«Le premier instrument du génie d'un peuple, c'est sa langue.» Stendhal Beaucoup de questions se bousculent à la sortie d'un esprit resté trop étroit à cause des années de censure, de pénuries et de restrictions qui l'ont complètement formaté. La première est de loin la plus importante: l'homme a-t-il le droit de choisir sa patrie comme il a eu le choix d'embrasser une religion ou de vivre avec une compagne? Une fois cette question résolue, on peut alors aisément comprendre pourquoi certains de nos compatriotes ou de nos coreligionnaires éprouvent une fierté sans limite quand ils reçoivent une distinction littéraire émanant du pays même à qui ils ne cessent de demander des excuses pour son comportement passé, présent et à venir. L'avalanche de prix et de nominations venant de l'Académie française peut ainsi nous conforter dans la qualité de notre production littéraire et donc de nos auteurs qui s'expriment dans la langue de Molière. Car, éternels colonisés, nous sommes toujours soucieux, comme dirait Assia Djebar, «du regard de l'autre». Cela est ainsi et ne saurait être autrement parce que, tout ceux qui sont en face ont eu, quel que soit le régime qui gouverne, la sagesse et la constance de créer des institutions pour promouvoir toutes sortes d'activités dont les lumières rejailliraient sur les responsables, les citoyens et le pays tout entier. C'est ainsi que des académies furent créées et l'Académie française demeure la plus prestigieuse car elle fait de ses quarante membres des «immortels». Elle a son uniforme, ses rites et ses activités qui consistent à entretenir la vieille machine de la langue française, à mettre à la retraite des vocables rouillés qui ont trop servi, à donner un sens à ceux qui ont perdu le leur et enfin à délivrer des papiers officiels aux mots étrangers qui sont entrés par effraction en prenant tous les vecteurs connus. Là aussi, c'est au cas par cas: certains sont priés poliment de retourner chez eux jusqu'à ce qu'un écrivain ou un poète de génie ne les impose. Certains mots sont mis dans des centres de transit et finissent par être acceptés tout de même, après être passés par les commissariats de banlieue ou les palais de justice, dans des rapports de greffiers ou dans les plaidoiries d'avocat. L'Académie française décerne des prix pour distinguer les oeuvres qu'elle juge bonnes. Mais, le conformisme et la bienséance ont fini par rendre la bonne vieille dame toute percluse: c'est la raison pour laquelle des esthètes éclairés et audacieux ont fini par lui adjoindre une autre tout aussi prestigieuse: l'Académie Goncourt qui offre l'hospitalité à certains écrivains qui ont le courage de s'indigner. Ces deux institutions, par leurs distinctions encouragent l'écriture et aussi la lecture. Ce n'est pas un hasard si le dernier pensionnaire admis à «la table des Goncourt», car les frères Jules et Edmond étaient de fins gourmets, est Bernard Pivot, journaliste littéraire qui s'est distingué par la qualité des émissions qu'il produisit à la télévision française: depuis 1973, il additionne émissions et magazines à succès. On peut énumérer sans crainte, «Ouvrez les guillemets, Apostrophes, Bouillon de culture, Double Je, Dicos d'or, animateur d'émissions sur la francophonie et bien sûr, l'inénarrable concours d'orthographes». Toutes ses émissions ont laissé un souvenir indélébile dans l'esprit des gens qui aiment la littérature quand elle est faite de liberté et d'humour. Les téléspectateurs lui en savent gré pour tous les services qu'il a rendus à une langue qui recule devant l'anglais. A force de s'être frotté à des gens de qualité, Bernard Pivot a su acquérir toutes les vertus qui font un bel esprit. Chez nous, Bessaoud Mohand Arab qui a fondé l'Académie berbère en France, dans l'appartement de Marguerite Taos Amrouche, et Mouloud Mammeri qui a réhabilité la langue des ancêtres, ont été interdits de séjour ou menacés, enfin marginalisés, voués aux gémonies et traités de «Hizb França», même par de soi-disant progressistes.