Des mélodies qui parlent au coeur Quoi de plus beau et d'émouvant en rendant hommage à Frantz Fanon que ce pont musical entre les Antilles et le Maghreb qui, né d'une relation humaine se transforma en un beau projet artistique? Il s'appelle Benabdellah c'est un artiste franco-algérien. Il joue savoureusement bien du oud. Son acolyte d'origine martiniquaise est Maher Beauroy, lui, joue vertueusement du piano. Pour finir ils sont accompagnés de Marc Pujol, percussionniste français. Tous les trois forment le formidable groupe Insula qui vient de sillonner une partie de l'Algérie grâce à l'Institut français d'Algérie. En effet, Insula vient de finir une belle tournée artistique, entamée le 5 octobre dernier à l'Institut français d'Alger avant de se produire dans la ville des Ponts, Constantine, et de partir le lendemain à Tlemcen pour finir enfin dans la grande salle de l'hôtel Méridien. Une somptueuse salle qui, non sans trop impressionner le groupe, lui a insufflé une force supplémentaire pour se donner davantage et satisfaire un public ô combien exigeant et enfin conquis à cette musique jazz fusion qui rendit un bel hommage à Frantz Fanon. Peut-être symboliquement (Fanon est né en Martinique avant de venir en Algérie, où il s'est établi et a pris parti pour la cause algérienne durant la guerre pour l'indépendante) pour s'illustrer de façon bien harmonieuse en interprétation musicale de plusieurs morceaux jouant tantôt sur un rythme entraînant et tantôt sur la longueur de la mélodie qui sonne tout en douceur, s'emballe par instants, s'épuise, redouble de force, de caresse auditive également pour finir en une sage caresse des plus fines comme un doux chuchotement qui reste. Les compositions de Insula mêlent ainsi le jazz caribéen et moderne que cultive Maher Beauroy au piano, à la musique arabo-andalouse et plus largement la musique algérienne sous toutes ses formes que développe et enseigne Redha Benabdallah au oud. Le groupe qui devait se produire hier, vendredi, au Centre culturel algérien de Paris l'aura fait avec les yeux pleins d'images d'Algérie dans la tête, et ce après les belles émotions partagées avec le public, mais aussi d'autres artistes invités sur scène ou ailleurs in situ dans la ville. On citera Othman Merzouk, super bassiste qui boeuffera avec le groupe sur scène à Tlemcen, ou encore Hamza Benkadri, un musicien constantinois exceptionnel qui improvisera de jolies morceaux de malouf aux côtés de Reda Benabdellah sur une des collines surplombant Constantine. Mieux! se rappelle encore Reda: «A Constantine on a vécu un moment magique, une coupure d'électricité pendant cinq bonnes minutes et le public constantinois nous a éclairés avec ses téléphones, nous a encouragés et nous a applaudis au retour de courant. Quel frisson!». A Oran, le groupe Insula des plus généreux offrit sa scène à deux jeunes slalomeuses émérites, Zoulikha Tahar et Samia Manel Bezzeghoud. Cette dernière interprétera à sa manière wahran rouhti khsara de Khaled. Que de bons souvenirs que le groupe Insula n'est sans doute pas près d'oublier. Singulière est la musique d'Insula. Aussi, outre le titre Wopso qui permet au public d'interagir avec le public dans la bonne humeur, le groupe s'essaye toujours à l'expérimentation en donnant au public à deviner le titre du morceau revisité qu'il joue sur scène. Une version tout à fait singulière de Ya Rayeh de Dahmane El Harrachi nous avait bien intrigués l'on se souvient lors du concert à Alger. Entre concentration, maîtrise, échange avec le public, humour et beaucoup de virtuosité, le groupe Insula fait chavirer le coeur avec ses morceaux dont Pep La, (peuple en créole. Morceau qui appelle à l'égalité et au rapprochement des cultures Ndlr) qui semble aspirer à l'élévation spirituelle avec un côté des plus mystiques. Des airs aériens bien ancrés dans le sol de nos ancêtres prenant racine fièrement en partie à la source de notre patrimoine musical algérien. Le tout en se déclinant dans un nouvel habit mélodique métis, coloré et foncièrement chaleureux et prenant. Enrobé de notes bleu jazzy, la musique d'Insula se plait à vous enivrer et vous inspirer des envies de voler en terre ibérique jusqu'à se fondre en Afrique. Mais le groupe aime surprendre, c'est pourquoi, un certain élan poétique va ponctuer non pas la musicalité née d'un instrument, mais de la voix même du musicien qui, fort de son lyrisme intérieur, entre envol et apnée, fera monter le tempo qui se diluera dans un son médiéval bien particulier qui dit Insula, l'île des sons, des tons ronds. De ces visages solaires. Si Maher aujourd'hui perfectionne son jeu à l'université de Boston, c'est à l'université de la Sorbonne qu'il rencontra il y a dix ans Reda Benabdellah d'où naquis l'amitié puis l'intérêt de travailler ensemble de façon presque évidente, confortée aussi par l'idée, avoue Reda, que ce sont les racines africaines qui les ont fait rapprocher sachant que la musique algérienne partage avec la musique caribéenne des rythmes quasiment similaires, à savoir la biguine martiniquaise et le goubahi algérien. Ainsi naîtra ce projet en 2015 et après maints efforts de venir le proposer aux Algériens, est arrivée enfin cette belle tournée réalisée en Algérie en 2017. Une belle aventure en soi qui n'en finit plus depuis...