Les massacres, les enfumades, la torture d'Algériens durant la colonisation française sont légion. C'est une marque de fabrique de la France coloniale. Ceux du 8 mai 1945 tiennent cependant une place à part dans la mémoire collective des Algériens. C'est de cette date marquée par des manifestations pacifiques sauvagement réprimées que naîtra et sera entretenue cette flamme révolutionnaire qui conduira au déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954 puis à l'indépendance du pays signant la mort de l'Empire colonial français. Le 8 mai 1945 demeurera un repère incontournable, qui attestera de la face barbare de la France coloniale. Plus de 45 000 Algériens qui manifestaient pour leur indépendance seront assassinés, des centaines seront arrêtés et d'autres portés disparus, ce jour-là. Le jour même où le monde libre, dont la France, célébrait sa victoire sur l'Allemagne nazie. Un drame se jouait à huis clos à Sétif, Guelma et Kherrata villes martyres et symboles de ce génocide. Les Algériens qui ont participé, versé leur sang pour libérer la France des griffes du nazisme ont cru le moment venu de revendiquer à leur tour le droit à la liberté, à leur indépendance. Ils sont sortis par milliers pour le manifester pacifiquement. Ils seront massacrés. Un génocide qui accouchera d'un traumatisme permanent. Un tabou français refoulé. Les communistes, qui participaient avec Maurice Thorez au gouvernement provisoire du général de Gaulle, prétendent dans le quotidien L'Humanité que les émeutiers musulmans seraient des sympathisants de Hitler et des nazis! Ils diffusent en Algérie le 12 mai un tract appelant à «passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l'émeute» est-il écrit sur le site d'Hérodote.net, un site web français consacré à l'Histoire universelle. Une tragédie inexcusable Il aura fallu attendre 60 ans, pour que la France officielle, sous la présidence de Jacques Chirac, évoque une «tragédie inexcusable» qu'elle tarde toujours à assumer pleinement. C'est l'ambassadeur de France à Alger qui en sera le déclencheur lors d'un déplacement à Sétif que l'on pensait strictement protocolaire. Il créera finalement l'événement «Je me dois d'évoquer une tragédie qui a particulièrement endeuillé votre région. Je veux parler des massacres du 8 mai 1945, il y aura bientôt soixante ans: une tragédie inexcusable», déclarera le 27 février 2005 Hubert Colin de Verdière lors d'une allocution prononcée à l'intérieur de l'université Ferhat Abbas, premier président du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) en septembre 1958. C'était la première fois qu'un représentant officiel de la République française reconnaissait ce qui s'était passé à Sétif et le faisait en employant des mots aussi forts que «massacre» et «tragédie inexcusable», soulignera le 10 mars 2005 la journaliste Florence Baugé dans le quotidien français Le Monde. Son successeur lui emboîtera le pas trois ans plus tard. «Le 8 mai 1945, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, au côté des Européens, la victoire sur le nazisme, à laquelle ils avaient pris une large part, d'épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata», a souligné Bernard Bajolet, ambassadeur de France en Algérie, lors d'une visite à l'université du 8-Mai 1945, de Guelma (est du pays), effectuée le dimanche 27 avril 2008. Une tache indélébile La très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière qui a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes a été relevée par le diplomate français. «Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé. Ces massacres ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d'une tache indélébile», avait affirmé l'ambassadeur de France en Algérie. Cinq mois avant lui le Président français de l'époque, Nicolas Sarkozy, avait évoqué «les fautes et les crimes du passé» colonial français en Algérie, qualifiés d'«impardonnables» dans un discours prononcé à l'université de Constantine. Le président François Hollande fera un pas de plus en envoyant son secrétaire d'Etat chargé des Anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, dans la capitale des Hauts-Plateaux pour commémorer le 70ème anniversaire des massacres du 8 Mai 1945. Il s'y rendra en avril plutôt qu'en mai non pour éluder les commémorations officielles algériennes, mais pour des raisons d'agenda, la France célébrant de son côté le 8 mai le 70e anniversaire de la fin de la guerre de 1939-1945, précisera-t-on, cependant dans son entourage. «Je prendrais des actes forts et je porterais des discours forts sur cette période de notre histoire, parce que ma conviction profonde au-delà du rapport à la vérité et à l'histoire,» avait promis de son côté l'actuel locataire de l'Elysée à la veille de son premier mandat. La réconciliation des mémoires entre l'Algérie et la France bloque, «la responsabilité première de cette situation incombe d'abord et avant tout aux différents chefs d'Etat français et, présentement, au président Emmanuel Macron» avait déclaré l'historien français, Olivier Le Cour Grandmaison, à la veille du 76ème anniversaire des massacres du 8 mai 1945. Le Président Macron cassera-t-il ce tabou? L'Algérie l'espère...