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Interview exclusive de Cesare Battisti pour Liberté
« Je ne veux pas rentrer en France, je suis bien ici»
Publié dans Liberté le 30 - 04 - 2012


Deuxième et dernière partie de l'interview partie
(Première partie : http://www.liberte-algerie.com/international/je-ne-veux-pas-rentrer-en-france-je-suis-bien-ici-interview-exclusive-de-cesare-battisti-pour-liberte-177122)
Vous dites dans le roman que vous n'êtes qu'un de plus…
J'étais un de plus et je continue à l'être. Je travaille dans les favelas pour des ateliers de rédaction. Mes relations c'est quoi ? Je connais quelques français qui habitent ici et que je vois une fois par mois. Mais j'ai dans le monde un réseau de solidarité de personnes qui ne se laissent pas intoxiquer et quand j'ai un moment difficile ils sont là. Ils ont écrit dans un journal italien que j'étais à la plage de Copacabana avec trois prostituées en train de boire du Whisky. Même si c'était vrai comment peuvent-ils se permettre de traiter ces personnes de prostituées ? Il faut voir le niveau. Je n'y ai jamais été, bien sûr, j'ai répondu de façon implicite que j'aime les femmes, mais pas le whisky. C'est un paparazzi de m(…) qui a pris un homme de trois quarts en faisant croire que c'était moi.
Quelles sont vos relations avec l'ex-parti communiste italien ?
Ce sont mes principaux adversaires en Italie. Ce sont les vrais ennemis du mouvement révolutionnaire des années 70.
Ce n'était pas l'extrême droite ?
L'extrême droite a été utilisée par le pouvoir pour commettre des attentats. Un responsable du Parti communiste italien (PCI) avait déclaré en 1978 que ce n'était pas la peine de prendre des leaders. Pour prendre le poisson, il faut vider l'aquarium. Cossiga qui était au gouvernement avait dit publiquement que sans l'aide du PCI ils auraient perdu cette guerre. Les syndicats de la magistrature et de la police étaient noyautés par le PCI.
Si Mitterrand nous a accueillis, c'est parce qu'il connaissait l'histoire. Si le Brésil a accueilli tant de réfugiés italiens, c'est parce qu'ils connaissent également l'histoire. Si l'Italie était un Etat fort et démocratique, elle aurait fait une amnistie. Toutes les démocraties l'ont fait. Même le Brésil, dont la démocratie était discutable à l'époque, l'avait décrétée. Pourquoi l'Italie ne le fait pas. Je dois supposer que l'Etat italien n'est pas solide ?
Avez-vous demandé la réouverture de votre procès ?
Mais il n'y a jamais eu de procès. Je demande à ce qu'on l'ouvre pour la première fois. On ne peut pas faire un procès sans la présence de l'avocat et de l'accusé. Pourquoi les journalistes me demandent toujours est-ce que vous avez tué ? Mais p(…) de m(…) ! Mais j'aurais bien aimé qu'un policier, un juge me le demande. Ne serait-ce qu'une fois ! Ils ont eu le temps de le faire parce que j'ai passé trois ans en prison en Italie. Pourquoi ne me l'ont-ils pas demandé à ce moment-là ? Jamais ! Pourquoi ? (La voix s'étrangle)
À quel moment avez-vous été accusé d'avoir tué les deux personnes ?
Je pense que mon évasion a été une gifle pour le système de sécurité en Italie. Ils m'ont sorti de prison sans aucune violence et ça a embêté pas mal de monde.
Ils ? Qui vous a sorti de prison ?
Les groupes armés. Mais je ne faisais plus partie de ces groupes. C'était une espèce d'accord entre toutes les organisations. À cette époque, tous les chefs de l'organisation étaient en prison depuis dix, quinze ans. Il fallait dire à ceux qui restaient dehors d'arrêter l'offensive et de rester sur la défensive. Mon évasion était une espèce de coordination entre les différents groupes pour me faire évader dans des circonstances assez incroyables. J'avais pour mission de faire cesser l'offensive. Ma mission n'a pas réussi. Et je suis parti au Mexique et en France. Mais ils m'ont laissé tranquille pendant 23 ans. 9 ans Mexique et 14 ans en France. Et à partir de 2002, les ennuis ont commencé. Je n'étais personne, j'écrivais des livres qui s'écoulaient à 2000 exemplaires, on s'en fichait royalement de Cesare Battisti.
