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Tragédies nationales et distorsion du capital symbolique
Publié dans Liberté le 01 - 06 - 2003

La notion de capital symbolique est de Pierre Bourdieu. Elle renvoie à un ensemble de valeurs non marchandes autour de quoi s'organise la représentation sociale des individus concernant la vie et la mort, la norme sociale et religieuse, les traditions, la famille, l'identité, le savoir et autres valeurs communément partagées et donnant un sens symbolique mais fondamental au fonctionnement original d'un groupe ou d'une société.
Disons pour faire court que l'importance du capital symbolique est telle que même là où les convictions de vie socioéconomiques sont rares ou inexistantes, la vie communautaire demeure encore possible du fait de l'adhésion du plus grand nombre à l'idée que les valeurs et croyances collectives sont un bien commun et qu'elles prennent sens, dans l'imaginaire social, de cette “sphère du sacré” à laquelle chacun de nous doit respect et déférence.
Partant de cette rapide définition du concept, je voudrais à présent prendre prétexte de la catastrophe qui vient de frapper le pays (le séisme d'Alger et de Boumerdès) pour faire une brève évaluation du niveau de performance de nos ressources symboliques devant l'épreuve. La première question est donc de savoir jusqu'où nous pouvons encore aller dans la trame inexorable, quasi-mythologique de ce temps mortifère qui nous poursuit et qui parfois nous ensevelit ? Et pour combien de temps encore ?
Je sais bien que face aux malheurs à répétition qui frappent le peuple algérien, la bienséance commande de mettre de côté notre raison instrumentale et ne sonder éventuellement l'étendue de notre détresse qu'à l'intérieur des limites bien comprises de cette “conscience douloureuse” dont parle le philosophe Bergson.
Mais tout de même ! De l'immense douleur de l'Algérie et de son peuple, du spectacle apocalyptique et révoltant qui se dresse là, devant nos yeux hébétés, jaillit malgré moi un flot irrépressible de questions que je me sens en devoir de livrer spontanément, à chaud et dans le cours forcément désordonné de l'émotion :
1- par leur régularité et leur ampleur, les malheurs que subit le peuple algérien paraissent relever d'un obscur atavisme. Inscrits dans la durée du temps historique, voilà qu'ils cumulent pêle-mêle les affres de la guerre de Libération, les victimes de catastrophes naturelles, du terrorisme, de la protestation kabyle, sans parler des situations de misère sociale et de déréliction de pans entiers de populations. Alors que l'on dit le pays riche ! Mais de quoi ?
Compte tenu de ce tableau pour le moins sombre et délétère, faut-il donc croire que nous ayons pu faire l'objet d'une quelque “malédiction”, d'un mauvais sort et que nous puissions porter en nous “le mauvais œil” ou même la “scomoune” ? (en arabe daâwi charr, l'aïn, tabâa, shâkht, etc.). Faut-il donc croire que cette baraka (bénédiction) dont nous étions tous investis par filiation a depuis longtemps déserté nos murs et pourquoi ?
Je n'ignore pas que l'argument magique ou métaphysique ne tient pas la route de la raison pure. Mais, il faut bien savoir qu'aujourd'hui, de nombreux Algériens vivant un temps de détresse sociale et psychique épouvantable, n'ont plus d'autres choix que celui de s'en remettre aux nébuleuses cosmiques pour y chercher un début d'explication au lugubre destin qui les poursuit. Et en admettant que devant le sacré, la raison s'incline, ne faut-il pas aussi songer à confondre ces forces du mal en travaillant à les exorciser au besoin par la magie du mot ? À moins que le mal soit déjà en nous et qu'il nous faille d'abord l'admettre avant d'imaginer la meilleure façon de l'extirper.
2 - alors que tout le monde sait que l'Algérie est le creuset naturel d'une forte activité sismique, on assiste invariablement aux mêmes comportements d'imprévoyance des pouvoirs publics en matière notamment d'éducation des populations et de prévention des risques. La propension quasi-pathologique des institutions publiques à faire de l'échec à répétition une méthode de gestion, élève le masochisme d'Etat au rang de modèle de gouvernance : advienne la tragédie et on y pourvoira après, semble-t-on vouloir dire, à chaque fois aux populations lasses de tant d'incurie et définitivement désabusées.
L'image pathétique — ou schizophrénique, c'est selon — de la Télévision nationale continuant à diffuser un match de football bien après qu'un terrible séisme eut dévasté nos villes et ensevelit nos populations, suffit à montrer le niveau de déliquescence de nos institutions. Idem pour les atermoiements et les exégèses ridicules concernant l'intensité réelle ou supposée du séisme. Idem pour la longue absence sur le terrain de la catastrophe des walis, des maires, des élus, députés, sénateurs et que sais-je encore ? Les diatribes sur le sexe des anges semblent prendre en ces occasions plus d'importance que la mort des “sans grade” et des pauvres. Sont-ce là les signes de symbolisation de la grandeur de l'Etat ? N'était-ce la présence exemplaire en matière de solidarité des corps constitués de la gendarmerie, de la police, des pompiers et de l'Armée nationale, du corps médical et de l'aide internationale, ce vide initial aurait même pris l'allure d'une défaillance dans les critères de la souveraineté et de la gouvernance.
