L'imprévisible Yasmina Khadra a choisi cette semaine d'aller voir son public algérien de plus près et ce, via une petite tournée à travers quelques villes d'Algérie. Une sortie médiatique qui coïncide avec la publication chez Casbah Editions de son nouveau roman «Les Vertueux» qui sera disponible en librairie à partir du 24 aout prochain. Mégalo, Yasmina Khadra? Ceci n'est un secret pour personne. Lundi, l'auteur de «Pour l'amour d'Elena» a clairement soutenu cette idée pour faire la promotion de son dernier ouvrage, tout en affirmant paradoxalement: «Si vous voulez accéder vraiment à votre humanité, allez passer quelques jours au Sahara à observer les gens. Regardez comment ils assujettissent leurs propres déboires, comment ils magnifient leurs indigences. Parce qu'ils sont poètes aussi, parce qu'ils sont philosophes, parce qu'ils savent qu'ils y a une finitude, que rien ne dure sur terre, alors ils essayent d'être braves avec eux- -mêmes et avec les autres.» Ce délire de grandeur, Yasmina Khadra l'attribuera volontiers aux hommes du désert dont il est un digne hériter d'où ce désir souvent perceptible chez lui, comme d'aucuns l'attestent, d'affirmer qu'il est devenu un grand écrivain, lu dans plusieurs langues, là où il va...parce qu'il a beaucoup souffert durant ses débuts...comme il en témoignera lors de cette conférence. Une façon de se substituer à cette malédiction qui a frappé son enfance et l'a jeté très tôt dans la jungle autoritaire des adultes et lui confisqua son innocence. Une violence enfouie qui ne se guérit pas, mais qui se transforme. Ce que son personnage principal dans «Les Vertueux» a eu aussi à subir, d'une certaine manière, faut- il le préciser aussi...Et de souligner avec assurance, devant une salle archicomble à la Bibliothèque nationale d'El Hamma: «On m'a toujours dit dans les médias que je suis mégalo alors que je suis accessible... mais cette fois-ci c'est, avec beaucoup de plaisir que je vais devenir mégalo! «Les vertueux» va vous scotcher!» Rien que ça! «Il va vous émerveiller. Il va faire de vous les vrais lecteurs du monde parce que j'ai passé trois années pour vous mériter. Pour mériter tout mon lectorat. C'est un roman qui essaye d'expliquer pourquoi nous sommes susceptibles, pourquoi nous sommes agressifs et impatiens?», a t-il lâché. «Les Vertueux» d'un écorché vif Il en donnera comme raisons: «Parce qu'on a traversé des épreuves terribles, titanesques, parce qu'on a tellement souffert, on a tellement rêvé et on a été tellement déçu...» À l'adresse des jeunes générations, Yasmina Khadra préconise «le retour aux sources si l'on veut voir la mer...». Et d'évoquer «le devoir que nous devons aussi à nos parents». Et d'insister: «Ne passez pas à côté de cette oeuvre. Je me suis régalé et pour la première fois, malgré tous les soucis que j'ai rencontrés, j'ai le sentiment que j'ai franchi le cap avec ce livre...» Entre un fond d'amertume à peine déguisé et des mots assassins clairement tranchés, Yasmina khadra s'est tout de même félicité tout de go, de voir autant de monde lorsqu'il pénétra dans la salle. «Je suis très content de voir qu'un écrivain peut intéresser un très large public. Quelqu'un qui lit c'est quelqu'un qui se respecte. Si nous sommes les amis du livre, nous sommes obligatoirement les amis de l'avenir. Content de voir beaucoup de jeunes...» Evoquant son métier d'écrivain, il dira: «J'ai travaillé avec amour, passion et acharnement. J'ai toujours voulu être digne de tous les auteurs algériens qui m'avaient passionné quand j'étais jeune et si j'ai réussi c'est parce que j'ai aimé les écrivains algériens.» Aux jeunes qui veulent devenir écrivains,Yasmina Khadra leur portera ce conseil: «Apprenez à aimer les écrivains, parce que si on n'aime pas quelqu'un on ne peut pas déceler son talent, on ne peut pas déceler sa générosité..On devient une ombre parmi les ombres. On devient une ombre chinoise sur un écran blanc...Dans n'importe quel métier pour le faire il faut d'abord commencer par aimer cette vocation.» Evoquant «le devoir d'être à la hauteur des anciens», Yasmina Khadra citera le doyen de L'Expression, le célèbre écrivain Kaddour MHamsadji qui tenait pendant des années sa propre chronique littéraire dans le quotidien L'Expression. Tel un influenceur, du haut de son riche parcours de «pop star au long cours dans la littérature», Yasmina Khadra dira à l'assistance, à l'mage un prêcheur dans une mosquée: «Ne soyez pas des figurants, chacun peut être le héros de sa propre histoire. Soyez les héros de votre histoire. Parce que chacun de vous est