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Contribution de Abdelmadjid Meziane (1re partie)
L'idée d'inégalité sociale chez les penseurs arabes
Publié dans Liberté le 20 - 07 - 2013

à l'occasion de ce mois de Ramadhan, à compter d'aujourd'hui, nous publierons chaque samedi les réflexions du défunt professeur et philosophe Abdelmadjid Meziane dont le travail est un immense effort intellectuel à conjuguer le message profond de l'Islam avec les impératifs de la modernité et du progrès.
Les deux sources grecque et musulmane de la pensée sociale des arabes
Quand nous parlons de pensée sociale, il y a chez la plupart des historiens de la philosophie une opération restrictive qui limite ce genre de pensée aux seuls philosophes, alors que la richesse des méditations morales et des longs développements théologiques nous invite à une exploration fructueuse des grands thèmes sociopolitiques auxquels se sont intéressés les grandes religions.
Cela est aussi vrai pour la pensée occidentale que pour la pensée musulmane, qui offre malgré ses particularités une excellente synthèse où les composantes philosophiques viennent se fondre dans une pensée religieuse fortement axée sur l'engagement social.
Juristes, historiens, moralistes et philosophes arabes ont pour la plupart eu ce même souci de retrouver ce qu'ils croyaient être la vérité universelle à double manifestation, celle de la vérité scientifique qui est celle de l'effort humain de plusieurs civilisations, particulièrement ce qui provient de l'héritage direct de la civilisation grecque, et celle de la vérité religieuse de lignée prophétique, qui englobe toutes les cultures monothéistes reconnues par l'islam.
L'idée d'inégalité sociale, de même que l'attention aux conditions de la vie humaine, intéresse donc depuis la haute antiquité autant les philosophes que les hommes de religion.
L'inégalité est en effet une réalité sociopolitique très ancienne, et seules les démocraties limitées ou les communautés restreintes ont essayé d'y apporter quelques remèdes.
Les civilisations à tradition impérialiste ont au contraire tout fait pour renforcer les hiérarchisations sociales, et cela depuis l'époque pharaonique et chaldéenne.
Ce n'est certainement pas le seul attrait des richesses matérielles qui de tout temps a entraîné les "nations prolétaires" à mener leurs assauts contre les grandes cités impérialistes, mais il y a certainement chez les peuples dits "barbares" un désir de reconstitution des conditions d'égalité humaine considérée comme originelle, qui motive les grandes marches contre les cités iniques ou perçues comme telles, à cause de leur esclavagisme et de leurs différenciations artificielles et violentes des conditions de l'existence humaine.
L'universalisme, qu'il soit philosophique ou religieux, exprime explicitement une aspiration morale et culturelle à l'égalité et rejoint sans trop le montrer l'idéal presque instinctif des peuples contestataires contre les civilisations impérialistes et toutes les civilisations de l'inégalité.
La morale des philosophes et la morale religieuse se rejoignent d'ailleurs sans grands efforts dans le domaine sociopolitique. ceci est si vrai pour l'islam qu'il est inutile de recourir à de laborieuses analyses pour le prouver.
Spécificité de l'éthique sociale de l'islam
En effet, l'islam est dans ses fondements une religion universelle et communautaire. Sa spécificité historique et sociopolitique essentielle a été celle de la mobilisation des petits peuples contre les impérialismes vivants comme le chosroïsme et le casarisme contemporains, ou même symboliques comme les loitains pharaonisme et nemrodisme.
La morale sociale de l'islam n'est pas seulement une morale spiritualisée, elle invite à l'engagement et au combat sacré pour l'effacement des inégalités au sein de chaque groupement social et aussi au sein de l'Humanité dans toute son universalité.
Par cet aspect qui renforce sa spécificité, on peut dire que la pensée musulmane est très politique, et que son idéologie égalitariste exprime les aspirations des classes sociales et des classes de nations les plus pauvres. D'ailleurs, les fondements théologiques et éthiques de la pensée musulmane orientent par leur insistance sur l'unitarisme vers un humanisme fortement égalitariste, car les hommes n'y sont point différenciés devant le Dieu unique autrement que par leurs valeurs morales et par leurs œuvres. L'élection n'est attachée ni à la race, ni à la culture ni à la condition sociale ; elle est d'ailleurs spiritualisée et laissée à Dieu seul, afin d'éviter les aléas du jugements humain.
