L'Expression: Vous êtes un écrivain qui touche à plusieurs genres: roman, poésie, essai, etc. Pouvez-vous nous en dire plus? Youcef DRIS: Le secret dans tout cela est la lecture. Lire améliore notre sens de l'observation, de l'analyse et de la critique. Lire nous apporte du vocabulaire, de l'inspiration, et nous divertit. Le secret dans l'écriture est de rester soi-même. Mes premiers souvenirs de cette envie d'écrire remontent à mon adolescence. L'envie et le besoin étaient présents dès le lycée. Mais les premiers écrits publiés ont commencé plus tard. Comme tous les jeunes de l'Algérie indépendante, nous avions beaucoup à dire et pourquoi pas à écrire. Car, en écrivant nous avions le sentiment de nous alléger d'un trop-plein de souffrances, mais aussi d'énergie ou d'émotions. Qu'elles soient positives et/ou négatives. Nous ressentions le besoin d'écrire comme un besoin physique. Mais rares sont ceux qui ont concrétisé leur rêve de devenir un jour écrivain. Une seule maison d'édition (La Sned) ne pouvait pas absorber tous ces projets des bouillonnants auteurs en herbe de l'Algérie indépendante. Ecrire est une nécessité pour moi. À quand remontent vos premiers écrits? J'ai commencé à écrire des poèmes, puis participé à l'écriture de sketchs avec le mouvement scout «El Hilal» de Tizi-ouzou, comédies que nous interprétions au public composé de nos familles à l'occasion des fêtes et des soirées du Ramadhan à la salle des fêtes de la ville. L'écriture me permettait alors de me défouler et de faire sortir les sensations que je ressentais dans ma jeunesse, sur le moment présent. Je peux me laisser emporter par les imprévus, les surprises, l'inattendu. Car, écrire me permettait et me permet encore de créer sans me limiter. Et c'est la raison pour laquelle je ne me limitais pas à un genre particulier. Nous qui avions vécu la période coloniale, beaucoup d'émotions, événements, de sensations, de joies, de peines, de souffrances et parfois de plaisirs sont restés en nous, et ne demandaient qu'à être mis en mots pour ne point les oublier. J'ai aussi publié des romans, une biographie, des essais sur l'Histoire de l'Algérie, sur la musique, mais aussi beaucoup de contes pour enfants car j'ai toujours gardé une âme d'enfant. Pourtant, dès le début, j'avais pris le chemin du réel, pour écrire des histoires vraies, enveloppées d'un brin de fiction, car pour écrire de vrais romans, il faut avoir beaucoup d'imagination, et j'en manque sérieusement. La plupart de mes ouvrages relatent la réalité et l'actualité. Devenir écrivain n'a jamais été dans mes projets au départ. Mais comme je lisais beaucoup, la passion de l'écriture s'est imposée à moi naturellement. L'idéal pour moi dans le besoin d'écrire, est de partager, de faire plaisir, de faire rêver, rire ou même pleurer, et c'est pour cela que j'ai enchaîné les essais et les recueils de contes, après avoir publié mon premier roman. Voltaire est mon auteur de prédilection car il fut à la fois un poète, un philosophe, un essayiste, un historien et un dramaturge. Au cours de sa carrière, l'homme s'évertua à rendre accessibles ses ouvrages en utilisant un langage compréhensible par l'ensemble de la population. Je n'ai pas la prétention de lui ressembler, mais je peux dire que sa vision de la littérature m'a inspiré et m'a servi d'exemple dans tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent. Comment est née votre idée d'écrire un essai sur les événements tragiques du 17 Octobre 1961? L'idée de cet ouvrage est née à la suite de l'adoption par le Parlement français de la fameuse loi négationniste «commise» le 25 février 2005 et qui glorifiait «le rôle positif de la présence française en Afrique du Nord.». C'est une réponse à cette loi pour raconter les massacres des Algériennes et Algériens par les troupes de Papon, préfet de Paris, qui a fait couler du sang algérien dans les eaux de la Seine, sous le pont Mirabeau. Un épisode de plus saisi parmi mille autres qui ont «génocidé» le pays de saint augustin de 1830 à 1962, et qui vient démentir cette loi scélérate. Pouvez-vous nous parler un peu de la trame de votre roman «Les