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«Lorsque je parle à un Algérien...»
Robert Mazziotta, écrivain, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 24 - 03 - 2021

Robert Mazziotta est né en 1949 à Oran, en Algérie alors française. Sa famille était présente dans ce pays depuis plusieurs générations. Témoin des dramatiques évènements, il fut rapatrié en France métropolitaine en 1962. Après des études médicales à Montpellier de 1967 à 1980, il exerça la profession de chirurgien à Perpignan. C'est le parcours «classique» d'un homme né sur une terre qui a cessé d'appartenir au pays dont il revendique la nationalité. Il n'est, personnellement, pas responsable du déchaînement de la violence coloniale, des très nombreuses victimes qu'elle a provoquées et encore moins de l'affreuse guerre menée contre un peuple, dans le seul objectif de le maintenir dans un état de servitude éternelle. Robert Mazziotta n'a pas de mots assez forts pour pester contre un système injuste et profondément inégalitaire. Et c'est justement pour cela qu'il ne nourrit aucune haine à l'endroit des Algériens qui ont repris leur terre à la force de sacrifices. Il comprend le sens du combat libérateur et espère voir une nouvelle ère entre deux peuples qui se connaissent bien et sauront s'apprécier un jour. Robert Mazziotta est l'auteur d'un livre: Les mémoires réconciliées. C'est dire la part d'humanisme qui l'habite... Entretien.
L'Expression: Comment définissez-vous le système colonial?
Robert Mazziotta: Le système colonial a différents aspects. Si l'on considère la colonisation française en Algérie, je dirai qu'elle était injustifiée, injuste et profondément inégalitaire. Qui peut trouver un justificatif au fait que les nations européennes se soient partagées l'Afrique? Quand une minorité dispose de droits civiques alors que la majorité en est privée, quand les bonnes terres sont spoliées et attribuées à des colons et que les indigènes ne disposent que des terres arides infertiles, quand tous les postes de responsabilité sont occupés par les membres de la puissance coloniale, quand 90% des indigènes sont laissés dans l'analphabétisme, quand il y a une telle différence de niveau de vie, quand tant de manifestations pour revendiquer une identité ont été réprimées dans le sang et cela depuis le début de la colonisation, on comprend qu'un tel système ne peut pas perdurer. Il faut cependant dire que tous les Français d'Algérie n'étaient pas des riches colons, que la plupart étaient de condition modeste. Dire aussi que des liens avaient pu se créer entre les différentes communautés. Tous les pieds-noirs n'étaient pas d'affreux colons, mais le système, à l'évidence, était colonial.
Vous êtes né en Algérie, à Oran, y avait-il des vies heureuses en dépit des violences qui empoisonnent les débats à ce jour?
Né en 1949, j'ai vécu à Oran jusqu'en 1962, c'était le temps de mon enfance, j'étais entouré de mes parents, de ma famille, des amis. Bien évidemment, j'ai de nombreux souvenirs heureux, mais je crois que ce qui me reste le plus intensément de cette époque, c'est cet attachement à cette belle ville, Oran, le marché de Boulanger, la petite maison de mes grands-parents à Cuvelier, le lycée Lamoricière (actuellement,le lycée français Pasteur), la place d'Armes, le plaisir que j'avais lorsque je revenais du lycée pour arriver à la rue Murat où j'habitais, le boulevard Front de mer, les plages de la corniche oranaise, les pique-niques à Canastel...
Pendant longtemps, ce fut un souvenir douloureux, avec un manque. Avec le temps, c'est devenu un sentiment plus subtil, celui d'avoir un lien discret mais réel avec ma terre natale et avec les Algériens avec lesquels je la partage.
Que pensez-vous du rapport Stora suivi de la décision du président Macron de lever le secret défense sur les archives liées à la guerre d'Algérie?
Benjamin Stora est l'un des plus éminents spécialistes français de l'histoire de la guerre d'Algérie. Le président Macron lui a demandé un rapport pour faire le point sur l'état de la mémoire des peuples concernant cette guerre et pour proposer des mesures pour faire avancer le processus de réconciliation entre la France et l'Algérie. Ce rapport a été remis. Il ne fait pas l'unanimité, mais qui pourrait la faire sur une telle question?
Benjamin Stora propose des mesures dont certaines sont symboliques et d'autres plus pratiques, par exemple un accès plus facile aux archives. Je crois que les archives doivent être accessibles, les historiens doivent pouvoir disposer de tous les documents leur permettant de dire ce qui s'est passé.
Il ne faut pas avoir peur de la vérité. L'erreur serait de faire porter à Benjamin Stora l'entière responsabilité d'apporter la solution. Une question si complexe, avec toutes ses composantes dramatiques, résultant de tant de souffrances, ne peut être résolue comme par un coup de baguette magique. Un travail commun long, difficile est encore, à l'évidence, nécessaire. Pour cela, Benjamin Stora propose une méthode et des outils. C'est le moment de les utiliser, sereinement, dans le respect de tous pour que le temps de l'adversité passe et que celui de la réconciliation complète et définitive voit le jour.
