béni Maoune près de Lakhdaria où 72 moudjahidine tués en l'espace de cinq jours par de bombardements intensifs des forces coloniales aéroportées. Cet assaut intervient au lendemain de l'embuscade dit de Palestro près de Djerrah à mi-chemin entre Ammal et Lakhdaria. Ici, l'armée coloniale avait perdu beaucoup de soldats», Ami Rabah se souvient encore de la férocité de l'attaque de l'armée coloniale qui n'avait même pas épargné les pauvres villageois. «Les autorités coloniales ont intensifié la pression sur la région qui commença à se réveiller et à se révolter. J'ai organisé une rencontre avec le colonel Bouguerra et le commandant Si Lakhdar afin débattre de la situation et l'unité des rangs dans cette région boisée et au relief difficile. Nous avons décidé de concentrer nos efforts sur le renforcement dans nos rangs et gagner la confiance des populations locales qui hésitaient pas à adhérer à la cause nationale», dira encore Ami Rabah. En pleine guerre de libération, l'armée coloniale intensifia la pression et les opérations militaires sur toutes les grandes villes du pays. Le manque en armement, durant plusieurs années, n'a pas réussi à souffler la volonté des moudjahidine à aller de l'avant et libérer le pays du joug colonial. «C'était un tournant décisif pour la révolution armée», précise encore notre interlocuteur qui décida en compagnie de ses camardes d'aller rejoindre les frontières algéro-tunisiennes pour s'approvisionner en arme. De 1958 à 1960, le groupe de Rabah Lkbayli a participé dans plusieurs combats contre l'armée coloniale notamment à Zarif où près de 170 combattants furent tués, à Djebel Deroua près d'El Ounza à Bourabiaa.