Suivant cette vision, les inégalités entre les hommes deviennent les produits de détaillements sociaux, par rapport à la pureté originelle de l'homme.
Ce sont en somme les sociétés les plus naturelles qui sont les moins corrompues. L'harmonie entre l'homme et la nature, ainsi que l'équilibre des rapports humains se dégradent essentiellement dans une vie sociale aliénante, celle de la civilisation dégradée ou celle de la pré-civilisation, qui sont les deux formes de barbarie que l'islam appelle "jahiliya", ou ignorance déshumanisante.
Aussi, la pensée politique de l'islam oppose-t-elle à la société des inégalités une société communautaire, même multicommunautaire, constamment ouverte vers l'université unifiante et nivelatrice des conditions d'existence socio-économiques. L'engagement du citoyen dans cette communauté politique et spirituelle est un engagement de combat et de vigilance où la conscience, toujours agissante, doit veiller à la sauvegarde du droit à l'égalité. Prêcher le bien et dénoncer le mal, collectivement et individuellement, sont un devoir et un droit quotidiens à exercer dans la cité. Aussi, le pouvoir n'est-il pas privatif dans la communauté musulmane d'avant les usurpations féodales. Le pouvoir est au contraire un attribut collectif et populaire que les gouvernants doivent constamment partager avec les citoyens par voie de consultations continues et quotidiennes. Là aussi la hiérarchisation qui octroie des droits privatifs à la parole, où l'enfant, la femme et le vieillard sont exclus, est sévèrement condamnée. La consultation doit être réellement universelle et doit éviter toutes les sortes de trucages.
Aussi, les "délégués au pouvoir" (Al Oumara') sont-ils désignés et destitués par les membres de la communauté, en observation des règles de suffrage universel clairement et publiquement proclamé, sans contrainte ni risque de représailles de la part du pouvoir. D'ailleurs, le droit de révolte se transforme en devoir du citoyen et de la communauté si l'exercice du pouvoir devient privatif ou objet de trucage.
Les privilèges économiques, politiques ou moraux qui incarnent l'inégalité doivent être publiquement dénoncés, conformément aux principes de base de l'éthique politique de l'islam, et les répressions sanglantes des princes ne peuvent jamais venir à bout des tendances communautaires qui prêchent ces idées en terre d'islam.
Il y a évidemment dans cet égalitarisme presque utopique certains excès qu'on pourrait considérer comme inspiré par un communautarisme anarchisant, mais c'est précisément là que nous décelons l'authentique empreinte des sociétés constestataires qui se soulèvent contre les civilisations impérialistes.
Nous croyons que toutes les visions sociales de tradition prophétique se situent dans cette lignée d'éthique politique constataire traduisant l'aspiration des petites gens et des petits peuples blessés par les grandes inégalités et les hiérarchisations sociales impérialistes.
L'abrahamisme anti-nomrodien, le premier judaïsme anti-pharaonique, le christianisme anticasarien et anti-pharisien, l'islam populaire et anti-impérialiste sont tous dans leurs manifestations originelles des mouvements égalitaristes d'un humanisme universalisant.
Synthèse entre éthique musulmane et rationalité grecque
Mais il y a en face de ces manifestations moralisantes les très tenaces édifications sociales qui prêchent et maintiennent la hiérarchie, la sélection et les différentes formes de l'inégalité.
Ici se situe le monde de la nature sociale aliénante, où l'homme exploite l'homme et le réduit à un esclavage plus ou moins déguisé.
C'est donc là le monde de la réalité sociale qu'il faut analyser suivant des lois rationnelles et scientifiques, où les aspirations égalitaristes ne sont qu'une petite composante de cette nature qui ne cache pas sa férocité et ses luttes. On n'attendra pas Marx pour constater le tragique des réalités sociales et des luttes sanglantes entre classes sociales et classes de nations.
Aristote ou son disciple arabe Al-Farabi ou le grand philosophe social Ibn Khaldoun parleront de classes sociales en termes plus ou moins scientifiques, et s'intéresseront aux luttes sociopolitiques avec plus ou moins de profondeur et de vision historique globalisante.