3 - la source de la légitimité politique relève, selon Max Weber, de trois catégories sociologiques essentielles : les traditions, le charisme et la rationalité des lois. Admettons le principe. Qu'en est-il cependant de ce critérium de la légitimité dans les conditions particulières qui accompagnent les grands évènements d'un pays, tel le séisme dont nous parlons ici ?
Une rapide lecture des réactions des populations sinistrées d'Alger et de Boumerdès permet de faire trois observations au moins :
- Chaque tragédie nationale s'assortit d'un vaste mouvement de mobilisation d'une jeunesse admirable et qui permet aux mécanisme traditionnels de solidarité sociale de relativement bien fonctionner. À l'inverse, l'égoïsme, l'incompétence ou plus simplement la paresse des aînés, font que ces espaces ne préoccupent que peu ou alors tardivement ceux qui en ont en principe la responsabilité. Or face à cette désertion et bien que dépourvus de tout, les jeunes ont rapidement saisi l'immense avantage symbolique que leur offrait l'opportunité de remplir ce vide. Car, plus que quiconque, ils ont besoin d'exercer une fonction d'utilité publique à même de leur procurer un sentiment valorisant d'utilité sociale, valeur hautement symbolique et dont on sait bien qu'ils en sont privés dans la quotidienneté de leur vécu. De là, on peut penser que l'une des catégories webiennes de la légitimité, celle qui renvoie ici à la valeur des “traditions”, va permettre à ces jeunes qui subissent par ailleurs une implacable logique, l'exclusion sociale, d'initier un processus de “capitalisation” symbolique de la légitimité politique.
Il en résulte immanquablement un processus insidieux d'érosion et de dégradation progressives des éléments de différenciation du pouvoir. Car il faut bien se rendre compte que l'émergence symbolique de ces jeunes dans un champ sociologique en crise et en latence de sédition à l'égard du pouvoir officiel (l'accueil fait au chef de l'Etat à Boumerdès en est, de ce point de vue, l'inquiétant augure), équivaut à une volonté de “disqualification” symbolique de la puissance publique réputée incapable de recevoir l'émotion populaire et de la contenir à son avantage. On peut même le dire autrement : à la culture officielle d'un ordre supposé exprimer “la rationalité des lois”, semble désormais s'opposer une sous-culture qui bien que de nature protestataire et subversive, parvient malgré tout à symboliser l'ordre là où précisément les aînés (acteurs politiques) ne font que générer du désordre. Autre façon de dire que dans la réalité du fait social, le pouvoir politique est déjà en train d'imploser, de changer de main comme on dit. On comprend bien que dans la logique conflictuelle de ces rapports symboliques, l'autre catégorie de légitimation du pouvoir politique dont parle Max Weber, le “charisme” des acteurs politiques (ou des décideurs, comme le dit l'euphémisme) devient une litote. Et bien qu'en ce point focal de l'analyse le problème soit autrement plus complexe, il me semble tenir en partie à ceci : depuis les tragiques émeutes d'octobre 1988 qui ont vu l'effondrement symbolique de la puissance publique, le pouvoir politique n'a pas pu se reconstruire autour d'une figure emblématique forte et durable. De plus et pour avoir fondamentalement manqué de re-présentation sociale, ce pouvoir n'a pas voulu — ou su — faire le pari d'une prospection généreuse de l'avenir, prospection qui aurait permis d'intégrer dans le projet social cette formidable énergie que représentent les jeunes. Au lieu d'y voir — comme l'y invitaient d'ailleurs les enseignements non comptabilisés d'octobre 1988 — les véritables agents de changement social et en faire la force motrice du renouveau, l'Etat a curieusement choisi d'en ignorer l'importance catégorielle. Aussi était-il prévisible que ces jeunes qui sont aujourd'hui las et désenchantés, s'en défient à leur tour jusqu'à la caricature.
À présent que le pays est en panne de moyens et d'imaginaire et qu'il semble insidieusement rythmé par un “temps mort” qui accentue son dérèglement (c'est ce qu'on appelle le temps anomique), détient-il encore l'aptitude de scruter le lointain, de s'y projeter pour sortir de l'ornière ? Sans que le nihilisme devienne une modalité de rétorsion contre les “mauvais pères” et frères ?
Bossuet disait que “le plus grand outrage qui puisse être fait à la vérité, c'est de la connaître, ensuite de l'abandonner et de l'oublier”.
N. T. T.
(*) Ecrivain-psychanaliste


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