Jusqu'à ce que j'écrive un livre qui réussi un petit exploit, une grosse production italienne s'intéresse alors au bouquin pour en faire un film. Et à ce moment-là les ennuis ont commencé. Cesare Battisti qui écrit des polars ça ne dérange personne, mais lorsque je commence à passer à la télé, la radio alors qu'il y a toujours des prisonniers politiques, ça pose un problème. Je ne suis pas arrivé seul à cette conclusion, je n'arrivais pas à croire qu'ils puissent me donner une telle importance. Ce sont des avocats, des intellectuels ayant accès à des informations qui ont développé cette thèse.
Je ne veux plus écrire sur cette époque, mes idées politiques je les garde désormais pour moi. J'agis en fonction d'elles, ce n'est pas pour rien que je m'implique avec les plus démunis au sein des favelas. Mais je ne fais pas de politique. Ce n'est pas ça le problème. Je pourrais me coudre les lèvres, ça ne changerait rien. Ils ne veulent pas que Cesare Battisti revienne publiquement en tant qu'être humain, en tant qu'écrivain et non comme le monstre qu'ils ont créé.
Mais dans ce cas pourquoi s'intéresser à un petit poisson comme vous ?
J'étais un gamin à l'époque, j'allais être chef de quoi ? Il y avait des professeurs d'université qui avaient 40 ans. Je n'ai même pas mis les pieds à l'université. Ce qu'ils racontent ne tient pas debout.
Mais alors pourquoi cette persécution ?
Un journaliste devrait aller voir avant d'écrire n'importe quoi. Je ne peux pas répondre à ça. Qu'est ce que je peux dire 35 ans après ? Il m'a fallu des années avant de comprendre que c'était moi. Je me disais écoute mon pote il faut que tu te défendes, c'est toi ! Ils sont en train de te foutre dans la m(…). C'est toi ! Parce que moi-même je n'y croyais pas. Je ne peux pas répondre. Un journaliste devrait aller lire le mandat d'extradition avant de parler. 800 pages, où il y a 47 fois « Insurrection armée contre le pouvoir de l'Etat ». C'est un crime politique. Personne ne l'a lu sauf le ministre du STF (Le Tribunal Suprême Fédéral brésilien) Marco Aurelio de Mello. Un seul l'a lu. Ils n'ont même pas lu le mandat d'extradition du procès et ils vont lire cinquante mille pages du procès avec 60 versions différentes ? Avec un repenti qui parle sous la torture, un autre qui déclare c'est Battisti et un troisième qui dit autre chose. Dans le mandat d'extradition malgré toutes les coupures, il y a un passage ou la Cour de Milan menace de retirer la protection à un délateur, car il n'arrêtait pas de changer de version. C'est dans le mandat d'extradition, écrit noir sur blanc. Pourquoi personne ne consulte sur le site internet d'Amnesty International les photos des tortures en Italie, on peut voir les parties génitales brûlées par les chocs électriques ? Personne n'a dit que c'était Cesare Battisti avant d'être arrêté et torturé. Ils m'ont arrêté, j'étais interrogé et condamné à 13 ans pour possession d'armes et action subversive. Mais ils ne m'ont jamais interrogé sur les meurtres, j'ai pourtant passé trois ans en prison.
Je répète pour la énième fois, je ne suis pas innocent, j'ai participé à un groupe armé (Prolétaires armés pour le communisme), j'ai toujours était contre les attentats à la vie humaine et je suis sorti de ce groupe quand ils ont commis le premier attentat. Je ne suis pas sorti tout seul, presque tous les fondateurs du groupe sont sortis. Ceux qui sont restés ce sont ceux que l'on appelait les sergents. On les appelait aussi les têtes de bois. Ils ne comprenaient rien, ils ne faisaient que des co(…)ies. Des choses stupides. Je sais pourquoi ils ont continué. Comprendre c'est une chose, le justifier c'est autre chose. Je ne justifie pas. Cela ne veut pas dire que je suis innocent, j'ai eu un rôle jusqu'à ce que les actions soient en contradiction avec les statuts de la l'organisation. Je suis sorti avec des dizaines de personnes. C'est prouvé.
Les têtes de bois obéissaient à des ordres ?
Non, ils étaient c(…s. Ils pensaient prendre le pouvoir en tuant des gens. En employant les mêmes moyens que l'Etat. Je ne peux pas dire qu'il n'y a pas eu de manipulation, mais en grande partie, ils étaient idiots.
Ils avaient votre âge ?
