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Falloudja : féroces représailles
Voyage dans le “Triangle sunnite” (III et fin)
Publié dans Liberté le 26 - 01 - 2004

Un mois durant, nous avons sillonné tout l'Irak, d'Oum Qasr, sur le Chatt Al-Arab, à Halabja, aux frontières iraniennes. Dans cette série de reportages, nous allons approcher trois blocs : le “triangle sunnite”, le bloc chiite et le bloc kurde, dans une tentative d'une meilleure compréhension de ce pays complexe, où l'anarchie et la confusion augmentent de jour en jour.
Falloudja est exactement à mi-chemin entre Bagdad et Ramadi. Elle est située à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de la capitale irakienne, dans la province d'Al-Anbar.
Falloudja est la hantise des Américains. À elle seule, cette petite localité a tenu tête à la plus grande puissance militaire au monde. Toutes proportions gardées, elles comptabilise plus d'opérations de la guérilla irakienne que toutes les villes du “triangle sunnite” réunies. Et la spécialité des combattants de Falloudja semble être la défense antiaérienne si l'on en juge par le nombre d'hélicoptères abattus depuis cette petite bourgade. En effet, pas moins de 15 hélicoptères sont tombés à Falloudja depuis le 1er mai 2003. Le 8 janvier dernier, un Black Hawk venait s'ajouter à la liste, faisant neuf morts. Au seul mois de novembre, trois Black Hawk et un Chinook ont été abattus, tuant 39 soldats US au total.
Le 15 décembre 2003, la ville de Falloudja a été secouée par une attaque-surprise contre un train qui convoyait du matériel logistique au profit de la coalition. L'attaque qui a eu lieu au niveau de la gare ferroviaire s'est faite au lance-roquettes et au mortier. Les tirs provenaient d'un quartier faisant face à la gare, et qui s'appelle haï Achouhada I. Nous y avons été le 30 décembre dernier. Toutes les maisons de ce quartier arboraient des impacts d'obus et leurs murs étaient criblés de balles.
Le colonel Ali, 45 ans, ancien officier des forces irakiennes, nous a reçus chez lui. Sa maison est au bout du quartier, à un jet de pierre de la gare d'où les Américains ont riposté. “Ils se sont mis à tirer dans tous les sens et les murs de ma maison ont tous été criblés de balles, comme vous pouvez le constater. Les balles ricochaient dans tous les sens. Ma famille l'a échappé belle. Les Américains étaient devenus fous”, témoigne-t-il. Dans la foulée, les forces de l'US Army tuent 5 civils irakiens. Les portes, les persiennes, et même le mobilier, tout a été passé à la mitrailleuse. “Ils ont des ripostes anarchiques. Comme ils manquent d'expérience et qu'ils paniquent pour un rien, au moindre pétard, ils perdent la tête. Alors, ils s'acharnent contre tout le monde et embarquent le premier venu, même quand les tirs proviennent de loin. Ils n'hésitent pas à s'en prendre aux civils et aux familles, accusés d'abriter les “terroristes”. Chaque fois qu'ils sont frappés, ils se vengent sur la population”, ajoute le colonel Ali. Le porte-parole de la 4e division d'infanterie américaine, le colonel Bill Mac Donald avait prévenu depuis Tikrit, le 30 novembre 2003, après l'attaque de Samarra contre deux convois US : “Nous envoyons un message clair : quiconque essaie d'attaquer nos convois en paiera le prix !” avait-t-il menacé. “On ne peut pas en une nuit et un jour devenir amis avec les Américains, ce n'est pas possible. Ils ne nous aiment pas, ça c'est clair. À ce jour, ils considèrent que tout Irakien est un ennemi de l'Amérique. Comment voulez-vous qu'il deviennent du jour au lendemain nos alliés ?”, s'interroge le colonel Ali, avant de poursuivre : “Quand ils viennent perquisitionner, ils nous brutalisent, nous insultent et nous traitent avec arrogance. Ils raflent tout ce qu'ils trouvent, alors on prend nos précautions : on cache tout.” Notre hôte estime que le gros du peuple irakien rejette en bloc l'occupation : “Ceux qui ont applaudi l'Amérique sont des comédiens. Le peuple irakien rejette l'occupation. Ceux que l'on a montré piller et voler ne représentent pas 1% de la population.”
