Le gouvernement devrait tout de même éprouver quelque embarras à tenter de nous «vendre» concomitamment la réussite de sa politique sociale et l'augmentation de la pauvreté. Mais comme attendu, il ne pouvait pas faire le choix de l'impasse sur une opération de «solidarité» qui relève désormais du… sacré. S'il mesure parfaitement la vanité de l'entreprise, y renoncer serait trop spectaculaire pour être tenté. Au moins aussi spectaculaire que les formidables efforts déployés à l'orée de chaque Ramadhan à médiatiser l'aumône d'Etat, quitte à ce que tout se fasse dans l'humiliation de ceux dont il est censé atténuer la difficulté. Les cache-misère ont ceci de problématique : ils ne cachent rien et ceux qui en usent sont les premiers à le savoir. Alors ils en tirent ce qu'ils peuvent bien en tirer, y compris en «confirmant» ce que tout le monde sait déjà, l'essentiel étant d'être au rendez-vous, le moment convenu. Un peu pour vendre – à l'usure – la pertinence de leur opération, beaucoup pour faire oublier la sécheresse alimentaire du reste de l'année, par une pitance ostentatoirement distribuée pendant trente jours. Tellement ostentatoire qu'ils ne se gênent pas à aligner les chiffres de la misère. Un peu moins de six milliards de dinars pour cette année. Le même montant que l'année passée, mais en nette «progression» par rapport à l'année d'avant. Nous devons apprécier la précision, comme si elle était d'une importance… vitale. Et la précision étant en l'occurrence, une autre… religion, on apprendra dans la foulée qu'il y a tout de même plus de quatre cent mille «nécessiteux» que l'année dernière. Le chiffre a été peut-être revu à la baisse mais tel que livré, il suffit quand même au gouvernement pour nous dire que son «effort» solidaire est en hausse. Et… se faire violence. Mais pas vraiment, puisqu'il est convaincu que son déploiement, quand il est lié à ce que les Algériens ont de «culturellement» sensible, peut compenser tout le reste. Faute de démontrer une véritable politique de solidarité nationale, il fait valoir sa… piété en distribuant le couffin. Et ce qui ne gâte rien, ça a l'air de marcher ! On peut s'indigner en silence, quand vous êtes… sommés de bien manger pendant le mois de Ramadhan, pendant que d'autres vous aident ou font semblant à le faire. On peut faire son credo, onze mois durant, de ce dicton populaire qui dit qu' «on n'a rien mais nous ne manquons de rien», mais on ne refuse pas le couffin du mois sacré. Surtout quand on n'a pas vraiment les moyens de faire le chichi. La fausse spiritualité et la fausse solidarité ont ce don de tout mélanger. Elles font confondre le devoir d'Etat et l'élan du bienfaiteur, l'assistance sociale et l'aumône, la politique et la religion, la dignité et l'humiliation. Et comme dans cette curée de la misère, tout le monde doit être de la partie pour une rentabilité maximale, le gouvernement «mobilise» aussi les collectivités, les entreprises et les notabilités locales. Parmi ces bienfaiteurs en service commandé, il y en a même qui se sont proposés comme alibi «discrétionnaire», en préférant remettre la petite enveloppe à la place du couffin et du restaurant de la «rahma». La panoplie se complète donc jusque dans la forme. Reste le… reste. Il y a de plus en plus de pauvres qui vont se bousculer pour le couffin de Ramadhan et le gouvernement ne s'en plaint pas. Mieux – ou pire –, il semble y trouver son bonheur et il va encore le montrer dans une semaine.