La victime n'est pas à la barre Abbès B. E. est un homme d'affaires, plutôt bel homme, costaud, bien dans sa peau, portant un collier à la manière des émirs du Golfe arabique, qui s'est présenté spontanément à la justice. Abbès.B.E. est un monsieur bien vu par son entourage: sans histoires, ni adversaires mal intentionnés ni encore moins des ennemis prêts à le dévorer tout cru. Il bosse plusieurs heures par jour, préférant les partenaires en affaires propres aux longues nuits bruyantes et malsaines qui peuvent le mener droit dans le mur! Un de ces quatre matins, il est désarçonné par une nouvelle qui le laissa sans voix. Le bruit courait qu'il avait un mandat d'arrêt et que l'affaire était en suspens car elle était en appel. Pas plus que cela, et on lui a même dit que les «on dit que... Il paraît que...» étaient légion et qu'il valait mieux aller à la source de l'information. Mais un ange était venu à son secours: un de ses voisins le recherchait pour lui apprendre de bouche à oreille, qu'il avait écopé d'une peine prononcée par défaut. Il a été mis au courant par un voisin, greffier de son état, qui avait assisté au procès que Abbès avait raté parce qu'il se trouvait à l'étranger, le jour des débats. Il explique au bon voisin qu'il est impératif de faire opposition à ce verdict qui n'est jamais définitif, et donc rattrapable. Afin de gagner du temps, le greffier conseilla au condamné, que même par défaut, il reste condamné jusqu'au rétablissement de la situation. Une fois n'est pas coutume, faisons un petit cours de droit, histoire de montrer au citoyen ses droits et par ricochet, ses devoirs. Un individu condamné par défaut à une peine de prison assortie d'un mandat d'arrêt se doit, dès qu'il a eu vent de l'info se rendre au tribunal, même sans avocat et de préférence si, en vue de vider le mandat d'arrêt et d'attendre de passer au jugement dans les délais que prévoit la loi. Il aura ainsi fait opposition et ce n'est pas évident qu'elle soit acceptée par le tribunal. Généralement, les magistrats ferment les yeux comme l'a fait mercredi, le rude président de la composition correctionnelle de la cour d'Alger. - «Pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté le jour de la tenue de votre procès? Vous saviez qu'il y avait eu appel du parquet, et que votre conseil vous avait averti à temps pour vous préparer à affronter et la cour et les débats!», dit, sèchement, mais poliment, le juge, d'une manière décontractée et même amusée. --Je vous assure Monsieur le juge, que je n'étais pas au courant, car je n'avais pas reçu de convocation», répond, posément, le prévenu, agacé par la nuit passée à la prison de Koléa et surtout ennuyé par la présence dans la salle, des parents qui ont appris que leur fils a fait de la prison pour une émission de chèque sans provision, fait prévu et puni par l'article 372 du Code pénal, et assimilé par le Code pénal, à de l'escroquerie! Pas moins, s.v.p. Pas plus! - «Vous vous êtes acquitté de votre dette? Quand cela a eu lieu?» Cette question a été posée pour aller plus vite, car la cour a un rôle pas possible et les gens ont affaire, par ailleurs en cette froide journée d'hiver 2019, qui voit tour à tour, la pluie, les grêlons, le vent, et timidement, quelques rayons pâles d'un soleil qui fait intrusion dans un climat qui n'est pas le sien. Ce mini-tour autour de la météo terminé, revenons à notre procès et ses soubresauts. Le président a repris la question relative au règlement de la dette! «Alors, c'est réglé?, demande le plus sérieusement du monde le président qui obtient un: Oui, monsieur le président, aujourd'hui.» La victime n'est pas à la barre, signe qu'elle a pris son fric, noeud gordien de l'affaire. C'est aussi la fin de la course au guichet unique et adieu les courses à gauche et à droite, ainsi qu'adieu à la course d'avant règlement de la dette. Le procureur, qui a vite saisi les tenants et aboutissants du dossier, laisse le soin aux de magistrats de décider seuls, pour la peine à infliger. Puis, et sans perdre une minute, le juge inflige une amende ferme de 1000 dinars, outre les frais de justice engagés depuis le dépôt de plainte par la victime. Ah! la victime! Elle n'est généralement pas là, sur place pour crier «vive la justice» lorsqu'elle obtient réparation. Jusqu'à présent, ce sont les victimes qui ont été déboutées qui font un boucan criant sur tous les toits qu'il n'y a pas de justice, qu'il y a eu magouille, manipulation, piston, connaissance etc... Il ne manquera plus alors qu'à crier, et pourquoi pas, au complot ourdi par une puissance étrangère. C'est ça aussi, une des nombreuses facettes de notre justice, une justice malmenée quoique que l'on fasse et que l'on dise! La marche au pas de charge de la Réforme initiée par Bouteflika, en est la plus belle preuve du redressement de la magistrature