Aussi, la synthèse entre d'un côté les idées scientifiques provenant d'une analyse du réel social, tout en tenant compte de l'héritage philosophique et d'un autre côté les idées provenant de l'éthique sociopolitique de l'islam a-t-elle été à peine réalisée par les penseurs arabes avant Ibn Khaldoun.
Mais la pensée commune non encore philosophée, celle qu'on retrouve chez les juristes, les moralistes et les historiens reflète assez fidèlement une certaine synthèse culturelle représentative du cosmopolitisme et des couvertures de la civilisation musulmane, qui tient aussi bien de l'Orient irano-indien que de l'Occident gréco-romain. Cependant, on n'insistera jamais assez sur la profondeur des influences grecques, déjà avant la traduction massive des grandes œuvres de science et de philosophie. les populations hellénisées de Syrie, d'Egypte et d'Iraq ont adhéré à l'islam en y apportant leur héritage culturel et leur tournure d'esprit rationalisante, au point que même ce qu'il y avait d'apparemment iranien dans la pensée morale et politique des hommes de culture était fortement hellénisé bien avant l'islam.
Aussi, le cosmopolitisme diversifiant de la culture musulmane va-t-il opérer de profonds changements sur la pensée politique originelle de l'islam. les aspirations communautaires et égalitaristes resteront dans leur essentiel des principes moraux auxquels vont se référer les masses populaires et les intellectuels dits "fondamentalistes", alors que la plupart des hommes de culture vont s'accomoder d'un certains réalisme hiérarchisant qui accepte les faits accomplis de la politique impérialiste et féodale des gouvernants héritiers des systèmes antiques, tout en considérant l'éthique politique de l'islam comme un idéal spiritualisé presque irréalisable.
D'ailleurs, les sectes musulmanes ne sont rien d'autre que des écoles politiques : les chiites représentent le légalisme hiérarchisant plus ouvert à la pensée philosophique grecque, les sunnites prêchent l'unité communautaire tout en reconnaissant les faits accomplis des pouvoirs illégaux et en idéalisant l'éthique politique de l'islam, alors que les ibadites restent attachés aux principes originels de l'islam, en y greffant un élitisme clérical qui ne répugne pas totalement à un certain monarchisme.
Si cette diversification et cette ouverture aux influences culturelles les plus diverses atteint les fondement même de la pensée musulmane, on verra par ailleurs ces influences se manifester ouvertement chez des intellectuels qui essaieront de réaliser sciemment une synthèse entre la pensée philosophique et la pensée religieuse.
Nous nous limiterons ici à la présentation rapide de quelques grands courants qui nous paraîtront les plus représentatifs des principales tendances de la pensée sociopolitique de l'islam évolué, transformée par la traduction et l'assimilation massive des œuvres grecques, mais aussi par l'empreinte profonde du réel de la vie politique des sociétés arabo-musulmanes.
Les notions plus ou moins bien exprimées de classe sociale, de luttes idéologiques, d'égalité ou d'inégalité, ainsi que celles de progrès et d'harmonisation sociale sont évidemment au centre des préoccupations de toutes ces écoles de pensée politique de l'islam.
Al-Farabi et les philosophes hellénisants
Nous parlerons en premier lieu des philosophes soucieux de réaliser la synthèse entre la pensée grecque et la pensée musulmane.
leur plus grand représentant dans la pensée politique a été sans conteste Al-Farabi. Non seulement Al-Farabi essaie dans son concordisme extrémiste de concilier l'islam et la philosophie, mais il tentera même de mettre en accord Platon et Aristote, et souvent il ira jusqu'à mettre le Platon de la république et le Platon des lois en accord avec lui-même.
Si pour Al-Farabi la vérité est une, même quand elle prend des formes diverses, il faut à plus forte raison qu'elle se manifeste diversement dans la pensée religieuse et la pensée philosophique, tout en restant fondamentalement la même.
Le pouvoir sacralisé, spiritualisé, c'est aussi bien le pouvoir de l'être supérieur qui appelle la révélation, c'est-à-dire le Prophète ou l'imam qui le représente, que le pouvoir du sage magistrat de Platon ou du monarque gardien de l'harmonie sociale d'Aristote.