Non, ils étaient plus âgés, sauf celui qui m'accuse. Ils avaient entre 30 et 40 ans, c'étaient des fanatiques. Un psychothérapeute aurait peut-être quelque chose à dire sur ce sujet.
Dans votre roman un ex-policier est poussé par son supérieur à commettre un crime et tente de trouver une logique qui puisse rendre les ordres raisonnables…
Quand on est dans une situation sans issue, il faut trouver une logique. Sinon on devient fou. Tu sais ce qu'il ma dit ? Je ne sais pas si je l'ai écrit : « Mais je n'ai rien fait ! J'ai juste tenu les pieds de la victime ». Il était sincère à ce moment-là, je le regardais droit dans les yeux en me disant, mais c'est incroyable, qu'est-ce qu'il me raconte ? Il me répétait : « Je ne l'ai pas tué, je lui ai juste tenu les pieds… » Il était sincère, il s'était créé un alibi.
Il y a de la fiction que j'ai rajoutée pour rendre l'histoire lisible, mais les faits séparés de leur contexte géographique ou temporel sont réels. Je fais de la fiction. Ce qui m'importe ce sont les sentiments, c'est l'émotion que ressent un personnage à un moment précis. Tout le reste n'a pas beaucoup d'importance.
Un autre personnage du roman affirme que les occidentaux ont inventé la corruption. Au Brésil elle est démocratique alors que dans les pays développés elle est élitiste, il n'y a que les grands qui en profitent…
Je fais de l'ironie. Je suppose que le mot démocratique est entre guillemets. Ici au moins ça touche toutes les catégories sociales, il y a ceux qui prennent des miettes. Dans les pays développés, il n'y a pas de miettes pour le peuple, il n'y a que l'élite qui prend et c'est tout. J'utilise de manière ironique le mot démocratie dans la redistribution de la corruption. Cela ne veut pas dire que j'approuve ce mal. En Italie, il n'y a rien qui tombe, ça reste là-haut. L'occident se remplit la bouche sur la corruption du tiers du monde alors qu'ils ont une élite hyper corrompue. De quel droit se permettent-ils de cracher sur des pays comme le Brésil ou sur les pays africains. Ce sont eux qui l'ont inventé ce fléau.
Vous vous sentez plus proche du maçon que de l'intellectuel ?
Oui, je me sens frustré ou inférieur parce que le maçon sait comment construire sa maison. Moi je ne sais pas t'expliquer comment on fait un roman. J'ai donc beaucoup de respect pour l'artisan qui a pleine conscience de son métier. Il met sa petite graine. Moi je reste toujours dans le doute. Ai-je apporté ma petite graine ? Pourrais-je dire comment je l'ai fait ? Je ne sais pas. Ce qui est certain c'est que dans les moments de crise je me dis que si je n'apportais rien mes livres seraient dans les supermarchés. Ils ne le sont pas, c'est bon signe.
Vous évoquez dans votre livre le présent comme seule vérité. Le présent serait selon vous l'idéal de la nature humaine ?
Ce sont des choses qui sortent comme ça… c'est très profond, je ne suis pas un philosophe, c'est difficile à expliquer. Je veux dire que l'on est incapable de vivre le moment présent. Là, je suis avec toi et nous sommes en train de penser à quoi ce moment va aboutir. Nous ne vivons pas ce moment-là. On est complètement pollué par des tabous, par deux mille ans de christianisme, par une société de production vieille de quelques siècles. Il ne faut pas toujours accuser le système, c'est trop facile. On a tous les moyens de réfléchir et de lire entre les lignes. Je m'inclus dans ceux qui sont incapables de vivre le moment présent. Il y a une différence entre l'homme et la femme. La femme a plus de capacité à vivre le moment présent. Quand elle est là, elle est vraiment là. La femme profite de l'instant présent, de l'amour, du sentiment, de l'émotion même du plaisir sexuel. Elle n'est pas aussi polluée que l'homme. D'où ça vient ? Je ne peux pas te répondre. Elle est encore capable de vivre le moment présent.
Et au Brésil, vous vivez le moment présent ?
Justement, ça vient de là. Je suis un observateur une éponge. J'ai vu des étrangers critiquer le peuple brésilien. Si en tant qu'occidental je peux leur donner raison la minute suivante je me dis qu'il y a un truc qui ne colle pas. Cette personne qui critique le brésilien la considère presque comme un sauvage. Qui suis-je pour critiquer quelqu'un qui vit le moment présent ? Je critique parce que je suis un occidental frustré, pollué. Je suis un occidental intoxiqué. Je vais critiquer quelqu'un qui vit le moment présent, qui a un avantage sur moi ?
