Le guitariste franco-algérien et Sharif Andoura, un comédien belgo-syrien ont présenté, mercredi dernier, à l'Institut français de Annaba, un spectacle tiré de l'œuvre de Fanon. “Sous la peau est une histoire, un assemblage de mots et de sons extraits de Peau noire masque blanc, Pour une révolution africaine et les Damnés de la terre de Frantz Fanon. Il ne s'agit pas ici d'analyse politique des œuvres de l'auteur. C'est sous l'angle artistique où domine le sensible que la voix de Fanon se fait entendre." C'est par cet avertissement, somme toute, modeste que le guitariste franco-algérien Camel Zekri et Sharif Andoura, un comédien belgo-syrien ont présenté, mercredi dernier, à l'Institut français de Annaba, un spectacle tiré de l'œuvre de Fanon. Cette création qui tend vers le théâtre musical a vu le jour en terre algérienne, chère à Fanon, précisément dans une palmeraie de Biskra d'où est originaire Camel Zekri. Le style cru et direct qu'on connaît de Fanon est ici porté par la voix forte du comédien Sharif Andoura, visiblement transi lui-même, par la puissance des mots, un verbe parfois violent mais qui traduit toujours l'engagement de l'intellectuel et les observations du clinicien au “sang froid", un illustre psychiatre. Le débit tantôt rapide, tantôt lent du comédien donne une sensibilité nouvelle aux mots sans fioritures du militant anticolonialiste. Oui, l'esprit Fanon est là ! Avec plus de soixante ans de recul, c'est-à-dire presque une vie entière, on peut affirmer, sans l'ombre d'un doute, que cette œuvre est toujours aussi pertinente. Et quand bien même le texte et l'expression dramatique ont, chaque fois, pris le dessus sur la musique, Camel Zekri n'en a pas moins réussi à improviser, tout le long du spectacle, quelques gammes intéressantes. Guitariste de renom, Camel Zekri a surtout joué durant cette soirée des notes qui ont oscillé entre le son saturé et de belles harmoniques et cela au gré des observations et des espoirs de l'auteur. Une brève référence à la musique antillaise, une vague béguine viendra singulièrement contraster avec l'absence “manifeste" de quelques notes de châabi qui auraient, à coup sûr, rappelé davantage le parcours algérien de Fanon. Camel Zekri a promis de se rattraper à ce sujet. Quant à ses effets sonores, ils ont produit, dans la petite salle de spectacles de l'ex-CCF, une ambiance particulière rendant cette expérience, par moments, éprouvante. Déclamer Fanon sous l'angle artistique n'est sûrement pas de tout repos. L'écouter est peut-être pire, tant cela remue au plus profond de soi. Quoi qu'il en soit, la nature même de cette création consiste non seulement à rendre hommage à une belle âme mais d'asséner aussi de cruelles vérités à “la peau dure". Comme par exemple “le complexe du colonisé", cette haine de soi qui caractérise les attitudes des dominés, des racistes à l'envers. À la fin du spectacle, plusieurs jeunes ont pris la parole. Nous espérions déceler, au-delà de l'émotivité des uns et des autres, une quelconque connaissance de la vie et de l'œuvre de Frantz Fanon... Mais non ! Bien peu savait que l'auteur des Damnés de la terre reposait à jamais à quelques kilomètres de Annaba, précisément dans le cimetière des chouhada de Aïn El-Kerma, wilaya d'El-Tarf. Aussi, interpréter Fanon dans son pays d'adoption c'est en quelque sorte le faire revivre. Alors, bravo ! M-C L