La hiérarchisation sociale est justifiée chez Al-Farabi par l'inégalité naturelle des hommes, principalement dans leurs capacités intellectuelles, qui sont l'attribut essentiel de leur humanité. Ainsi le racisme et l'esclavage qui s'exercent à l'encontre des barbares sont justifiés par Al-Farabi, qui est fasciné par l'idée de perfection humaine dans la civilisation, idée qu'il tient d'Aristote, mais dont il légalise l'origine musulmane à travers la notion de paganisme dévergondé qui est la jahiliya, ou l'extrême barbarie telle qu'elle est présentée par l'islam. Al-Farabi ne signale évidemment pas que cette notion musulmane est essentiellement une notion spirituelle, et qu'elle est sur le plan social une incitation à la culture religieuse, considérée comme la base de toute promotion humaine.
Tous les philosophes arabes hellénisants, qu'ils soient platoniciens ou aristotéliciens, se rangeront derrière Al-Farabi pour cette représentation hiérarchisante des rapports sociaux, et les historiens de la pensée musulmane n'hésiteront pas à parler du caractère aristocratique et extrêmement élitiste de la philosophie sociale des arabes depuis Al-Farabi jusqu'à Ibn Rochd.
Nous croyons que ces représentations relatives à la hiérarchie des classes et des nations ne sont pas un simple fait culturel, mais qu'elles reflètent bien les réalités sociopolitiques du Moyen-Âge musulman. Al-Farabi et la lignée de philosophes qui se rattache à lui ne sont pas les héritiers de la pensée grecque par survol intellectuel, mais ils le sont aussi par l'influence des comportements sociopolitiques de leurs contemporains héritiers des systèmes antiques. En effet, nous ne croyons pas, comme pourrait l'affirmer un certain historicisme classificateur et dogmatique, qu'il y ait eu une époque pour l'esclavage et une époque pour la féodalité. Les sociétés du Moyen-Âge, et plus particulièrement la société musulmane impérialiste, ont connu en même temps des formes spécifiques d'esclavage et des féodalités dynastiques à identité particulière.
Cependant, nous n'irons pas jusqu'à dire que les philosophes arabes furent les idéologues de ces régimes féodaux, car les gouvernants du Moyen-Âge avaient à leur disposition une autre catégorie d'intellectuels politiques qui étaient les juristes officialisés, et ceux-là jouissaient du prestige d'homme de religion. Aussi, certains d'entre eux n'hésitaient pas à lancer des théories du pouvoir très acceptables pour les dynasties.
Mais dans la ligne philosophique synthétisante, il y a, en plus des personnes isolées, des écoles qui travaillent par groupes de recherche pour l'échafaudage d'une idéologie où doivent se rencontrer la pensée religieuse et la sagesse grecque ou iranienne hellénisée.
Les première écoles théologiques de l'islam, comme celles de l'itizal prêchant en même temps le rationalisme aristotélicien et l'éthique musulmane, continuent de nous fasciner jusqu'à nos jours par la richesse de leurs idées politiques. Le groupe chiite des "frères de la pureté" — Ikhwan Assafa — construit en ce qui le concerne une idéologie basée sur la hiérarchie de la connaissance, qui se prolonge dans le domaine de la pensée sociale en théorie hiérarchisante et sélective, où les classes d'hommes sont traitées suivant leur niveau intellectuel, de la vérité philosophique, l'imam infaillible, l'intellect incarné, dont la lumière rejaillit sur tout le corps social. Mais les "frères de la pureté" sont beaucoup plus philosophes que théologiens, et leur idéologie, acceptable pour certains ismaéliens, est loin de satisfaire la véritable pensée chiite, qui reste fondamentalement reliée à l'éthique politique et sociale de l'islam originel.
Le courant orthodoxe
Cependant, il faut noter, contre ce courant de pensée sociale hellénisante, l'émergence un peu violente d'une pensée orthodoxe qui rappelle l'identité musulmane et qui prêche l'idéal communautaire, tout en acceptant le fait accompli du pouvoir féodal des dynasties comme un pis-aller de contraignante soumission et de préférence de l'ordre à l'anarchie.