précieux. Chacun de vous est irremplaçable. Soyez ce que vous êtes et si vous voulez vraiment accéder à vous-mêmes, commencez d'abord par vous méritez vous-mêmes, par le travail, par la générosité...»Avec sa fierté légendaire, Yasmina Khadra avouera: «Quand j'écris je me pose toujours la question si l'histoire que je suis en train d'écrire peut intéresser les autres. J'ai peur. C'est une très grande angoisse. Mais je n'ai pas l'angoisse des pages blanches. C'est impossible pour moi..» Mais de reconnaître las: «La fiction me venge de l'affliction du réel. Chaque ambiance un style Le monde qui nous entoure est tellement affligeant, tellement désespérant que la seule façon pour moi pour m'échapper est d'écrire.» Et d'avouer à nouveau: «Il m'arrive quelque-fois déchouer. J'ai des livres que j'ai ratés et que je n'ai jamais osé proposer aux lecteurs parce que je ne suis pas satisfait.». «Je n'essaye pas de bousculer les choses, écrire c'est très naturel chez moi», admet- il pourtant. Parlant du style, il dira: «J'essaye d'inventer à chaque fois un style, une ambiance et cette ambiance doit impérativement reposer sur un style particulier. Quand j'ai écris «La dernière nuit du raïs», j'ai voulu une langue qui ressemble à Kaddhafi. Un personnage qui se croyait avoir une mission messianique donc j'ai voulu créer une langue qui lui ressemble. C'est pourquoi j'ai emprunté un peu au langage religieux.(...) Quand j'ai écrit ''Ce que le jour doit à la nuit'', il me fallait tout l'amour pour ce pays, pour l'A2lgérien et ce qu'il représente véritablement. Et j'ai crée. (...) Je gagne tous mes combats littéraires et je suis disqualifié par des lobbys et je ne suis quoi...». S'agissant de l'acte d'écrire, Yasmina Khadra dira que «ça commence par l'imaginaire, je vois un film c'est pourquoi mon écriture est imagée. Lorsque l'histoire est terminée dans ma tête, quand je suis satisfait, alors je passe à l'écriture. La plus grande épreuve pour moi c'est l'écriture. J'écris en français dans une langue que je n'ai jamais étudiée, mais que j'ai découverte au lycée comme n'importe qui, mais que j'ai appris à aimer. Quand j'étais jeune, je voulais devenir poète en arabe. Je n'ai jamais été encouragé par les professeurs. J'avais un prof de français qui s'intéressait à mon imaginaire et qui m'a poussé alors que j'étais nul en français. Il s'intéressait à moi alors que j'étais à l'école des cadets. Je n'étais pas Mohamed Moulesshoul, mais un simple matricule. Ce prof m'a appelé par mon nom. Il m'a restitué à moi-même. Il a donné beaucoup de son temps. Il faisait uniquement son travail de professeur. Il m'a éveillé à sa langue. Aujourd'hui, je le dis encore, la plus belle langue pour la poésie c'est l'arabe et la plus belle langue pour le roman c'est le français.». À la question de l'appel au large, et la notion de voyage qui est récurrente dans ses romans, Yasmina Khadra l'incombera à son arrachement à sa mère quand il n'était qu'un enfant. Et d'expliquer: «À neuf ans, je me retrouve dans une caserne. Faire voyager les lecteurs La porte qui se referme derrière moi m'a confisqué le monde qui m'appartenait. J'étais dépossédé de tout. C'est pour ca qu'à travers la littérature, j'essaye de convoquer ce monde dont je rêvais et c'est pour ca que j'aime voyager et faire voyager mes lecteurs et ce, sans visa et sans billet. Le livre avait remplacé ma mère et les écrivains m'ont éveillé à l'essentiel de ce monde. Ils m'ont appris à réfléchir et à m'instruire. À respecter l'Autre..» il prendra comme exemple le livre «Les hirondelles de Kaboul», qui parle de l'Afghanistan ou encore le Mexique (qui a fait naitre «Pour l'amour d'Elena» Ndlr) même si son éditeur l' avait dissuadé au début...alors que tout n'est qu'une question de «sensibilité» a-t-il estimé..Des romans qui ont marché malgré les appréhensions au départ de son éditeur français. Et de conclure: «Nous pouvons raconter le monde et devenir de grands écrivains, pas seulement de grands footballeurs ou de grands chanteurs. On peut produire aussi de grands architectes, de grands réalisateurs, de grands athlètes et de grands intellectuels. C'est mon combat à moi». Yasmina Khadra se félicitera qu'au Mexique certaines de ses oeuvres soient adaptées au théâtre alors que d'autres à travers le monde, au cinéma. Il reconnaît, toutefois, être devenu, aujourd'hui, très «exigeant» admet-il. «Parce que notre histoire est une histoire douloureuse et authentique, on n'a pas le droit de la porter à l'écran avec légèreté. Aux Algériens de prendre en charge l'adaptation des oeuvres algériennes», soutient-il.