Réagissant à la déclaration de Sellal où il fait savoir que l'Algérie lancera un emprunt obligataire national au mois d'avril prochain, Belkacem Boukhrouf, économiste, prévoit un échec de celui-ci tout en affirmant que la solution à la crise est de laisser «les vrais businessmen entreprendre». L'Expression: Sellal a annoncé le lancement d'un emprunt obligataire national en avril et a, simultanément, écarté tout «recours immédiat» à l' «endettement extérieur» qui a pourtant été annoncé auparavant. Pourquoi ce revirement? Qu'est-ce qui motive ce choix selon vous? Belkacem Boukhrouf: Il faut savoir que cette option d'emprunt obligataire est venue suite au constat du gouvernement que l'endettement extérieur est quasiment insoutenable puisque les conditions d'emprunt auprès des bailleurs de fonds sont corrélées à la situation de la balance commerciale. Ainsi, l'on comprend que l'Algérie se verra emprunter peu et surtout à des taux d'emprunt (service des dettes) élevés. L'Algérie n'est pas tout à fait un bon client des bailleurs de fonds et nous imaginons que les décideurs économiques se seraient rendus à l'évidence de trouver de nouvelles sources d'endettement. L'emprunt obligataire (endettement interne) se profile alors comme une alternative. L'emprunt obligataire est, selon Ali Haddad, une «incitation à toutes les personnes disposant de fonds à les injecter dans le circuit formel». Qu'en pensez-vous? Les détenteurs de fonds vont-ils répondre à l'appel? C'est la rhétorique économique qui reste non vérifiée. Des entreprises ont lancé des emprunts obligataires et cela s'est soldé par des échecs, comme c'est d'ailleurs le sort de la fameuse «amnistie fiscale». Ce serait incitatif dans la mesure où il y a un contrat de confiance qui s'installe entre prêteur et emprunteur; ce qui ne semble pas être le cas. La perception que le citoyen se fait de l'Etat est faite de croyances plus ou moins tenaces: l'Etat est corrompu, mauvais gestionnaire et dépensier irrationnel. Cela installe une méfiance à vouloir prêter à un agent économique dont la performance n'est pas encore prouvée. Aussi, l'emprunt obligataire réussit dans une économie où cette tradition de trading est enracinée. La Bourse d'Alger, existant depuis plusieurs années, n'a pas su alimenter le portefeuille d'entreprises côtées et intéresser les entreprises à l'ouverture du capital. Les marchés financiers ne sont pas développés; ils n'en sont qu'au stade embryonnaire. Et puis, à voir les conditions énoncées, notamment le taux d'emprunt de 5% excessivement bas, l'on comprend que les citoyens, habitués à la thésaurisation rassurante(le scandale Khalifa est encore frais dans les esprits) vont placer leur argent dans le logement, l'or ou le foncier; plus porteurs. L'emprunt obligataire risque de conduire le gouvernement vers l'impasse. Si l'opération venait à échouer, que prévoyez-vous pour l'Algérie? L'Etat doit se libérer du dogme paternaliste sur l'économie. Il faut laisser les grands industriels, les vrais, faire le boulot. On ne peut pas emprunter pour financer les stades. Il y a des possibilités à convaincre l'entrepreneur algérien à s'impliquer dans ce genre de financements et de placements si des conditions favorables lui sont présentées. Il n'y a pas d'autres voies: il faut mobiliser le vrai patronat algérien (pas les trabendistes, mais les businessmen) autour de la croissance et de l'emploi. Dans ces conditions, y a-t-il d'autres voies de financement à part l'emprunt obligataire? Je pense franchement que si on laissait les entrepreneurs algériens investir librement leurs avoirs, sans entraves et sans bureaucratie, ils feront des miracles économiques. Aussi, le gouvernement doit comprendre définitivement que la priorité doit être la croissance et l'emploi; deux défis que ne réussit pas à relever l'Etat, mais les entreprises. Il faut les laisser jouer et les accompagner.