C'est l'école de l'asharisme, que représente dans toute sa gloire de grand rénovateur de l'islam Al-Ghazali, le philosophe déphilosophant, celui qui ne connaît que trop bien la pensée arabe hellénisée, et qui essaie de la déshelleniser. Avec Al-Ghazali ressurgit la spiritualité musulmane qui ne cède plus aux fascinations de la sagesse grecque, et alors l'équilibre social n'est plus inspiré ici par une quelconque rationalité, mais bien par la morale de l'islam qui prêche l'égalité entre les hommes, mais aussi la résignation aux excès du pouvoir pour éviter l'anarchie.
L'asharisme d'après Al-Ghazali ira jusqu'aux excès dans son orthodoxie, surtout quand il se transforme en idéologie d'Etat, et l'on verra les disciples d'Al-Ghazali mener en Occident musulman un combat sans merci contre la philosophie. Abou Bakr Ibn Arabi, le disciple andalou d'Al-Ghazali, dira de son maître "qu'il avait trop bien avalé les philosophes pour pouvoir les vomir", et il prêchera à son tour le légalisme de tous les pouvoirs de fait, pour l'unité de l'islam face au péril d'invasions culturelles dépersonnalisantes.
Le salafiste Ibn Taymiyya, tout en étant excellent historien de la philosophie, ira plus loin dans ses théories, et c'est de l'islam originel, engagé et purifié qu'il rêve en prêchant sa politique entièrement conditionnée par la révélation et l'éthique religieuse.
La synthèse de l'anthropologie d'Ibn Khaldoun
Hellénisants ou déshellénisants, tous ces courants de pensée sociale de l'islam, même quand ils reflètent la vie politique de leur époque, sont loin de réaliser l'analyse de société et les vues de synthèse auxquelles va parvenir le plus grand politique de tous les temps en islam, Ibn Khaldoun.
Formellement, ce grand philosophe de l'histoire reste attaché par idéalisme au communautarisme de l'islam. Il ne répudie pas tout à fait le rationalisme formel de l'aristotélisme, mais il pousse l'observation et l'expérience scientifique au point de constater que les faits sociaux n'obéissent ni aux représentations idéalistes et morales, ni la rationalité de la philosophie. Les sociétés pour Ibn Khaldoun se constituent en classes socioéconomiques et en classes de nations évoluant en lutte perpétuelle, progressant ou régressant, mais suivant l'implacable loi de croissance et de décroissance qui est celle de la nature. Les civilisations se passent le flambeau mais se détruisent les unes les autres tout en s'autodétruisant. Par ailleurs, barbares et civilisés se livrent une guerre sans merci et s'entrecroisent dans leur évolution. Souvent le civilisé se barbarise et le barbare se civilise en un clin d'œil de temps historique, c'est-à-dire en l'espace d'une ou deux générations.
Incapables de dominer leurs édifications socio-économiques, les hommes deviennent eux-mêmes des produits de société et il ne peuvent faire agir ni rationalité, ni morale pour prévenir les lois de l'évolution sociale, qui sont une perpétuelle et cyclique décadence et renaissance, où se rencontrent les luttes et les œuvres de tous les hommes barbares et civilisés, bédouins et citadins, cultivés et incultes.
Les contradictions, les hiérarchies de classe et de nation sont des réalités que nulle conscience intellectuelle ou morale ne peut transcender, d'après Ibn Khaldoun, mais la science en même temps que les luttes et les autodestructions, des stades et des lieux d'harmonie, de conservation des œuvres de culture et de progrès humain.
L'anthropologie khaldounienne, le oumran, est science universelle, et ses lois concernant toutes les sociétés humaines sans exception.
Aussi, face à la vue tragique des luttes entre classes et nations, il y a l'ouverture universelle à une civilisation de plus en plus partagée par l'ensemble de l'Humanité.
Les deux faces réaliste et idéaliste de la pensée sociale sont donc présentes dans la philosophie khaldounienne, et c'est par cette vision synthétique entre la science sociale, la philosophie de l'histoire et l'idéal d'universalité qu'Ibn Khaldoun se classe comme le plus grand penseur politique de l'islam.
Les théories de classes sociales et la recherche d'une harmonie universelle des sociétés constituent donc déjà au Moyen-Âge une préoccupation majeure pour les philosophes musulmans, qui ont cherché comme nous aussi bien la pensée universelle que dans l'éthique musulmane ou les sciences sociales des réponses aux problèmes posés par les conditions sociales de l'Humanité.
A. M.
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