Oum Qasr : the british touch

IRAK : la poudrière chiite (III et fin)

Immense bidonville qui vous éclate au visage comme un égout éventré, Oum Qasr voit le précieux pétrole irakien s’acheminer par son port sans pouvoir en tirer le moindre dividende.
D’aucuns gardent d’Oum Qasr le souvenir de la petite ville portuaire, perchée sur le Chatt al-Arab, où confluent le Tigre et l’Euphrate, qui a vaillamment tenu tête aux assauts de la Royal Navy britannique et des porte-avions US mouillant dans le Golfe. Sur place, la population soutient que c’était “al-djeich a-nidhami� (l’armée régulière) qui avait lutté ; le peuple, lui, étant acquis aux forces de l’invasion, occasion unique de se débarrasser d’un régime oppressant.
Comme toutes les bourgades chiites que nous avons traversées, Oum Qasr, 70 km au sud d’Al-Basra, arbore des scènes de misère insoutenables.
Nous aurons l’occasion, au fil de notre balade, en ce dimanche 5 janvier, journée marquée par une visite-surprise du premier ministre britannique Tony Blair à ses troupes dans la base d’Al-Basra, d’assister à un sondage tout à fait surprenant, et qui traduit à lui seul, pour ainsi dire, toute la différence entre Américains et britanniques, dans leur approche du peuple irakien.
Alors que les premiers sont qualifiés d’“arrogants� et de “brutaux� dans leur démarche, les seconds sont présentés comme étant plus fins et plus souples, comme le fut le colonialisme british. D’ailleurs, d’aucuns vous diront en Irak que les Britanniques connaissent mieux les mœurs des Irakiens et leur culture, pour avoir colonisé le pays jusqu’en 1920, ce qui expliquerait leur “souplesse�. Pourtant, cela ne les a pas empêchés de charger les manifestants chiites plus d’une fois, à Al-Imara, à Al Basra, Al-Kut et ailleurs, quand les Irakiens sont sortis dans la rue réclamer du travail.
Un sondage surréaliste
Pour revenir à ce fameux sondage, en ce 5 janvier donc, nous sommes tombés par le plus grand des hasards, au niveau du marché d’Oum Qasr, sur des soldats britanniques mêlés au peuple, et sondant les sentiments des civils irakiens sur un certain nombre de sujets. Un officier british, muni d’un questionnaire et aidé par un traducteur, menait ainsi tranquillement son sondage auprès d’un groupe de citoyens, tandis que l’escorte qui l’accompagnait était littéralement assaillie par une ribambelle de mioches qui se permettaient de tripoter leurs fusils-mitrailleurs en échangeant des plaisanteries avec les soldats british dans une ambiance bon enfant.
Extrait du questionnaire : “Avez-vous espoir que l’avenir de l’Irak soit meilleur ?� ; “Savez-vous qu’au mois de juin prochain, le pouvoir va être transféré aux Irakiens ?� ; “Souhaitez-vous que la coalition se retire en juin prochain ou bien qu’elle prolonge sa présence en Irak ?� ; “Recevez-vous la presse, la radio et la télévision ?� ; “Qui souhaitez-vous voir gouverner l’Irak de demain : le C I G., les partis politiques ou bien les chefs religieux ?�
Les voix répondaient : “Nourid choughl�, “Nous voulons du travail, nous voulons de l’eau potable, nous voulons de l’essence, nous voulons un dispensaire, nous voulons une chaîne de télévision satellitaire�, etc. Et puis, cette perle qui fuse de ce brouhaha où se mêlaient cris cacophoniques et rires moqueurs : “Nourid mister Bush yahkam al-Irak !� (Nous voudrions que Monsieur George Bush gouverne l’Irak).
L’officier range sa feuille de questionnaire, après y avoir coché les réponses adéquates, et le convoi file. La foule nous prend d’assaut. Dans la foulée, un garnement nous vole notre dictaphone. Et tout le village de partir à la poursuite du voleur. Mokhliss, un jeune de 19 ans, retrouve le coupable et nous restitue notre objet, en partant de cette requête : “De grâce, ne tenez pas compte de cet incident. C’est un gosse qui n’a jamais vu un tel objet dans sa vie.� Nous rassurons notre ami Mokhliss et toute la magnifique population d’Oum Qasr que ce que nous gardons de ce peuple courageux, c’est plutôt l’image de Allawa, un môme de 9 ans, élevé dans la misère dans laquelle Saddam a confiné la communauté chiite. Allawa nous collait.
Nous lui avons signifié gentiment : “Ma andi f’louss� (Je n’ai pas de sous). Le petit Allawa a sorti alors un billet de 1000 dinars irakiens et nous l’a tendu. Touchés par son geste, nous lui avons offert un billet d’un dollar. Il l’a pris en lançant : “Je ne l’accepte que comme “dhikra� (souvenir)� et il a insisté pour nous en donner l’équivalent en irakien, augmenté d’une précieuse dose de dignité et de générosité. Mamnoun, Allawa !...
M. B.