Dans la grande salle dédiée à Laâdi Flici du théâtre de Verdure où le soleil distribue une belle lumière, il y a une exposition peu commune de peintres qui exposent en commun : non pas en se partageant les cimaises, mais en se partageant le même espace de toile. Djahida Houadef et Amor Idriss Dokman jouent un duo dans un même tableau et créent leur univers en s'accordant à celui de l'autre. C'est une rare aventure esthétique qui a peu de précédent. Partir d'une toile, cela suppose qu'on se lâche. Libre, la drive de l'imagination, sous l'impulsion de moment, gambade au gré de l'inspiration… Lignes, forme, couleurs se dessinent, s'animent, prennent vie. Entrer sans effraction par cette fenêtre laissée sciemment ouverte par l'autre, c'est aller à sa rencontre, pour conclure ensemble l'œuvre inachevée. Division par deux. émergence, sans assaut, ni duel d'un nombre entier ; d'une œuvre indissociable où s'entremêlent les pinceaux, les traits légers et allusifs de Djahida Houadef et de la couleur vive, dynamique et fluide d'Amor Idriss, Lamine Dokman. L'un et l'autre vont ainsi flâner, divaguer, rêver, errer sur ce tracé préalablement limité, laissant une empreinte, une couleur, un trait de caractère, que l'on reconnaît dans leur différence, dans leur contraste, dans leur fantaisie… Qui est l'auteur de cadre intérieur ? Qui a fait la bordure ? Qu'importe ! L'œil averti sait. Ces femmes longitudinales, élégantes dans leur robe à volants, bien en vue malgré une jalousie, rêvant au clair de lune ; ou ces autres, avec comme toile de fond, ce soleil rond, chaud sue seul ; nous, citoyens de la Méditerranée, connaissons. Elles nous paraissent graves, pensives, au point de perdre cet attribut féminin, si chanté par nos poètes, si décrié, la chevelure. C'est elle. Ce collage de matériau autre que la peinture, le profil de ces visages à l'œil grand ouvert sur les turbulences de la planète entière. C'est lui. Songeur, le personnage centre “d'une quête du possible” nous ramène à un thème d'actualité : le devenir de la terre. Aérien, il semble regarder de haut, cette bordure où l'on devine la mer, les monts, les sillons, les vallées tels qu'ils devraient être verts, bleus, jaunes, ocres. Loin de toute pollution ou contamination. Tout semble couler de source, mais pour qui sait voir, on sent que pour atteindre cet altruisme, cette générosité, ce respect du travail de l'autre, il a fallu faire un gros travail sur soi, en laissant de côté cet ego à la fois si démesuré et si légitime chez les créateurs. Il a fallu épouser l'idée, les contours, les détours, les courbes, les pleins et les déliés… Il a fallu pour un temps unir son âme à celle de l'autre, pour la continuité de l'œuvre inachevée. Et c'est là où réside le défi des deux comparses. Deux personnalités, deux styles, aux antipodes l'un de l'autre, mêlant leur génie créateur. On aime où on n'aime pas. Il en faut pour tous les goûts. Alors, gageure ? Non ! Bel exercice que celui d'aller à la rencontre de cette bouillante matière humaine enfouie dans chacun de nous, qui ne demande qu'à jaillir, pour peu qu'on sache l'apprivoiser dans sa différence… qu'on sache l'étreindre sans l'étouffer. Vœu pieux où exigence de survie. À chacun de vous de voir. L. B.