Ce n'est plus un plaisir que de suivre les plaidoiries de ce bon vieil avocat Maître Benouadah Lamouri, mais plutôt un sacré privilège. Notons au passage que ce plaideur va de bien en bien depuis un certain temps, faisant fi du poids des ans. La dernière plaidoirie aura été tout simplement sublime. Malheureux étaient les avocats absents car des présents, il y en avait eu cette journée pluvieuse: aux talentueux Maître Mostefa Bouchachi et Maître Houcine Bouchina, il y a eu lieu d'ajouter les élégants avocats de Rouiba, Maître Ahmed Benantar et Maître Houcine Siad, Maître Mohamed Dinar et ce dinosaure de Maître Mohamed Hammad qui étaient assis aux côtés du très jeune Maître Lotfi Saïdi. Défendant un inculpé de coups et blessures à l'aide d'une arme blanche ayant causé un arrêt de travail de six jours, Maître Lamouri a préféré cette fois non pas prendre au cou le représentant du ministère public mais plutôt ceux des juristes «qui ne saisissent pas la nuance des termes juridiques mis dans leur contexte». S'exclamant de désespoir plus que de rage, l'avocat de Dar El Beïda a décortiqué le 266, cet article clair comme l'eau de roche, qu'aucun débat n'est admis après sa lecture: «Toujours dans le contexte des faits!», a ajouté le plaideur qui revient deux minutes aux faits qu'il ne conteste pas «sauf, lancera-t-il, que l'arme blanche n'a jamais été brandie ni par la police judiciaire ni par son chef: le procureur!» Quelques secondes de flottement dans l'air insupportable de la salle et voilà la présidente qui se permet une remarque relative aux coups et blessures volontaires: «Maître, vous ne contestez pas le fait que l'inculpé soit coupable d'agression? Alors, dites-le, cela fera un grand plaisir au tribunal!» Et c'est là où l'avocat laisse sortir la finesse dans le croisement de fer: «Je ne vous ferai pas l'injure si je me devais, dans le seul intérêt de la sauvegarde de la l'esprit de justice et d'équité, de vous rappeler qu'il n'y a aucun être humain coupable d'agression sans motif ni réplique. Mon client a rendu coup pour coup, mot pour mot. C'est pourquoi, la défense prie instamment le tribunal de requalifier les faits en coups et blessures volontaires à... mains nues... réciproques. Et là aussi, laissez-moi, Madame la présidente, attirer votre attention que les six jours d'incapacité ne proviennent pas de coups au couteau. Je m'imagine des coups de lame allant au-delà de 21 jours!» Le conseil venait de marquer non pas un mais 21 points. Sans compter que Maître Lamouri allait enfoncer le clou en soulevant une forme de poussière après sa remarque pertinente autour de l'absence de la victime. «Pourquoi n'a-t-elle pas pris la peine de se déplacer, venir à la barre, redire les yeux dans les yeux sa douleur et réclamer les dommages et intérêts conséquents.» Le défenseur achevait sa plaidoirie avec brio. Le procureur préfère ne pas répliquer, l'arme blanche évoquée n'étant pas sur le pupitre. La présidente, elle, déjà effarouchée par le rôle monstrueux qu'elle a devant elle, préfère aller vers les demandes pressantes, polies et rudes de l'avocat pour infliger une peine de prison de six mois assortie du sursis. A croire qu'il venait de quitter un ring, Maître Lamouri, le front perlant d'une sueur, somme toute payante, sort de la salle d'audience suivi d'une horde de parents épatés par sa bruyante mais fructueuse intervention. Les gens aiment le bruit à la barre!