Que faudrait-il selon vous pour dépassionner le débat et réconcilier les mémoires entre les deux peuples, algérien et français?
Il me semble que c'est le rôle des gouvernants d'agir pour cela. Le travail des historiens est important, mais il consiste à décrire ce qui'il s'est passé, à donner des outils pour comprendre.
Ils ne sont pas responsables de l'état des relations entre les pays. Je pense aussi qu'individuellement nous avons tous un rôle à jouer. Il ne faut pas attendre que tout vienne du gouvernement. Chacun de nous peut s'impliquer, c'est le sens de ma démarche lorsque j'ai écrit le livre Les mémoires réconciliées (éditions L'Harmattan).
De plus, il ne faut pas surestimer ce problème: lorsque je parle à un Algérien ou à une Algérienne, je n'ai pas le sentiment d'être en conflit et je n'éprouve pas le sentiment d'avoir un compte à régler. Pour beaucoup d'entre nous la question ne se pose plus.
Pour dépassionner ce débat, il faut de l'empathie réciproque, c'est-à-dire que chacun doit accepter de se dire: «je pense cela et j'ai des raisons de le penser. Mais si j'étais né dans l'autre camp, que penserais-je? Qu'aurais-je fait?» À partir de là, chacun peut nuancer son point de vue et admettre que l'autre puisse avoir un point de vue différent.
Quel est le rôle de votre association?
«Mare Nostrum, une méditerranée autrement» est une association littéraire qui a pour objectif de créer un lien entre tous les écrivains autour de notre mer (mère) commune. J'ai l'honneur et le plaisir de rédiger des chroniques pour cette association.
Son manifeste stipule: «Nous redoutons ce qui est différent. C'est parce que nous sommes incapables d'ouvrir nos yeux que nous fermons nos bras. Nous devons accepter que le patrimoine culturel, spirituel, la sagesse de nos origines, soient enfouis dans les profondeurs de cette Méditerranée qui est notre part commune, notre monde commun. Le sang qui coule dans nos veines pulse de nos racines mésopotamiennes, égyptiennes, juives, grecques, romaines, chrétiennes et musulmanes. Sur toutes les rives de notre Méditerranée, ''Mare Nostrum'', nous sommes frères et soeurs. Elle est une mer, une lumière universelle qui nous guide et nous unit.»
Notre association rapproche, crée des ponts, des passerelles, réunit dans la bienveillance et la fraternité.
Est-il vrai que l'extrême droite s'est mobilisée dans certaines régions de France pour bloquer toute réconciliation des mémoires entre les deux peuples?
Les élus et les sympathisants d'extrême droite réagissent à chaque initiative allant dans le sens d'une reconnaissance des faits car ils ne regardent que d'un seul côté. Pour eux, la guerre d'Algérie se résume uniquement à des actions terroristes monstrueuses pratiquées par les Algériens. Ces derniers ont commencé en Novembre 1954 et ils sont donc responsables de tout ce qui s'est passé par la suite.
Mais j'espère que ceux qui pensent ainsi ne représentent pas la majorité. Même ceux qui ont souffert directement de la guerre, sont nombreux à avoir une position nuancée.
Pour essayer de leur faire comprendre, je vais citer quelques lignes d'un magnifique ouvrage Alger, rue des bananiers de Béatrice Commengé, éditions Verdier «la jeune femme est jolie, elle s appelle Zohra. Elle s'est assise au milieu de la salle et a posé son sac sous la table avant de commander une glace. Elle a regardé les enfants autour d'elle, avec leurs parents. Puis elle s'est levée en laissant le sac sous la table. (...) La bombe a explosé à six heures trente-cinq. Zohra était assez près pour entendre l'explosion, assez loin pour ne pas voir le bras d'une petite fille se séparer de son corps, sectionné par une vitre, pour ne pas compter les blessés, compter les morts. Les morts, elle les avait regardés, elle les avait touchés, cinquante et un jours plus tôt, une nuit du mois d'août, rue de Thèbes, au coeur de la Casbah. Neuf enfants morts, et puis des adultes. Elle n'avait pas voulu les compter». Tout me semble dit.
Il y a ceux qui restent dans le conflit, dans la nostalgie et finalement dans la souffrance, et ceux qui pensent qu'un jour, il faut aller de l'avant, c'est-à-dire, se souvenir du passé sans croire que l'on est condamné à une hostilité perpétuelle.
Un dernier mot?
Je ne suis jamais revenu en Algérie. Lorsque j'ai écrit
Les mémoires réconciliées, j'avais en tête un souhait, c'est que ce témoignage puisse intéresser certaines personnes en Algérie, comme des étudiants en histoire, et j'aurais aimé venir leur parler de ce livre et de mon cheminement par rapport à cette question de la réconciliation. Peut- être lorsque la Covid se sera vite fait oublier?


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