Les Guinéens se sont rendus hier aux urnes. Ils espèrent mettre fin aux crises politiques à répétition qui ébranlent le pays de Sékou Touré, le seul à avoir dit non à la françafrique aussitôt l'indépendance acquise en 1958. Sékou Touré voulait construire un modèle de développement opposé au néocolonialisme adopté par ses voisins. Au final, il a échoué, la Guinée a sombré comme le reste du continent dans les incertitudes, voire dans la violence. Du déroulement du scrutin et de son issue dépendra l'avenir économique du pays, premier exportateur mondial de bauxite, en grand besoin d'investissements. En effet, les Guinéens espèrent tourner la page d'une période très troublée depuis la mort de Lansana Conte, fin 2008. Ce petit pays d'Afrique de l'Ouest a chèrement payé le prix de la condescendance de ses trois dirigeants : de Sékou Touré, le père de l'indépendance, à Dadis Camara, en passant par Lansana Conté. En Guinée, la vie quotidienne s'était organisée autour de passe-droits, de la corruption, de concessions de ressources naturelles octroyées aux compagnies étrangères, de sorte qu'un pays qui recèle les deux tiers des ressources mondiales de bauxite soit paradoxalement en faillite chronique et que militaires et policiers rackettaient du matin au soir les populations. La Guinée tient la lanterne rouge mondiale de l'indice de développement humain (IDH) des Nations unies. Le secteur informel représente plus de 75% du produit intérieur brut (PIB), le chômage touche presque 80% de la jeunesse urbaine, avec une inflation supérieure à 30%, la population vivant en dessous du seuil de la pauvreté absolue est passée de 49,9% en 2002/03 à 53% en 2007. Le gouvernement de Camara a gaspillé trois ans d'avances sur les recettes minières ! L'impossibilité d'atteindre l'autosuffisance alimentaire et l'absence quasi totale d'industrialisation et d'infrastructures ont rendu impossible tout décollage économique. Et pourtant, depuis la mort de Sékou Touré, la Guinée s'était mise à l'école des élections, mais comme ses pairs africains, des élections périodiques mais parodiques, médias divers mais contrôlés, opposition légale mais malmenée… le mal africain. Et puis l'espoir : en février 2010, un gouvernement provisoire regroupant des responsables civils militaires et dirigé par Jean-Marie Doré, personnalité d'opposition, a été mis en place. Ouvertures : l'élection présidentielle d'hier s'annonçait palpitante. Les dirigeants de grands partis tels que le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d'Alpha Condé, ou l'Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo font figures de favoris. La plupart des observateurs étrangers s'accordent à dire qu'il y a une volonté d'organiser un scrutin pacifique mais que les partisans de candidats évincés risquent de causer des troubles à l'annonce des résultats. Les rassemblements ont été interdits pendant toute la durée du scrutin et les frontières devaient rester fermées jusqu'à dimanche minuit. Les résultats ne sont pas attendus avant mercredi. Alors, les impunités, frustrations et tueries qui se sont accumulées pendant les trois régimes de peur et de terreur s'effaceront-elles avec la cérémonie de réconciliation nationale promise par le général de brigade, président par intérim, Sekouba Konaté, le lundi 21 juin au Palais du peuple, la veille des élections ? Sous la bienveillance du gouvernement de transition et des diplomates, le général a, lui, demandé pardon au peuple de Guinée pour ses prédécesseurs. Pour les populations, le nouveau régime ne doit plus se contenter des fastes du pouvoir, il faudra qu'il impulse l'élan nécessaire au décollage socio-économique, qu'il partage équitablement les ressources pour juguler une pauvreté dans un pays cruellement riche.