Macron snobé pour Poutine? En choisissant d'aller en visite d'Etat à Moscou plutôt qu'à Paris, le président Abdelmadjid Tebboune a rappelé combien le pari de son homologue français Emmanuel Macron d'un rapprochement avec Alger restait incertain et risqué. La séquence s'annonçait grandiose: le chef de l'Etat algérien escorté des Invalides à l'Elysée par la Garde Républicaine à cheval, tout un symbole de l'ex-puissance coloniale. La visite, programmée d'abord début mai, avait été repoussée à juin, les Algériens craignant que la fête ne soit gâchée par les manifestations du 1er mai contre la très contestée réforme des retraites relevant de 62 à 64 ans l'âge de départ à la retraite, selon des sources concordantes. Mais Abdelmadjid Tebboune n'a jamais confirmé sa venue, qui devait consacrer l'embellie entre les deux pays après nombre de crises diplomatiques. Les deux parties sont «en discussion pour trouver une date qui puisse convenir», se borne à dire l'Elysée, confirmant ainsi indirectement un nouveau report de la visite. Le président algérien est au final apparu jeudi au Kremlin, signant en grande pompe avec son homologue Vladimir Poutine plusieurs accords visant à approfondir le «partenariat stratégique» bilatéral. Au-delà de l'amitié affichée par les deux présidents, la relation entre la France et l'Algérie reste empreinte de méfiance, malentendus et non-dits.»Tout cela est quand même très incertain, très aléatoire, très contradictoire», concède une source diplomatique française. Comme à Paris où le temps béni des colonies tourmente toujours dans les rangs politiques de la droite et de l'extrême droite, à Alger, le sentiment anti colonisateurs remonte régulièrement à la surface, au gré des tensions. Le soi disant débat en France sur une éventuelle remise en cause de l'accord migratoire conclu en 1968 avec l'Algérie n'a rien arrangé non plus. A 18 mois de la présidentielle algérienne, une visite du président Tebboune en France pouvait être contre productive. Les pages noires de la colonisation française pèsent encore très lourd entre les deux pays. Une véritable «rente mémorielle», avait prétendu Emmanuel Macron en 2021, suscitant alors l'ire d'Alger. L'Algérie, candidate à l'entrée dans le club des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), préfère peut-être aussi «éviter toute fausse note avec une visite à Paris», estime un expert de l'Iris. Les Brics veulent se positionner comme une alternative à l'ordre mondial dirigé par l'Occident. Puissance régionale, Alger ambitionne ainsi de jouer dans la cour des grands. La visite à Moscou n'est pas forcément vue d'un mauvais oeil à Paris.»L'Algérie est un médiateur, quelqu'un qui peut parler à d'autres auxquels on ne parle pas. Le fait qu'elle parle aux Russes, à la limite c'est tant mieux», estime la source diplomatique. Emmanuel Macron reste en revanche loin de son objectif de réconciliation des mémoires et de relance de la relation franco-algérienne, notamment au plan économique. En redoublant d'attention pour Alger, il a en outre plombé une relation déjà difficile avec le Maroc. «Le jeu d'équilibre de la France entre les deux pays est plutôt vu comme un double jeu», relève un observateur. Rabat et Paris sont en froid depuis des mois, un gel des relations qui s'ancre et perdure (il n'y a toujours pas d'ambassadeur du Maroc en France). A l'origine de cette grave brouille, les restrictions d'octroi des visas visant les ressortissants marocains, une mesure officiellement levée en décembre. Mais au-delà, le Maroc reproche surtout à la France ne pas s'aligner sur les Etats-Unis et l'Espagne qui ont reconnu la (prétendue) marocanité du Sahara occidental, au mépris des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU. La visite d'Etat d'Emmanuel Macron au Maroc, promise plusieurs fois, ne cesse aussi d'être reportée.»Il faut trouver le chemin de crête, ce n'est pas facile, mais c'est vraiment la préoccupation du moment, parvenir à relancer nos relations et les remettre sur des bons rails», concède-t-on à Paris.