amants de Padovani», est-ce que c'est une histoire vraie à 100%, ou bien est-elle en partie le produit de votre imagination? «Les amants de Padovani» est mon premier roman publié en Algérie. Il s'agit, en grande partie, d'une histoire vraie, qui raconte une idylle entre un jeune homme (un membre de ma famille) et une jeune fille française d'Algérie. Comme dans toute histoire vraie, il y a toujours une part de fiction, le récit est en grande partie fidèle à l'histoire d'amour impossible vécue par ces amoureux qui, dès l'enfance ont évolué dans le même espace jusqu'à ce que cette amitié juvénile devienne un merveilleux et pourtant impossible amour. Ces deux jeunes gens appartenaient à des milieux différents dans un conteste colonial où se côtoient maîtres et serviteurs et qui ne laisse aucune place aux rapprochements des races. Il faut savoir que dans l'Algérie coloniale, lorsqu'on s'appelle Dahmane, une histoire d'amour avec Amélie ne peut avoir lieu. L'histoire qui compose ce roman est une vraie tragédie qui va métastaser deux familles entières avec des drames interminables. Amélie Démontès mourra d'avoir «pêché» avec un indigène; le petit-fils de Fatma paiera d'une vie de malheur une passion qu'il n'a pas su esquiver. Dans «Les amants de Padovani» j'ai évoqué avec mes mots à moi, une douloureuse et vraie histoire d'amour dans une Algérie accablée par l'apartheid colonial. Comment a été accueillie la sortie de ce roman? Timidement au début, car peu médiatisé par l'éditeur qui débutait dans la profession et ne connaissait pas forcément les rouages de l'édition. Le giron familial, le bouche-à-oreille, les ventes-dédicaces dans les librairies et Salons du livre, la presse nationale ont fait que le public découvre le roman et l'apprécie, si bien que la maison d'édition a décidé, après épuisement du premier tirage, de le rééditer. De plus, et lorsque parut 4 années plus tard un livre qui raconte une histoire identique à s'y méprendre à celle de mon roman, un ouvrage que l'on doit à un célèbre écrivain algérien qui s'est très largement inspiré de mon histoire, cela a suscité la curiosité des lecteurs et boosté les ventes en donnant un nouvel élan à mon roman aussi bien en Algérie qu'en Europe. Vous êtes aussi l'auteur d'un beau livre sur le géant de la chanson chaâbie, El Hachemi Guerouabi, qui est en outre, votre oncle maternel, pourquoi un livre sur ce maître? Lorsque l'on connaît et apprécie une grande star de la musique châabie comme Guerouabi, on en parle autour de soi, et on chante ses mélopées à tout moment, même si l'on n'est pas un parfait mélomane. Notre famille a de tout temps été bercée par la musique et la chanson algériennes. Mon père, qui jouait de plusieurs instruments, avait la passion de la musique qui ne le quittait jamais puisque, en plus de son métier d'horloger, il réparait aussi les phonographes; ancêtres du lecteur de CD, et il avait toujours à portée de main les fameux disques 33 tours pour essayer les appareils qu'il réparait. C'est dans sa boutique de la rue de la Paix de Tizi Ouzou que le jeune Hachemi Guerouabi, âgé alors de 10 ans, avait fait ses premières notes de musique sur la mandoline de mon regretté père, lorsqu'il lui arrivait de passer ses vacances scolaires chez-nous à Tizi. A son âge, il appréciait déjà la chanson algérienne et particulièrement Hadj M'Rizek qu'il finira par imiter lorsqu'il débutera sa carrière de chanteur. Devenu une star du châabi, malgré l'omniprésence de la vedette de l'époque, l'inamovible El Hadj M'hamed El Anka, le jeune Guerouabi a pu se frayer un chemin dans ce monde très fermé de la scène algérienne, et a gravi de manière fulgurante tous les échelons de la profession, si bien que l'extraordinaire artiste algérien Mahieddine Bachtarzi, qui l'a aidé à s'affirmer dans le milieu de la scène et du spectacle, l'a cité dans ses mémoires en disant de lui « C'est le meilleur de sa génération». Aussi, le jeune El Hachemi Guerouabi devint une star appréciée par les jeunes et les moins jeunes, si bien que de nombreux jeunes chanteurs se sont mis à l'imiter vocalement jusqu'à s'y méprendre. Star dans son