Psychiatre et psychanalyste, mais aussi auteur de nombreux essais et ouvrages, notamment sur Frantz Fanon dont elle fut la collaboratrice, Alice Cherki, grande dame et militante pour la cause algérienne, vient de publier Mémoire anachronique, lettre à moi-même et à quelques autres. L'ouvrage Mémoire anachronique, lettre à moi-même et à quelques autres d'Alice Cherki, paru en même temps aux éditions de l'Aube et en Algérie chez Barzakh, raconte l'histoire de cette psychiatre et psychanaliste qui revient sur sa vie à Alger durant la Guerre d'Algérie. «Ecrire mon parcours, j'ai commencé à le faire depuis un moment. Seulement, je n'écrivais pas dans le but de publier. C'est bien après, lorsqu'on m'a encouragée à le faire que ça a suscité en moi un réel encouragement», nous dira Alice Cherki, rencontrée lors d'une vente-dédicace qu'elle a donnée samedi dernier à la librairie du Tiers-monde à Alger. Mémoire anachronique, lettre à moi-même et à quelques autres, n'est pas un essai, ni un récit historique mais une traversée et un ouvrage littéraire de 370 pages dans lequel cette militante s'y dévoile avec une grande authenticité. «Une lettre, littéralement la lettre en souffrance à partir de laquelle viennent se former des mots ou des paroles qui s'adressent à un autre, intérieur ou extérieur. Une lettre aussi comme celles que l'on envoyait par la poste, il y a longtemps déjà, à un éventuel destinataire auquel on voulait donner des nouvelles… offrir le témoignage que l'on était toujours en vie», écrit-elle dans la couverture de son livre. Fanon Alice, cette femme qui s'est spécialisée dans la biographie de son maître de pensée, Frantz Fanon, opère peut-être ici à un des plus difficiles exercices pour un psychanalyste : se regarder dans un miroir, faire appel à sa mémoire et livrer ce qui se tassait au fond de son âme. «Dans ce livre, je prends le parti de parler de ‘'je'‘ moi, mais comme si je parlais à quelqu'un d'autre dans le temps d'aujourd'hui, et qui ramène à des souvenirs du passé, des petites histoires de chacun d'entre nous liées à la grande histoire, celle de la décolonisation et de la Guerre de libération d'Algérie», a t-elle indiqué. Dans ses mémoires, le lecteur entrevoit le regard lucide que porte cette grande militante sur son propre parcours. Elle raconte et se raconte et dévoile une femme de la trempe des grands, à l'extraordinaire trajectoire de vie même si, elle dira qu'elle n'aime pas trop employer le mot de militante car, dit-elle, «c'est un mot trop figé, et je préfère parler d'engagement». Une vie passionnante Née dans l'Algérie coloniale, au sein d'une famille juive aux lointaines origines, Alice Cherki raconte dans son livre son enfance et son adolescence à l'Alger occupé, et son engagement précoce pour la cause d'une Algérie indépendante alors qu'elle était encore étudiante à l'université d'Alger. Elle raconte aussi des aléas de son parcours de militante, de son expérience avec Benjamin Stora et, surtout, de ses rencontres avec des êtres hors du commun, en particulier l'immense Frantz Fanon. Elle rend aussi hommage dans son livre à Pierre Chaulet ainsi qu'à beaucoup d'autres personnes qui l'ont marquée. Ce dialogue d'abord avec elle-même va faire remonter le passé et revivre les étapes d'une traversée singulière, jalonnée d'expériences politiques et humaines accompagnant la marche de l'histoire. Par ailleurs, concernant l'impact qu'a eu Frantz Fanon sur elle, Alice dira que dans la poursuite de sa pensée, aussi bien sur le plan de la psychiatrie que sur le culturel et le politique, «Fanon a été extrêmement important pour moi et mon parcours. Car, je partage son regard sur l'aliénation et ce, à tous les niveaux ainsi que sur les moyens de libération qui font que des individus peuvent être aussi des aliénés politiquement…», souligne-t-elle. Psychiatre et psychanalyste, Alice Cherki est née à Alger dans une famille juive en 1936 et vit à Paris depuis 1965. Coauteur de deux ouvrages, Retour à Lacan (Fayard, 1981) et Les Juifs d'Algérie (Editions du Scribe, 1987), elle publie Frantz Fanon (Le Seuil, 2000, Points 2016), témoignage sur l'homme et l'oeuvre, traduit en plusieurs langues ainsi que Frantz Fanon, portrait et La frontière invisible. Elle écrit, par ailleurs, dans de nombreuses revues telles Intersignes, Psychanalystes et Lignes.