17 octobre 1961. Une des pages les plus dramatiques de la guerre de Libération nationale va s'écrire il y a 61 ans, tout juste. Il s'agit d'un événement d'une gravité exceptionnelle, dont le nombre de morts a fait dire à deux historiens britanniques (Jim House et Neil MacMaster) dans leur ouvrage Les Algériens, la République et la terreur d'Etat, paru chez Tallandier en 2008 qu'il s'agit de la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine. Cet épisode, des plus dramatiques, qui s'est déroulé au coeur de l'ex-puissance colonisatrice, a marqué l'histoire de la guerre d'Algérie. 150 à 200 Algériens, selon les historiens, ont été sauvagement exécutés alors qu'ils manifestaient de façon pacifique contre un couvre-feu qui les visait. Le préfet de police Maurice Papon avait publié un communiqué suite à la décision, prise en Conseil interministériel le 5 octobre 1961, d'instituer un couvre-feu envers les seuls Algériens. «Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s'abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20 h 30 et 5 h 30 du matin», stipulait le document. Les «débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans» doivent fermer à partir de 19 h00. Ces mesures sont accompagnées d'une injonction à interpeller «tout Français musulman circulant en voiture» et placer le véhicule en fourrière «en attendant la décision du commissaire de police ou du Service de coordination des affaires algériennes». La riposte s'organise. Encadrée par la Fédération de France du Front de Libération nationale. Des manifestations de masse sont prévues à Paris, des manifestations de solidarité de femmes dans les villes de province, et une grève de vingt-quatre heures accompagnée d'une grève de la faim dans les prisons. Le mot d'ordre est donné aux militants. Ils ne doivent le communiquer à la base que dans la journée même du 17 octobre. Le jour «J» entre 20 000 et 30 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, en habits du dimanche pour signifier leur volonté de dignité, commencent à se diriger vers les points de regroupements. «Trente, quarante mille Algériens brusquement sortis du sol, des Grands Boulevards au Quartier latin, de la Concorde à l'Etoile», témoignera Paulette Péju, militante communiste anticolonialiste et journaliste au quotidien Libération. Une colonne de 10 000 personnes en provenance des bidonvilles et des quartiers populaires de la banlieue ouest (Nanterre, Bezons, Courbevoie, Colombes et Puteaux) sera bloquée au Pont de Neuilly. C'est là que se déroulera un des affrontements les plus meurtriers. Les premiers assassinats seront signalés alors que d'autres quartiers du coeur de la capitale française s'embrasent. Une répression extrêmement violente s'abat sur des manifestants aux mains nues entre la place de la République et l'Opéra, sur les boulevards Saint-Michel et Saint Germain, à proximité de la préfecture de police. Des dizaines de morts, d'exécutions, seront dénombrés alors que le nombre de blessés se chiffrent par milliers. La police française qui a matraqué à tour de bras n'a pas hésité à ouvrir le feu sur des manifestants pacifiques. Des «scènes de violence à froid» dans les centres d'internement ont été signalées par le journal Le Figaro qui a publié des articles sur les exactions commises par la police. Le célèbre quotidien Le Monde rendra également compte de ces conditions de détention exécrables et de l'invraisemblance des annonces officielles. Des dizaines d'Algériens seront jetés, puis noyés dans la Seine. Parmi eux Fatima Bedar qui n'avait que 15 ans. Elle est la plus jeune martyre des événements du 17 octobre 1961, elle sera retrouvée, noyée, par des ouvriers chargés du nettoyage de l'écluse d'un canal de la Seine. L'Algérie indépendante qui célébrera une des pages les plus tragiques de son histoire, de sa fabuleuse révolution, écrite sur le sol français qui la mènera vers son indépendance lui rendra hommage demain. Une minute de silence sera observée à 11h du matin à travers le territoire national et des représentations diplomatiques et consulaires à l'étranger, à la mémoire des chouhada des massacres du 17 octobre 1961.