Quelque chose de trépignant et de mystérieux nous disait en ce 30 septembre que c'est Les jours d'avant qui allait remporter l'Ahaggar d'or du meilleur court métrage au Fofa 2013. Nous le savions bien en notre fort intérieur, et nous l'avions dit à son auteur Karim Moussaoui, quelque peu sceptique, deux jours avant. Nous ne nous sommes pas trompés. Un film fort et aérien, à la fois sobre et intime, dont notre conviction va inlassablement nous conforter dans le talent confirmé de son réalisateur qui vient encore une fois d'être récompensé, en remportant le Prix du jury ainsi que le Prix du format court au Festival international du film francophone de Namur (Fiff). Rencontre avec l'auteur de Les jours d'avant (40 mn), notre véritable coup de coeur de cette rentrée et peut-être même de l'année 2013/2014. L'Expression: Après Petit déjeuner en 2003, Ce qu'on doit faire en 2006, aujourd'hui vous revenez avec un court métrage assez long de 40 mn (jamais on ne sentira qu'il est long) intitulé Les jours d'avant. Tout d'abord, pourquoi tout ce temps pour réaliser un autre film? Karim Moussaoui: Il y a plusieurs facteurs qui ont fait que j'ai mis 7 ans pour réaliser un autre film. Il y a qu'on a besoin de réfléchir et puis, les conditions n'ont pas été tout le temps réunis pour avoir la possibilité de produire ce film. Il faut savoir qu'au départ, j'écrivais un scénario de long métrage et puis j'ai fait une résidence d'écriture au Maroc. En réalité déclinée sur plusieurs sessions d'une semaine. J'en ai fait trois. Dans cette résidence, j'ai pu rencontrer Virginie Legeay qui intervenait sur mon travail de scénario de long métrage et puis on nous a demandé d'écrire un scénario de court métrage présentant un peu les personnages du long métrage. Pour les présenter, je l'ai imaginé quelques années avant et c'est comme cela que sont nés les personnages du long métrage qui se sont retrouvés dans mon scénario du court métrage. Par la suite, petit à petit mon intervenante est devenue ma coscénariste et ma productrice puisque entre-temps, elle avait créé sa boîte de production. Sachant qu'entre-temps à Alger aussi, Adila Bendimerad était, elle aussi en train de créer sa boîte pour pouvoir me produire. C'est comme cela qu'est né ce projet. Les deux boites ont décidé donc de me produire, les loupiottes de France et Taj Intaj d'Algérie. J'ai eu beaucoup de chance. C'est comme cela que c'est devenu une production algéro-française. Aussi, pourquoi un tel sujet aujourd'hui qui a trait au terrorisme dans les années 1990 bien qu'en réfléchissant bien, l'âge de ces deux ados c'est un peu le vôtre à cette époque-là, ce n'est donc pas fortuit? Oui, complètement. On m'a demandé, en fait, lors de ces ateliers au Maroc, à Ouarzazet (Midi talent, NDLR) de parler des personnages adultes qui se trouvent dans mon scénario du long métrage. Je me suis posé la question: qu'étaient-ils, il ya 20 ans? Qu'est-ce qui a fait qu'ils soient devenus ce qu'ils sont dans le long. Les personnages du long sont de ma génération. Si je devais en parler, il fallait que je retourne en arrière et le fait marquant de ces 20 dernières années c'était bien sûr le terrorisme. C'était pour moi clair que je devais parler d'eux dans cette période-là. Je ne pouvais pas parler du terrorisme, ce n'était pas ça mon sujet, je ne voulais pas traiter ou expliquer ce que c'était cette période-là. Par contre, il fallait que mes personnages évoluent dans mon moyen métrage pendant cette période et il fallait trouver la manière de comment je vais raconter cette histoire. Eh bien, j'ai raconté ce que j'ai vécu selon mon expérience personnelle. Ce n'est pas autobiographique. C'est une fiction à part entière. C'est une fiction à part entière, un travail subjectif mais personnel, intimiste et introspectif puisque vous