Une affaire d'honneur
Le colonel Ali raconte comment Falloudja s'est soulevée : “Quand les Américains sont arrivés, nous les avons accueillis sans résistance, pensant qu'ils avaient de bonnes intentions. Vingt jours après, la population de Falloudja est sortie manifester pour exiger des forces de la coalition de stationner en dehors de la ville. Car ces gens-là étaient dans une école, près de nos maisons, et avec leurs lunettes spéciales, n'hésitaient pas à épier nos femmes et nos filles sans vergogne. Donc, à l'origine, il faut noter que nous ne sommes ni pour Saddam ni pour personne. Nous avons voulu défendre notre honneur. Nous avons manifesté pacifiquement. Nous sommes une société traditionnelle et les tribus se sont soulevées pour défendre leur honneur, voilà comment la résistance a commencé à Falloudja”, explique-t-il.
Le colonel ajoute : “Nous avons manifesté pacifiquement et les Américains ont riposté en tuant 16 civils irakiens. Nous avons encore manifesté et ils ont tué sept autres. Ç'a été le déclic de la résistance car nous sommes une société tribale et chacun voulait venger celui qu'il a perdu. C'est devenu le cycle de la vendetta. Et chaque fois qu'ils tuaient un des nôtres, la vendetta grossissait. Le sentiment de vengeance est le moteur de la résistance. C'est le comportement arrogant des Américains qui a engendré la violence.”
Côté américain, ce “massacre” a été justifié comme étant de la légitime défense : des gens surgis de la foule, hissés sur des motos, auraient ouvert le feu sur les soldats US.
À la question de savoir s'il y avait des cellules d'Al-Qaïda à Falloudja, le colonel Ali déclare, péremptoire : “Il n'y a ni Qaïda ni rien. Ce sont des étiquettes. Nous n'avons pas vu de combattants arabes par ici. Les actes terroristes sont provoqués par les Américains eux-mêmes afin de discréditer la résistance.” L'ancien officier est formel : “La résistance ne peut pas s'en prendre au peuple.” Interrogé sur l'emprise du Baâth sur la guérilla ou encore sur le rôle d'Eddouri, il dira : “Izzet Eddouri est malade et mourant, comment voulez-vous qu'il dirige la résistance ?” Puis, il enchaîne : “Les Américains croient que la résistance est le fait d'un sursaut sporadique animé par un noyau de résidus du Baâth. La vérité est que c'est une résistance populaire. L'Irak est un pays net : nous n'avons jamais eu de cellules d'Al-Qaïda ou autre par ici. Ce sont les Américains qui nous ont ramené tous ces problèmes. Les Américains ont un plan derrière la tête pour le démantèlement et le pillage de l'Irak. Nul n'est assez dupe pour croire à leurs promesses. Cette guerre a commencé par un mensonge (les armes de destruction massive, ndlr) pourquoi voulez-vous qu'ils nous disent aujourd'hui la vérité ? Ils ont occupé chaque centimètre de ce pays et n'ont rien trouvé.”
Le colonel Ali a un discours de plus en plus radical et appelle les résistants “les moudjahidine”. Tout en niant avoir un quelconque lien avec eux, on sent que l'homme nous cache quelque chose. Il nous confie seulement qu'il a filmé avec un journaliste de Reuter les scènes des exactions commises par les Américains. Pour lui, la situation en Irak va inéluctablement vers l'enlisement : “Nul n'est dupe pour croire les slogans US. Eux-mêmes se qualifient aujourd'hui de “forces d'occupation”, alors qu'ils se présentaient au début comme des “libérateurs”. C'est un recul sur les concepts qui est édifiant quant à leurs intentions véritables. Les crises s'ajoutent aux crises. Les forces de l'occupation n'ont apporté aucune solution concrète jusqu'à présent, pour améliorer notre quotidien. L'électricité, le carburant, tout va mal. S'ils l'avaient voulu, une super-puissance comme les Etats-Unis aurait pu régler ces problèmes en un mois. Le chômage a augmenté avec tous les gens qu'ils ont licenciés. À Falloudja, la plupart des gens sont des agriculteurs. Avec la crise d'électricité, ils ne peuvent pas irriguer leurs vergers. Ils manquent d'engrais, de matériel, de chambres frigorifiques, de moyens de transport, de tout. Tout est à l'arrêt. Tout le pays est en panne.”
