Les patrons prennent le taureau par les cornes en commençant par balayer devant leurs portes. Quatorze ans après la naissance de la presse indépendante, les patrons de journaux vont tenir un conclave pour créer la fédération nationale de la presse quotidienne et adopter une charte d'honneur de la presse algérienne. On peut dire qu'il en était temps, après toutes les péripéties et les rebondissements qu'a connus le paysage médiatique algérien, le dernier en date étant l'incarcération du directeur de publication du journal Le Matin et la suspension de son journal par l'imprimerie. Si l'on considère ces différentes péripéties comme des crises de croissance, alors il faut se dire que le temps est arrivé de passer à une autre étape, qui est celle de l'âge de raison. En exhortant les journaux à rédiger un charte de déontologie et d'éthique, le ministre de la Communication Boudjemaâ Haïchour, lui-même ancien journaliste, a mis le doigt sur ce qui ne va pas dans la profession, les dérapages, les atteintes à la dignité et la vie privée des personnes, les informations non vérifiées. Mais c'est vrai que la presse algérienne a fait ses classes et ses premiers pas dans des conditions très difficiles, entre le marteau de la censure et l'enclume terroriste, entre les murs des prisons et les balles assassines. Le temps est donc arrivé de mettre un terme à cette expérience amère, à la clandestinité des années de violence où l'on était obligé, comme des voleurs, de raser les murs, pour reprendre l'expression de Saïd Mekbel. Parallèlement aux efforts de M.Haïchour qui va mettre incessamment sur les rails plusieurs groupes de travail, pour remodeler le code de l'information, rédiger une charte d'éthique et de déontologie, le statut du journaliste, mettre en place la structure qui délivrera la carte nationale de la profession, etc., les éditeurs vont donc plancher de leur côté sur la création d'une organisation représentative et sur les conditions d'exercice de la profession. C'est vraiment à un bilan et à un devoir d'inventaire que vont s'atteler les éditeurs. Alors que jusqu'à ce jour les journaux avaient travaillé dans un cadre éclaté, non représentatif, plus proche du secteur informel et du marché noir que d'un cadre légal (beaucoup ne paient pas les impôts et ne déclarent pas leurs employés), on peut dire qu'ils vont passer à une étape qualitative. On peut, d'ores et déjà, livrer quelques lignes directrices qui se trouvent dans le projet de charte de la profession. D'abord il y est affirmé, et c'est très important, qu'il ne peut y avoir de liberté d'expression sans liberté d'opinion, et que les signataires s'engagent à militer pour l'abolition de la peine d'emprisonnement en matière de délits de presse. Ensuite, ils s'engagent, entre autres, à faire prévaloir en toute circonstance la déontologie et l'éthique, à ne pas plagier, ne pas calomnier, ne pas publier sciemment de fausses informations ou de faux sondages, bannir les articles sur la vie privée des personnes, y compris les personnes publiques, ne pas publier d'articles, de dessins ou d'images constituant des outrages avérés. Le deuxième volet est consacré à la publicité, dont la surface est limitée au tiers de la surface totale d'une édition pour les publications d'information générale. Le troisième volet est consacré à la définition des relations entre les titres pour établir une saine concurrence et une cohabitation confraternelle. Le dernier volet enfin a rapport au statut des journalistes et assimilés que les éditeurs s'engagent à déclarer aux organismes de sécurité sociale, ainsi qu'à améliorer les conditions de travail. Cependant, on ne voit pas pourquoi les éditeurs veulent enchaîner les journalistes et leur mettre des entraves en leur interdisant de collaborer avec d'autres titres, surtout que les salaires sont vraiment dérisoires. N'est-ce pas une atteinte à la liberté de travail? Malgré tout, après avoir traversé plusieurs zones de turbulences, les éditeurs prennent le taureau par les cornes en commençant par balayer devant leurs portes. L'âge de raison, c'est aussi cela.