avez-vous-même grandi dans cette région de Sidi Moussa, croit -on savoir... Oui, j'ai vécu à Sidi Moussa. C'était très important pour moi d'y retourner, de rencontrer mes anciens voisins, des gens qui étaient encore-là, des gens qui sont partis. J'avais du mal au départ d'y retourner pour tourner un film. Je me suis dit que les blessures étaient encore présentes, les souvenirs étaient encore vivaces et j'allais, en retournant là-bas, faire revivre quelque chose de désagréable aux gens. C'était mes appréhensions. Ce que je fais, je contacte un ami qui s'appelle Yacine Saâd qui me rassure et me dit de venir pour en discuter. J'y suis allé. J'ai rencontré des gens qui m'ont rassuré. C'est comme ça que j'ai eu le courage d'y aller. Mes deux productrices et amis m'ont encouragé pour aller voir si c'était possible d'aller tourner là-bas. Ma coscénariste m'a demandé: «Si tu devais tourner ce court métrage, quel serait l'endroit idéal pour toi?». J'ai répondu: «Ce serait dans mon ancienne cité!». Ça a été juste formidable. Je ne m'y attendais pas du tout. J'ai reçu un bon accueil de la part du directeur du lycée où j'étais, de mon ancien quartier, des gens que je connaissais. Incroyable! Je ne m'attendais pas à un tel accueil en tout cas. Il y a même des figurants qu'on a pris sur place et qui habitent encore là-bas. Il ya eu une collaboration formidable des gens de Sidi Moussa. Ton film est fort car il décrit bien l'ambiguïté de la réalité algérienne, mêlée à la terreur, à l'insouciance. A côté de la mort, la vie continue, on fait la fête.. Ça paraît paradoxal, mais non, c'est normal.. C'est cela qu'on a vécu, paradoxalement, le danger était là. Parfois il était visible, parfois non. On se dit toujours qu'il ya un moment pour vivre même pendant des années où c'était devenu très chaud. Les gens n'arrêtaient pas de vivre. Je me souviens ici à Alger (car après je suis venu avec ma famille à Alger) eh bien, on partait en boîte de nuit, on rentrait juste avant le couvre-feu et on ressortait le lendemain. Tout le monde se souvient de cette période-là. Les boîtes de nuit sont devenues connues grâce à ça. Elles ont fait que plein de jeunes pouvaient s'amuser. J'ai décidé de parler de cette étape de l'adolescence qui est très importante. C'est ça qui détermine ce qu'on est par la suite, qui nous construit, qui fait qu'on soit en quête de nous-mêmes, de notre personnalité, avec ce qu'on voit, nous nourrit, nous influence. C'était important pour moi d'en parler parce que j'ai l'impression qu'on n'est pas assez conscient des enjeux de cette période-là. L'adolescence c'est vraiment la période où on est en train de se construire et j'ai l'impression qu'on ne fait pas assez attention à cette période-là où on a réellement besoin de faire nos expériences que ce soit dans l'amour, dans la vie, le travail, le sport. L'épanouissent personnel passe par l'étape de l'adolescence qui est très importante. On sent qu'on essaye d'évacuer cette période. On a toujours l'impression qu'on nous demande de passer de l'état d'enfant à l'étape d'adulte. On considère cette période comme peu importante où le gamin commence à faire n'importe quoi, des bêtises alors que c'est à ce moment-là où les ados ont besoin en tout cas d'être pris en charge et non pas à être réprimés. Dans mon film, je traite du désir. Désir de l'autre, de connaître l'amour mais c'est compliqué et si on ne fait pas cette expérience là, c'est impossible de passer à l'âge adulte.. D'autant plus compliqué à cette époque-là effectivement, pour pouvoir approcher l'autre, pouvoir lui parler, pouvoir échanger avec l'autre, voir comment il comprend les choses, comment il voit les choses, comment il peut aimer. Passons maintenant du contenu à la forme, au plan esthétique, parlons de la bande sonore, pourquoi l'opéra? Je