Si le brésilien vit le moment présent, c'est peut-être parce que la vie est fragile que le danger est omniprésent ?
Ils savent que la vie est éphémère. Qui te dit que demain matin tu te réveilles ? La culture chrétienne doit nous pousser à penser à la mort. Que nous sommes poussière et que nous retournerons à la poussière. Non ? Mensonge ! En fait, personne ne croit qu'il va mourir. S'ils savaient que ce serait peut-être leur dernier acte, le dernier mot qu'ils prononceraient, tu crois qu'ils feraient autant de co(…)ies ? Si nous faisons autant de bêtises c'est parce que l'on, et je m'inclus dans le lot, croit inconsciemment que l'on est immortel. C'est pour cette raison que l'on s'invente d'autres vies. Maintenant, je peux faire une grosse bêtise, t'offenser, je l'ai peut-être fait, je ne sais pas, mais si je le fais intentionnellement qui me dit que je ne tomberais pas raide mort dans le coin de la rue.
Mais un croyant doit avoir conscience de sa mortalité ?
Un croyant est conscient de sa mortalité dans cette vie, le problème c'est qu'il a plusieurs vies. Selon lui, il ne va jamais mourir. Et même comme ça, il va à l'église le dimanche et vole le reste de la semaine. Si un croyant appliquait les préceptes prônés par Jésus ou d'autres prophètes, tu crois qu'il ferait ces idioties ? Ils ne croient pas vraiment qu'ils vont mourir, c'est faux, c'est de l'hypocrisie. Sinon comment expliquer le chaos de ce monde. Je me méfie de toutes les religions.
Je peux respecter les hommes qui ont une grande richesse intellectuelle ou spirituelle. Jésus ou les autres prophètes n'ont jamais dit de construire des temples, au contraire. Je ne suis pas au fait de toutes les religions, j'ai lu quelque chose sur l'islam, sur l'hindouisme même sur le taoïsme qui est plus philosophique. Mais les hommes qui sont à l'origine de certaines de ces religions n'ont jamais dit de faire ce que nous sommes en train de faire.
Vous dites vouloir reconstruire les ponts que vous avez jadis brûlés.
Oui, j'étais un petit c(…), un gamin. Ce n'est pas une justification, je l'assume. J'ai agi comme un imbécile. J'ai avancé en brûlant les ponts derrière moi. Je voulais être irréprochable. Si je n'avais pas la force d'être impeccable sans me priver d'un choix, j'éliminais le choix. Je sais aujourd'hui que ce n'était pas une force, mais une faiblesse. Quelqu'un qui doit fermer toutes les portes pour avancer est un faible. Je n'ai pas peur de dire qu'il faut reconstruire les ponts.
Avez-vous appris à aimer les novelas, le foot et les prédicateurs ?
Non, je n'aime pas ça, car je reste malgré tout un sujet politique. Je pense que les novelas donnent une mauvaise éducation. Elles donnent de fausses valeurs. On voit des riches, avec de belles bagnoles, de superbes appartements, etc. Le pauvre qui voit cette profusion de richesse ne souhaite qu'une chose, avoir la même chose. Le foot, je ne m'y suis jamais intéressé, mais c'est peut-être la chose que je comprends le mieux. Quant aux prédicateurs, j'emploierais pour cela une expression brésilienne : « Deus me livre ! » (Dieu m'en préserve).
Que pensez-vous du rejet des immigrés ou des populations d'origine immigrée en France ?
C'est une grande injustice, c'est immonde. Quand la France a eu besoin des citoyens d'Afrique du Nord, pour travailler et enrichir le pays ça allait ? Et aujourd'hui on veut foutre dehors les fils ou les petits fils de ces gens-là ? Quelle chose dégueulasse !
