Une tour crénelée barre prétentieusement le passage en souhaitant la bienvenue en français et en anglais à d´hypothétiques touristes qui n´ont pas dû montrer leur nez ici depuis longtemps. Un contrôle de police d´apparence sévère veille sur un village qui a de la peine à s´éveiller. «Ce n´est qu´un relais routier! avertit Noureddine. Il n´y a rien à voir ici. Que des restaurants et des cafés! Les gens s´arrêtent seulement pour casser la croûte et ils repartent.» Après deux dos-d´âne usés, le centre du village paraît terne et une plaque détourne aussitôt les voyageurs vers le sud. - Il a dû s´ennuyer ferme, l´émir, quand il est venu ici en 1921. Vraiment, on a vite fait de traverser ce «bordj». - C´est une visite sentimentale et politique qu´il a faite, histoire de montrer aux Français qu´il existe encore une légitimité dans ce pays. Mais le plus intéressant reste à voir. Effectivement, des tournants ont commencé à devenir plus fréquents, plus rapprochés et la végétation plus chiche au fur et à mesure que la route montait. Des pins rachitiques s´accrochaient sur de grises pentes caillouteuses et, bientôt, des miradors juchés sur des monticules renseignaient le voyageur sur le drame qui s´est joué ici dans un passé très récent. Des poids lourds jaunes chargés de marchandises recouvertes d´une bâche verte débouchèrent en trombe du sommet de la côte et passèrent en vrombissant. Une soudaine plantation de cactus se profila sur la colline à droite et Noureddine s´écria: - Nous arrivons à Tarek Ibn Ziyad, ex-Marbot! - Du moins, ils n´ont pas oublié celui-là! répondit si Boudjemaâ. - Tu verras qu´ils ne lui ont pas fait une fleur! Effectivement, après la modeste station d´essence située sur le monticule qui domine un petit village gardé par un véhicule de gendarmerie, la rue descend abruptement, traverse vite une autre rue étroite bordée de maisons basses aux vieilles tuiles rouges, des silhouettes fugitives enveloppées de qachabias, aux abords de ce qui serait un café maure, puis, un no man´s land avec un stade de football comme signe particulier et enfin, tout en haut de la colline qui domine la fausse sortie du village, des constructions neuves inachevées et des immeubles flambant neufs. «Il mérite mieux que cela, Tarek Ibn Ziyad! reprit Noureddine. Moi, je pense qu´il faut donner des noms de village en rapport avec la vérité historique et en rapport avec la dimension du personnage. Voilà un homme, un général berbère qui a conquis au nom de l´Islam la péninsule Ibérique et a donné l´opportunité à une Europe moyenâgeuse de connaître une brillante civilisation. Il mérite au moins une ville de la taille de Séville, de Grenade ou de Tlemcen. Une ville avec de grands monuments, une académie militaire. Non, les fils du Maghreb ont toujours été sous-estimés de la part des potentats du Moyen-Orient. Même chez nous, on va chercher des noms de gens qui n´ont jamais mis les pieds ici pour les coller sur des villes, des villages, des instituts...Tiens, par exemple, quand je pense qu´il y n´y a pas tellement d´Algériens qui ont bénéficié d´un tel traitement: Badji Mohtar, Didouche Mourad, Ben M´hidi, Chelghoum Laïd et quelques autres...Quant à Abane Ramdane, il peut toujours attendre. Frantz Fanon a hérité de l´hôpital psychiatrique où il travaillait...Abane, lui, fut secrétaire général de la mairie de Châteaudun du Rummel qui est devenu...Chelghoum Laïd. Quand je pense que les Français ont pris des noms d´écrivains, de peintres pour les coller sur notre carte de géographie: Molière, Corneille, Horace Vernet...Quelle injustice!»