«Le cinéma, c´est l´écriture moderne dont l´encre est la lumière.» Jean Cocteau La cinémathèque algérienne créée en 1964 par Ahmed Hocine est en décomposition avancée. Elle s´est éteinte de sa belle mort, comme le héros qui porte le nom de sa rue. La cinémathèque d´Alger est fermée depuis plus deux ans sans qu´aucun réalisateur, producteur, comédien ou association ne se soucie de son sort. Fermée officiellement pour travaux, la salle tarde à rouvrir ses portes. Selon une estimation, 44 millions de spectateurs y ont vu des films en Algérie depuis l´Indépendance. Un chiffre important pour un pays de 30 millions d´habitants à l´époque. La cinémathèque algérienne avait tenu le coup durant les années 1970 face au parti unique en créant un noyau de cinéastes engagés et de gauche. Elle a tenu le coup dans les années 1980 face à la dure crise financière. La cinémathèque algérienne a tenu dans les années 1990 face aux intégristes, aux terroristes et face aux conservateurs de tous bords. Mais la cinémathèque algérienne n´a pas tenu le coup quand l´Algérie a retrouvé une embellie financière et qu´elle finance à coup de millions d´euros depuis 2000, des manifestations cinématographiques internationales, alors qu´elle avait vu passer dans ses couloirs humides et sa salle aérée des cinéastes africains et arabes de grand nom: Youcef Chahine, Sembene Osmane, Abderrahmane Sissako... La cinémathèque a été la première à accueillir Merzak Allouache avec sa comédie de moeurs Omar Gatlato en 1975, montrant le cinéma arrivé en ville. La cinémathèque algérienne était devenue également un symbole pour les cinéastes de l´immigration puisqu´à partir des années 1980 une génération de réalisateurs «émigrés» fait son apparition dans la salle de la cinémathèque tels Mehdi Charef avec Thé au harem d´Archimède, Rachid Bouchreb avec Bâton Rouge et Cheb. La fin des années 1990 est marquée par une grande lassitude et un désarroi quand Merzak Allouache débarque à Alger avec Salut Cousin, une comédie amère sur la perte de repères de la jeune génération, et Mohamed Chouikh choisit de conter dans L´Arche du désert la dégradation des relations dans la société. C´est là également que Malik Lakhdar Hamina a diffusé pour la première et la seule fois, Automne, Octobre à Alger. Certains jeunes cinéastes de la nouvelle génération ne mesurent pas la constance de la disparition de la cinémathèque, qui est plus qu´une salle de cinéma mais un espace de culture et de réflexion politique où l´on découvre en plein terrorisme le cinéma iranien et Afghan ou en plein multipartisme les films soviétiques et polonais. La cinémathèque était du temps de Boudjemaâ Karèche la plaque tournante de tous les cinéastes qui débarquaient à Alger. Même si le terrorisme avait touché les environs de la Rue Tanger, jamais on aurait osé toucher au symbole de l´avant-garde culturelle algérienne. Même la cinémathèque française avait du respect pour cet organisme qui détenait dans ses locaux délabrés des copies de films d´une rare beauté. Après la mise en retraite de Karèche et de Khadra, la cinémathèque s´est éteinte comme le cinéma Paridiso tué par la génération vidéo et la repensée unique. [email protected]