Si le brusque virage diplomatique de Donald Trump vers la Russie va forcément redéfinir la relation Moscou-Pékin, il est improbable qu'il brise leur solide partenariat, selon des analystes. Le président américain entend remettre en cause trois ans de front uni occidental contre l'opération militaire spéciale en Ukraine, en écartant pour l'heure Kiev et les Européens de négociations de paix qui pourraient être favorables au Kremlin. Cette dynamique aura des répercussions pour la Chine, déjà partenaire clé de Moscou, vers qui la Russie s'est tournée lorsqu'elle a été frappée par les sanctions économiques et l'isolement diplomatique de l'Occident. La «dépendance de la Russie à la Chine sera automatiquement atténuée» une fois le conflit terminé, déclare Yun Sun, du groupe de réflexion américain Stimson Center. «La Russie est traditionnellement connue pour manoeuvrer habilement sur la scène diplomatique» et si elle a été privée de cette capacité pendant la guerre en Ukraine, «cet espace se rouvrira lorsque les relations russo-américaines s'amélioreront», souligne-t-elle. Sur le conflit, la Chine appelle à respecter l'intégrité territoriale de tous les pays, sous entendu Ukraine comprise, et se présente comme partie neutre. Pékin n'a cependant jamais condamné publiquement Moscou pour son engagement contre l'alliance atlantiste et a renforcé ses liens économiques, militaires et politiques avec son voisin russe. Une position critiquée par l'ex-administration américaine et les Européens, qui appelaient régulièrement la diplomatie chinoise à faire pression sur la Russie pour stopper la guerre. Le fait que Donald Trump ait pris les devants dans les discussions avec son homologue Vladimir Poutine semble faire de Pékin un médiateur moins évident - du moins à court terme. Le revirement américain a entraîné de la part d'analystes politiques des comparaisons avec l'ex-président Richard Nixon, qui avait effectué en 1972 une visite surprise en Chine. Elle avait ouvert la voie à une reconnaissance diplomatique et permis aux Etats-Unis de prendre au dépourvu et d'isoler l'Union soviétique, alors en froid avec la Chine. Selon cette même logique, un rapprochement Trump-Poutine pourrait amener Moscou dans le giron diplomatique américain tout en fragilisant les liens sino-russes. Mais ces parallèles sont une «mauvaise lecture de l'histoire», car à l'époque de Nixon, la Chine était «faible, isolée», souligne Elizabeth Wishnick, du Weatherhead East Asian Institute de l'université Columbia. Aujourd'hui, la Chine est une superpuissance et entretient des liens étroits avec la Russie - ce qui n'était pas le cas à l'époque. La Russie perçoit Pékin comme un pilier de stabilité, face à Trump qui reste soumis aux aléas des élections. «Pourquoi prendraient-ils le risque de se brouiller avec Pékin, alors qu'ils en sont de plus en plus dépendants, que leurs économies sont interdépendantes et qu'ils partagent un intérêt stratégique: affaiblir la suprématie des Etats-Unis?», s'interroge un expert. Même constat pour Yun Sun, du Stimson Center: Washington ne pourra pas «briser l'alliance Russie-Chine, qui repose sur des intérêts profonds et durables» mais pourra éventuellement «perturber la nature et l'intensité de cette coopération», note-t-elle. Preuve de la solidité des liens sino-russes: Xi Jinping et Vladimir Poutine ont eu une conversation téléphonique lundi. Le président chinois a salué à cette occasion les «efforts positifs» de Moscou et d'autres pays pour désamorcer la crise ukrainienne et son homologue russe l'a «informé» des récentes discussions russo-américaines. Vendredi, le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Sergueï Choïgou, a atterri à Pékin, pour une rencontre prévue avec les plus hauts dirigeants chinois, dont Xi Jinping, ont indiqué les agences russes. Signe d'une intensification du dialogue, c'est sa deuxième visite à Pékin en trois mois, selon les médias russes. Pour la Chine, «le scénario optimal serait une Russie qui conserve ses gains territoriaux en Ukraine et réintègre la communauté internationale», juge Elizabeth Wishnick. Cela «inciterait également les dirigeants chinois à mener leurs propres revendications de territoire», ajoute-t-elle, une référence apparente à Taïwan. Pour Zhao Long, des Instituts de Shanghai pour les études internationales, la Chine peut toujours jouer un rôle dans la fin du conflit, en encourageant le dialogue entre les parties ou en «fournissant une plate-forme» pour des négociations. Pékin pourrait également aider à l'organisation du maintien de la paix en Ukraine après la guerre ou aider à reconstruire le pays «en tirant parti des avantages comparatifs des entreprises chinoises», souligne-t-il.