ne me suis pas dit je vais choisir l'opéra! C'est clair que je voulais une musique classique. Dans mon film il ya plusieurs plans où je filme un peu la cité, les espaces autour, les champs agricoles, les montagnes et les nuages. J'ai voulu filmer avec les sensations que j'avais, à l'époque quand je voyais les choses en train de changer, l'arrivée de ce drame.. On se disait, à chaque fois, non! Cela ne va pas nous arriver, pas chez nous, pas nous, et puis à chaque fois la violence approchait et on s'interdisait d'être concerné. La voix off le dit. Le personnage n'arrivait pas à croire que ce drame arrive et c'est comme quelque chose de fort qui est immuable, c'est-à-dire que, tu le veuilles ou pas, tu dois le vivre. Le destin te l'impose, ce n'est pas un choix. C'est comme un fait tragique...dicté par une force occulte, divine? Oui, il y a un côté tragique effectivement, quelque chose au-dessus de toi et qu'on n'arrivait pas à comprendre, qui arrivait et la musique classique, en tout cas, pour moi, était le seul moyen qui pouvait exprimer cette sensation-là, celle d'une troisième dimension qui est incontrôlable, qui devait s'imposait à nous. Appelle-là comme tu veux, une force divine où la logique du monde ou de l'univers...La voix off dit à un certain moment: «Pourquoi devrions-nous partir?» Nous n'avions rien fait. Mon personnage masculin ne comprenait pas que c'était là et qu'il devait juste encaisser parce que c'est comme ça. Personne n'a la réponse. Les réponses sont multiples, mais en tout cas il ya ce quelque chose de tragique qui arrive..J'ai cherché un peu sur Internet et je suis tombé par hasard sur cet opéra de Haendel, Alcina plus exactement. Ce morceau s'appelle A mio core (Ah mon coeur). Il raconte l'histoire d'amour d'une sorcière, en fait qui a pu avoir tous les hommes mais n'arrivait pas à avoir un homme en particulier. C'est une histoire tragique en fait. La façon dont tu as filmé les paysages inconsciemment ou pas peut être, fait en sorte que nous n'avons pas l'impression que cela se passe en Algérie mais on est comme plongé dans un ailleurs indéterminé dans le monde. Je n'ai pas voulu montrer ce paysage-là parce que cela ne fait pas l'Algérie, même si c'est rarement filmé comme ça car on a l'impression que c'est en Europe par exemple, avec ses montagnes et verdures là, surtout que je tourne en hiver. Si j'avais tourné en été ça aurait été complètement différent. Tout aurait été sec. Mais je n'ai pas choisi de tourner en hiver pour montrer une autre image de l'Algérie. Le paysage tel qu'il existe aux alentours est comme ça. A l'époque où je vivais là-bas j'avais la fenêtre de ma chambre qui donnait sur la rivière, les champs agricoles et Chriâ et c'était magnifique. Je voulais vraiment restituer cette beauté-là que je voyais tous les matins de ma fenêtre. Quand je me sentais vraiment seul ou je m'ennuyais, j'écoutais de la musique et je regardais ces paysages de ma fenêtre. J'ai voulu vraiment restituer les sensations telles que je les ai éprouvées jadis, vécues moi-même. Comment s'est faite la sélection de vos acteurs, notamment Mehdi Ramdani et Souhila Maâlem qui ont admirablement porté le film, avec souplesse et sobriété en interprétant les deux adolescents héros qui racontent l'histoire? En fait, j'avais repéré Mehdi Ramdani lorsque j'ai vu le film de Amine Sidi Boumedienne. Bien qu'il avait un second rôle, j'ai tout de suite vu en lui un potentiel que j'ai vu nulle part en Algérie, je confirme cela en regardant le film de Anis Djaad. Quant à Souhila Mallem, je l'ai rencontrée un jour, j'organisais un casting et elle s'est présentée. Je ne l'avais jamais vue auparavant. Mais elle avait en elle une énergie qui m'a tout de suite plue. J'ai fait quelques essais avec elle et j'ai compris que c'était elle qu'il me fallait.