Le colonel Ali n'a pas été inquiété pour ses convictions : “Ils viennent avec des listes”, dit-il. Lui, il n'est pas sur la liste pour l'instant. “Ils nous ont proposé d'intégrer la nouvelle armée, j'ai refusé. Ils ont essayé avec 2 000 anciens officiers. Il leur ont fait un stage. 1 300 ont démissionné, puis les 700 restants ont suivi un mois après”, révèle-t-il. “Je me réserve pour l'armée de l'Irak libre, pas pour servir sous la bannière des traîtres ! Je n'aime pas Saddam, mais entre Saddam et l'Amérique, je choisis le moindre mal. Aucun homme libre n'accepte l'occupation !”
Le colonel regrette que les Américains aient la supériorité technologique de leur côté. “Quand la résistance frappe, les soldats US pleurent comme des femelles. Je maudis la technologie qui a donné la supériorité à ces lâches !” assène-t-il.
Ramadi : l'ombre d'Al-Qaïda
Le lendemain, soit le mercredi 31 décembre, une journée où, sous d'autres cieux, on est censé faire la java, nous nous dirigeons vers Ramadi où des informations persistantes affirmaient que l'“émir planétaire” Oussama Ben Laden y comptait des affidés. Notre “réveillon” 2003 aura ainsi une odeur de musc et de TNT. Comme raconté dans un reportage consacré spécialement à une rencontre surréaliste que nous avons faite ce jour-là avec un jeune dont le nom de guerre était Saïd, et qui activait dans une cellule d'Al-Qaïda (voir : Rencontre avec un membre d'Al Qaïda in Liberté du 8 janvier 2004), Ben Laden a trouvé le terreau idéal sur les rives du Tigre et de l'Euphrate, particulièrement ici, à Ramadi. Toutefois, on aurait tort de ramener les factions qui militent au sein du triangle sunnite à Al-Qaïda. Pour tout dire, toutes les tendances se retrouvent ici : loyalistes, baâthistes, nationalistes, tribales ou djihadistes.
En effet, en discutant avec des jeunes de différents horizons dans cette ville, force est de conclure que la résistance à Ramadi et Falloudja est hétéroclite. Nadjm, un lycéen de 18 ans, nous a fait ce témoignage : “J'ai déjà rencontré des membres de la résistance. Je ne peux pas vous dire où ni quand. Je peux seulement vous assurer que ceux que j'ai vus n'étaient pas des intégristes. D'ailleurs, l'un d'eux puait l'alcool !” Un autre, la tête enroulée d'un keffieh à la manière des kamikazes des Brigades d'Al-Aqsa, en Palestine, pose pour nous en brandissant un billet à l'effigie de Saddam pour signifier sa totale allégeance au dictateur déchu. Sur la façade de l'une des artères de Ramadi, la photo d'un professeur d'université arrêté par les Américains. Il activait au sein d'une organisation islamiste.
Pendant notre courte escale dans la ville, deux hélicoptères de surveillance tournoyaient depuis deux heures au-dessus de Ramadi. Renseignement pris, il s'avère qu'ils avaient pour mission de couvrir un convoi qui devait livrer des fonds à l'une des banques locales ; argent destiné à payer le personnel irakien. Ils pouvaient à tout moment être abattus, ce qui explique leur bourdonnement nerveux.
Devant la grande mosquée de Ramadi (anciennement mosquée Saddam-Hussein), nous avons rencontré des chefs religieux sunnites. Un dignitaire à la barbe grisonnante développe un discours antiaméricain et antisémite à souhait. Mais sur la question du djihad, il se rétracte tout de suite en partant de cet argument : “Proclamer le djihad est une lourde responsabilité religieuse. Le peuple irakien est exsangue. Cependant, nous considérons que les Américains sont une armée d'occupation et il faut qu'elle sorte dans les plus brefs délais ; sinon, ce sera la guerre !” Le cheikh estime que les jeunes irakiens n'ont pas l'âme au combat : “Les gens sont faibles dans leur foi et dans leur âme. On ne peut pas confier la mission de combat à des individus qui ne se préoccupent que de la satisfaction d'appétits bassement bestiaux. Ce pays n'a plus d'âme. La guerre avec l'Occident n'a pas pour nerf le territoire ni le pétrole ni même les intérêts d'Israël dans la région. C'est une guerre de religion avant tout. Et pour la gagner, il faut être spirituellement bien armé !” prêche-t-il. Or, il se trouve que ces mêmes jeunes “désinvoltes et sans âme” promettent l'enfer aux Américains : “Ecrivez que nous sommes tous avec Saddam et que nous soutenons les moudjahidine”, s'écrie l'un d'eux. À les entendre, on croirait que le peuple irakien n'a pas capitulé et que l'Irak sera le tombeau des Américains.
M. B.


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