Pendant que le commentateur de l'ENTV, particulièrement enflammé, s'égosillait dans un appel surréaliste à «refaire Oum Dorman», les jeunes footballeurs égyptiens donnaient une leçon sur le terrain à une équipe algérienne sans âme. Enflammé certes, le journaliste de la télévision ne croyait pourtant pas si bien dire : il n'y aurait donc qu'une «opération commando» qui pouvait permettre l'exploit de gagner ce match dont tous les indices techniques et physiques préfiguraient une nette victoire de l'adversaire égyptien. Et il en a rajouté : en louant jusqu'à l'émotion le... patriotisme de quelques supporters algériens accrochés à un poteau algérien. Comme pour apporter de l'eau au moulin de son collègue, le réalisateur, dans un élan solidaire et – une fois n'est pas coutume – synchronisé, laisse traîner une caméra sur ces téméraires supporters, téméraires et surtout mortellement patriotes. Sans jeu de mots. Comme ce soir-là on voulait décidément nous faire «la totale», on a même cru de bon ton de «convoquer l'histoire» pour rester dans la solennité du vocabulaire qui sied à ce genre de situations. Le commentateur nous rappelle donc, des fois qu'on aurait la mémoire courte, l'image qui aurait fait «le tour du monde». Celle d'un autre supporter algérien aussi téméraire et aussi mortellement patriote, juché sur un pilon du stade de Khartoum qui a abrité l'épopée des «Verts» dont les jeunes héritiers sont sommés de «refaire ça». Face à un consultant manifestement embarrassé de ne savoir parler que de... foot, le commentateur a mené son odyssée oratoire jusqu'au bout. Et à mesure que passait le temps et devenait évidente l'impuissance de la sélection algérienne devant la supériorité de l'adversaire, il s'est employé à s'aménager une porte de sortie dans un dérisoire argumentaire. Il s'est même rappelé, à quelques minutes de la fin du match, que l'Algérie ne forme plus de jeunes footballeurs, si tant est qu'elle en a formés un jour. Que les grands clubs égyptiens dont sont issus les joueurs qui forment la sélection sont de vraies entreprises structurées et gérées avec des normes professionnelles, avec tous les moyens et les infrastructures nécessaires. Il s'est même rappelé ce qui se passait sur le terrain, qu'il n'était pas seul à voir. Même s'il a continué, avec des calculs de contorsionniste, à nous expliquer que tout était «encore possible» malgré un nul contre le... Bénin et une défaite contre l'Egypte, on était pesque heureux de l'entendre parler de foot. Le problème est que dans un match, il ne sert à rien de commencer à parler de foot. De la même manière qu'en journalisme, il ne sert à rien de bien écrire à partir de la sixième ligne si le lecteur arrête de vous lire au bout de la troisième, comme le disait si pertinemment Françoise Giroud. Mohamed Henkouche, en entraîneur avisé et lucide, disait à la mi-temps tout le gouffre qui séparait la sélection algérienne de son adversaire, mais on ne pouvait pas le lui reprocher, ce n'est qu'à ce moment qu'on lui a donné la parole. Juste après le but égyptien. Et au moment où commençaient à pleuvoir les projectiles sur la pelouse, lancés par des supporters au patriotisme déjà entamé, pendant que la caméra s'attardait cette fois sur quelques femmes en tribune «réservée», montrées comme des ours polaires surpris sur le plateau de Tanezrouft. On ne refait pas Oum Dorman. «Même» à Aïn Témouchent.