Six mois après son installation à la tête du Haut comité de l'Etat, le président Mohamed Boudiaf est assassiné à Annaba par un des officiers chargé de sa sécurité. L'acte odieux, perpétré devant les caméras de la télévision nationale, plongea le pays tout entier dans la stupeur et la consternation. Dans l'incertitude aussi car, une fois passé l'état de choc, les Algériens ont compris qu'avec la mort de cet homme providentiel, c'est leur espoir d'en finir avec la désastreuse situation du pays qui s'envolait. Aujourd'hui, 18 ans après cet événement douloureux, le souvenir de Mohamed Boudiaf reste vivace chez de nombreux Algériens qui évoquent son nom non sans tarir d'éloges sur sa droiture, son franc-parler et sa sincérité. Sa bonté aussi qui valu à l'ancien révolutionnaire un nom de guerre fort évocateur, celui de Si Tayeb El Watani, «le bon patriote», qui refusa de tremper dans les complots fratricides, si nombreux durant la guerre de libération nationale et après le recouvrement de l'indépendance. L'enfant de Ouled Madi, qui participa avec des centaines de milliers de jeunes Algériens à la libération de l'Europe de l'emprise nazie, est horrifié par l'ampleur des massacres de Sétif, Kherrata et Guelma. Ces atrocités que l'Histoire qualifie déjà de génocide vont lui faire prendre conscience de son statut d'indigène. Il s'engagea alors dans le mouvement nationaliste, dans les rangs du PPA-MTLD dont il deviendra en l'espace de quelques années l'un des principaux animateurs. Convaincu de la justesse de la cause pour laquelle il milite, il participera à la création de l'Organisation spéciale (OS) et à la mise en place de ses cellules à travers plusieurs villes dont Constantine. Pourchassé par la police coloniale, il rejoint la France où il s'immergera dans la communauté émigrée. Jugeant les conditions propices pour une action révolutionnaire d'envergure, il retourne en Algérie en 1954 pour créer avec une poignée de chefs du MTLD le «Comité révolutionnaire d'unité et d'action» (CRUA). Quelques semaines plus tard, il participe à la fameuse réunion des 22 qui décida du déclenchement de la guerre de libération sous la bannière du FLN, le nouveau parti, dont Boudiaf détiendra la carte d'adhésion n° 1. Après le congrès de la Soummam dont il est l'un des plus importants animateurs, Boudiaf sera désigné membre du Conseil national de la Révolution Algérienne. Comptant parmi les personnes les plus recherchées par les services de sécurité français, il est arrêté en octobre 1956, suite au détournement, entre Rabat et Tunis, de l'avion civil marocain qui le menait au Caire, en compagnie de Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Emprisonné en France, à Aulnoy, pratiquement isolé des autres détenus, l'infatigable militant parviendra à faire délivrer ses instructions et ses directives aux structures dirigeantes de la Fédération de France. Incontournable, Boudiaf sera nommé ministre d'Etat puis vice-président du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA). Libéré en mars 1962 après la conclusion des accords d'Evian, il est l'un des principaux opposants à Ahmed Ben Bella. En désaccord avec le commandement de l'armée des frontières, il crée le parti de la révolution socialiste (PRS) en réaction à la constitution de la première assemblée nationale, totalement inféodée au bureau politique du FLN. Le 23 juin 1963, alors qu'il fête ses 44 ans, Mohamed Boudiaf est arrêté par la police politique. Il sera détenu plusieurs mois au sud du pays avant d'être libéré. Condamné à mort en 1964 par Ben Bella, il quitte l'Algérie et rejoint la France puis le Maroc. Au lendemain du 19 juin 1965, il écrit notamment : «ni la démagogie, ni les basses manœuvres n'ont pu empêcher la déconfiture d'un régime maintenu coûte que coûte, au mépris de toutes les aspirations et de tous les espoirs du peuple algérien. L'élimination de Ben Bella démontre en outre la justesse de nos positions. Mais le changement intervenu à Alger ne peut nous satisfaire. C'est tout le système qui était condamné et qui doit disparaître». Cette position sera réitérée dans la série de conférences sur l'Algérie qu'il animera en France notamment, et dans la revue El Jarida que son parti éditera jusqu'à sa dissolution en 1979, après la mort de Houari Boumediene. Au début des années 1980, rappelle son fils Nacer, l'ambassadeur d'Algérie à Paris lui avait proposé de rentrer au pays et de bénéficier des indemnités et des autres traitements qu'il aurait cumulés depuis l'Indépendance mais à la seule condition de s'abstenir de toute activité politique. L'homme qui a refusé les costumes Smalto et le faste des résidences d'Etat ne pouvait évidemment accepter l'indécente proposition.