pays, au Maghreb et dans le monde, Guerouabi ne laisse personne indifférent. Jeune premier dans les années 60, maître de la chanson populaire jusqu'à sa disparition, Guerouabi a gravi tous les échelons de la gloire. Donc, tout auteur rêverait d'écrire son histoire. Et comme je peux prétendre le connaître mieux que quiconque car très proche de lui, je n'ai pas hésité un seul instant à mettre par écrit; avec sa permission bien sûr, sa vie, son parcours professionnel et quelques moments de sa vie personnelle. Mon livre a ouvert la voie à d'autres auteurs qui lui ont rendu hommage à leur tour en publiant des écrits sur son parcours. Faire sa biographie était une promesse que je lui ai faite sur son lit d'hôpital. Mon seul regret est que le livre n'ait paru que quelques jours après sa mort. Ma satisfaction est que le manuscrit qui a servi de base d'écriture au livre avait été lu et corrigé de sa propre main, et que je garde soigneusement dans ma bibliothèque. Pouvez-vous nous parler de votre livre de chroniques judiciaires et de votre expérience à l'époque dans ce domaine? «Affaires criminelles» est un recueil d'histoires vraies qui racontent des drames sociaux, des crimes, des délits que j'ai compilés lors de mes virées dans les prétoires des palais de justice. Ayant fait des études de droit et n'ai pu exercer ce métier, j'étais passionné par les affaires criminelles et les plaidoiries des maîtres du barreau algérien. Qu'en est-il de vos autres livres qu'on n'a pas cités plus haut? Ma bibliographie comporte plus d'une vingtaine d'ouvrages. Des essais sur l'Histoire de la révolution algérienne, notamment «Le Combat des Justes» un hommage que j'ai tenu à faire aux Français et autres étrangers qui ont combattu dans les rangs du FLN lors de la guerre d'Algérie, «Les Massacres d'octobre 1961 à Paris», des romans qui ont pour cadre l'Algérie profonde à l'image du «Puits confisqué» et «Destin à l'encre noire», mais aussi des ouvrages sur la musique algérienne comme «Le Malouf, la plus belle passerelle sur le Rhumel» publié à Paris. J'ai également publié de nombreux ouvrages de jeunesse, inspirés des contes du terroir, et récemment, je me suis essayé à l'écriture de scénarios inspirés de mes romans, dont «Les amants d'Alger» inspiré de mon roman portant le même titre. Une nouvelle et belle aventure qui commence pour moi. Pourquoi éprouvez-vous ce besoin constant d'écrire? Ecrire pour moi est une façon de laisser vivre mes pensées. Le plus souvent, l'écriture s'impose à moi. J'écris à la vitesse d'un sprinter pour éviter de perdre le cours de mes idées. Une fois les mots sur le papier, je peux me détendre. Me relire et me corriger calmement. Lorsqu'il s'agit d'exercices plus imposés comme l'Histoire ou une biographie par exemple, l'écriture est moins fluide, moins spontanée. Je ne vais pas du premier au dernier mot en une seule course. J'ai besoin de faire des pauses, des allers- retours. L'écriture a toujours été pour moi un réel plaisir. Elle n'a jamais été pour moi une corvée ou une tâche ennuyeuse. Ecrire n'est pas facile, et tout le monde ne peut pas se dire du jour au lendemain: «Je vais être écrivain!» Croyez-moi! Lorsque vous serez seul devant votre feuille blanche, hormis la passion et la motivation, il n'y a personne pour vous épauler. Certains me disent que j'ai de la chance de pouvoir écrire et être publié. Personnellement, je n'ai jamais aimé parler de chance. La chance est un concept abstrait. Pourtant, en tant qu'écrivain on en a tous besoin. Enfin, un peu, surtout chez-nous où la lecture n'est pas un sport national, et les maisons d'édition ainsi que les chargés de notre culture ne font pas grand-chose pour encourager l'écriture! On dit que pour réussir, trois choses sont nécessaires: le talent, le travail et la chance. À vous de trouver l'équation idéale! Pour moi, comme il ne faut pas trop compter sur la chance, mieux valent donc le talent et le travail, car il n'existe pas de recette miracle pour écrire un bon roman. L'écriture doit être une passion et non une question d'argent. La preuve, tous les ouvrages que j'ai publiés ne m'ont pas rendu plus riche.