Et l'Italie qui était un pays pauvre d'Europe. Les immigrés italiens travaillaient en Allemagne, en Belgique, en France dans les mines de charbon et de fer. C'étaient presque des esclaves. J'ai une photo datant des années soixante, aujourd'hui on me reproche encore de l'avoir publié, qui montrait un panneau à l'entrée d'un bar en Allemagne avec cette inscription : interdit aux chiens et aux italiens. Et aujourd'hui les italiens foutent à la mer les immigrés qui viennent d'Afrique ? Eux qui ont vécu l'immigration ? Pour chaque italien qui réside en Italie, il y en a trois à l'étranger. Il y a 33 millions de citoyens descendants d'italiens qui sont venus ici pour remplacer les esclaves qui travaillaient dans les plantations de café et maintenant ils font ça ? Je n'ai pas besoin de parti, d'idéologie ou de religion pour savoir ce qui est bien ou mal. Il n'existe pas de bons ou de mauvais, ce sont les circonstances qui créent les bons et les mauvais.
Vous avez déclaré qu'Auguste n'était pas votre double, pourtant il a deux filles et comme vous il a connu les années de plomb en Italie, la cavale et la prison au Brésil. Vous aimez aussi les spaghettis aux palourdes ?
Bien sûr ! Un écrivain n'écrit qu'un seul bouquin, une seule histoire. S'il fait plusieurs livres, il doit arrêter. Sinon il fait de la marchandise. Un écrivain écrit toujours sa vie. J'aimerais bien être Auguste. Quand tu écris, tu te dédoubles. En ce moment, c'est l'écrivain qui te parle. Sauf quand tu me poses une question bien précise sur le procès. Là, c'est moi. Lorsque tu me poses des questions sur l'écriture ou l'existence, c'est l'écrivain qui te répond.
Il y a deux Cesare Battisti ?
Il serait idiot de le nier. N'importe quel écrivain qui arrive à un moment de sa vie reconnaît qu'il y a l'écrivain et il y a l'homme. Le politicien honnête fait de la politique honnête, mais dans sa vie privée il peut battre sa femme. Cela n'empêche pas de diriger un pays correctement.
Un chapitre dans le livre est consacré à la mystique amazonienne, c'est un hommage à Garcia Marquez ?
C'est une histoire vraie. J'ai dû faire un retour à la fiction une fois que le prisonnier, qui a raconté cette histoire, est parti.
Oui, je connais Garcia Marquez, il était d'ailleurs parmi les premiers signataires de ma défense.
C'est une histoire vraie. Bruno, le personnage dont je parle est un homme très intelligent, mais un peu dérangé. J'ai un peu brodé autour de lui, mais pas sur la légende du Boto noir (dauphin noir d'Amazonie).
Vous êtes resté en contact avec certains prisonniers ?
Non, mais lorsque j'étais à la biennale du livre à Brasilia, deux personnes qui étaient en taule avec moi sont venues acheter mon livre. L'un travaille à la télé et l'autre au ministère des affaires étrangères. Ils sont tombés pour quelques grammes de cocaïne achetés pour leur consommation personnelle. J'étais très content de les voir, mais ce sont deux intellectuels pas très représentatifs du monde carcéral.
Les autres ne lisent pas, ils sont capables de l'acheter pour dire je l'ai connu, c'est mon ami. Mais lire le livre, non.
Vous écrivez un autre livre en ce moment ?
J'ai des idées. Mais en ce moment, je suis très pris pour des présentations de la version brésilienne même s'il y a clairement un boycott des médias brésiliens. Avant de sortir le livre, je sifflais et il y avait vingt journalistes qui venaient et quand le livre a été publié il n'y a pas eu un seul journaliste. C'était orienté, je dois donc passer par des moyens alternatifs. Bien sûr, il faut que j'écrive, je dois payer le loyer…
Interview réalisé par notre correspondant au Brésil, Mehdi Cheriet
(Voir photos : http://www.liberte-algerie.com/galerie-photos/cesare-89 )
Cesare Battisti en quelques dates :
Décembre 1954 : Naissance à Sermoneta (Sud de Rome)
1976 : Création des Prolétaires armés pour le communisme (PAC), groupe d'extrême gauche italien.
1982 : Exil au Mexique
1985 : François Mitterrand s'engage à ne pas extrader les anciens activistes italiens ayant rompu avec la violence à l'exclusion des crimes de sang. C'est la doctrine Mitterrand.
1988 : Cesare Battisti est condamné par contumace à la perpétuité
1990 : S'installe en France
2004 : Il s'enfuit au Brésil après avoir fait l'objet d'une procédure d'extradition vers l'Italie.
2007 : Arrestation à Rio de Janeiro
2011 : Le Tribunal suprême fédéral du Brésil (STF) rejette l'appel de l'Italie qui réclame son extradition. Il est libéré.
Mars 2012 : Publication de son livre Face au mur (Flammarion).


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