Les évènements chaotiques dont le Monde arabe est le théâtre depuis 2003 sont évoqués diversement dans une médiasphère protéiforme où l'information est infectée par la manipulation. D'où la difficulté d'en saisir la trame et d'en mesurer la portée. C'est pourquoi, il est utile de les replacer dans le contexte plus vaste de l'histoire mondiale dont ils ne sont que des séquelles. Concernant la Syrie par exemple, c'est un épisode parmi d'autres du drame qui se joue depuis longtemps dans cet Orient arabe où les acteurs sont des puissances qui se disputent âprement sa position stratégique et ses richesses au nom d'idéologies et d'intérêts antagoniques, tandis que se décide en coulisses la destinée de ses peuples et de ses Etats. Tout a commencé voilà 266 ans (1798-2024) lorsque cette région change de chemin, suite à l'expédition en Egypte de N. Bonaparte (1798-1801) qui révèle une hardiesse européenne induite par la Renaissance puis la modernité (XVe-XVIIIe siècle). Celle-ci a produit des idéaux et des modèles nouveaux d'organisation de la vie collective, ainsi qu'une révolution industrielle née en Angleterre. En s'étendant à la France et à ses voisins, elle aboutira à une supériorité écrasante de l'Europe qui se lance à la conquête des océans et des continents. Par son intrépidité, l'Angleterre s'établit de 1713 à 1757 en Amérique du Nord et en Inde, faisant de leur sécurité l'antienne de sa politique mondiale. D'où son obsession des facteurs clés de la géopolitique que sont, notamment la puissance maritime et la géographie (physique, commerciale et des matières premières). C'est dans ce contexte que le Moyen-Orient capte son attention en tant que passage obligé entre les marchés asiatiques et la Méditerranée. Pour y protéger ses intérêts, elle commence par s'assurer la stabilité de la Perse et de l'Empire ottoman dont faisait partie l'espace arabe. Mais le percement du canal de Suez (1859-1869) qui épargne aux navires le long détour par Le Cap (Afrique du Sud), change la donne. Désormais, le trafic commercial européen traversera de bout en bout l'Orient arabe dès 1869, confirmant son statut stratégique et politique, et bouleversant de fond en comble la politique internationale. Aussitôt après, l'Angleterre s'installe en Egypte (1882) et renforce son influence en Perse et en Afghanistan face à la Russie, franchissant ainsi un premier pas vers son hégémonie sur la zone du canal et du Moyen-Orient (cf. F.W. Fernau, 1953). Le pas décisif sera fait en pleine Guerre mondiale (1914-1918) avec la révolte arabe (1916-1918) suscitée contre l'Empire ottoman afin de placer ses provinces méridionales sous influence britannique (Irak, Arabie) et française (Syrie, Liban). Trois arrangements seront alors conclus: en 1916 les accords Sykes-Picot; en 1920 le traité de Sèvres et la conférence de San Remo sur les mandats initiés par la SDN. Quant à la Palestine, son sort est scellé par la déclaration Balfour (2/11/1917) visant à y installer un «foyer national juif». Voilà, succinctement, comment l'Angleterre et la France décidèrent du destin de l'Orient arabe post ottoman. La caducité des méthodes coloniales classiques et l'enjeu stratégique de la découverte du pétrole (1927-1940) étant avérés, ces deux puissances reconnaîtront de 1932 à 1967 l'indépendance des Etats établis sur les décombres de l'Empire turc, sans se défaire pour autant de leur hégémonie. C'est l'Angleterre qui prit l'avantage en Irak (1922-1930); Arabie saoudite (1927) et Jordanie (1946) par des accords bilatéraux de long terme, en sus de ceux conclus déjà avec Oman (1798, 1839, 1930); Bahreïn (1820, 1861); les EAU (1820, 1853, 1892); Qatar (1868, 1916); le Yémen (1886, 1905, 1925, 1934) et le Koweït (1899) où, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), elle a joué un rôle majeur. Après 1945, le contexte se modifie avec l'entrée en lice de cinq acteurs: USA, URSS, ONU (créée le 24/10/1945), Ligue arabe (créée le 22/3/1945) et Israël créé (le 14/5/1948). C'est le temps des rivalités, tensions et crises Est-Ouest; panarabisme - sionisme; laïcisme-islamisme; socialisme-libéralisme; sunnisme-shiisme; conservatisme-progressisme; djihadisme-nationalisme... Depuis 1948, près d'une vingtaine de conflits impliquant plus de 30 pays et des mouvements politiques se sont soldés par des centaines de milliers de morts. La situation s'aggrave à partir de 2011 avec des ruptures qui n'en finissent pas d'exacerber les divergences et d'entretenir l'instabilité, tandis que les stratégies des grandes puissances et des dynamiques centrifuges, identitaires et politiques, sont à l'oeuvre qui font craindre une fragmentation pure et simple des Etats. Un changement radical dans les rapports de forces et l'échelle des valeurs ouvre en tout cas une époque et un esprit nouveaux où l'Europe est à la traîne derrière des puissances montantes, et où les règles onusiennes risquent de subir un sort analogue à celui de la défunte SDN. De leur côté, la Ligue arabe et le panarabisme agonisent, tandis que l'islamisme n'en finit pas de remuer. Quant au sionisme, il est plus arrogant que jamais avec le génocide de Ghaza. Autant de faits qui obligent aujourd'hui tous les pays à une redéfinition des modes de conduite de leur politique envers cet Orient tourmenté et stratégique. En adaptant habilement la sienne, l'Algérie parviendra à coup sûr à s'y ancrer au mieux de ses intérêts.