Le drame des Galériens est qu´ils ne se sont jamais entendus entre eux. Même quand il s´est agi de déclarer la guerre aux Galeux, ils n´étaient pas tous d´accord. Il y avait ceux qui disaient qu´il fallait encore attendre que le peuple soit assez mûr pour combattre: ceux-là suivaient les ordres d´un mystérieux chef à barbe blanche, qui avait l´allure d´un prophète et qui portait une canne et un chapeau en forme de pot de fleur, renversé: il habitait même au centre du pays de Gale et avait épousé une fille du pays de Gale. D´autres ne voulaient pas entendre parler du départ des Galeux parce qu´ils passaient leur temps à danser et à chanter avec eux. Ce sont pour la plupart les Galériens les plus misérables, ceux qui n´avaient plus rien à perdre, que leurs chaînes, pour vouloir à tout prix libérer leur pays. Et c´est dans un désordre terrible, une confusion totale qu´une poignée de courageux Galériens déclenchèrent le mouvement: c´était un premier avril, alors que les Galeux et leurs Galériens les plus fidèles célébraient la Journée du rire. Il faut dire en passant que la plupart des Galériens, à cause de leurs conditions de vie exécrables, ne savaient plus rire et avaient perdu tout sens de l´humour. Ils affichaient toujours une gueule d´enterrement et leur mauvaise humeur était proverbiale. Toujours est-il que c´est dans la confusion que commença une guerre terrible qui allait ensanglanter la Galérie. Comme toutes les guerres, celle-ci était émaillée de mille et une anecdotes dramatiques, tragiques ou savoureuses, avec des actes héroïques, des félonies, ses coins d´ombre obscurs et ses zones de lumière. Mais ce qui allait le plus peser sur le futur des Galériens, fut que les plus malins d´entre eux fuirent la Galérie et coururent se réfugier en Macaronie et en Zitounie, deux provinces voisines du grand empire colonial des Galeux. Les Zitouniens sont des gens sages, pacifiques et industrieux qui avaient réussi à chasser les Galeux sans tirer un coup de feu. C´étaient de fins diplomates qui étaient passés maîtres dans l´art de faire des beignets et leur devise principale est: «Tout baigne dans l´huile»!» Les Macarons eux aussi, un peu plus misérables cependant, savaient cultiver la terre et ils avaient le monopole de la culture d´une herbe sauvage qui ouvre les portes des paradis artificiels: le cannabis ou dans le jargon local, le kif ou la chira. Les Macarons avaient un roi dont ils embrassaient la main chaque fois qu´ils voulaient lui demander une petite augmentation. Mais le roi retirait brusquement sa royale main des lèvres serviles pour ne pas se sentir obligé de satisfaire les doléances de ses sujets qui prirent la fâcheuse habitude de marcher courbés, plus à cause de leur soumission que du poids écrasant de leurs problèmes. Et c´est ainsi que les Galériens se distinguèrent: ceux de «l´intérieur» qui avaient subi ou fait la guerre en Galérie souffrant les mille maux et atrocités qui sont le lot de chaque guerre tandis que ceux de «l´extérieur» faisaient ce qu´on désigne par un adroit euphémisme, de la résistance: ils s´occupaient en général de la logistique et devaient aider ceux de «l´intérieur» à continuer le combat. Mais, parmi les gens de «l´extérieur», il y avait des petits malins qui avaient été formés en Fanfaronie, un pays lointain où l´on mange beaucoup de fèves et où les femmes dansent du ventre: au lieu d´envoyer des armes achetées avec l´argent collecté chez les Galériens qui ont émigré en Gale, ils les mettaient sournoisement de côté, invoquant mille et une difficultés pour les acheminer vers les zones de combat. Cette situation, aussi injuste qu´intolérable, allait peser sur la relation entre les Galériens qui, sans cela, ne s´entendaient pas déjà entre eux.