Prêches incendiaires contre Liberté

Le pouvoir instrumentalise des mosquées

Et voilà qui nous ramène à une époque que l’on croyait à jamais révolue. Des imams, visiblement sur injonction de leur tutelle, n’ont pas trouvé mieux que de consacrer le prêche de ce vendredi au quotidien que vous tenez entre les mains. Dans plusieurs mosquées du pays et même dans le prêche retransmis en direct sur l’ENTV, les imams se sont attaqués avec une rare virulence à notre journal. Un discours qui emprunte, par endroits, aux prêches incendiaires contre toutes les forces vives de la nation que l’on entendait au début de la décennie écoulée, de triste mémoire. “Ce sont des athées�, “des plumes et des dessins de mercenaires�, “des plumes qui luttent contre Dieu�, sont entre autres passages relevés dans le prêche retransmis à la télé. Selon plusieurs de nos correspondants, certains imams nous ont accusés “d’alliés des occupants et des croisés�. Lors du prêche de l’imam de la mosquée Émir-Abdelkader de Constantine appartenant à l’université islamique de l’État et qui a été transmis en direct par l’unique, les journalistes ont été qualifiés “d’apostats� et les musulmans instruits de boycotter le journal. À Khenchela, Batna, mais également à El-Biar, les imams n’ont pas hésité à traiter les travailleurs de Liberté de “hérétiques et de collabos avec les ennemis de l’islam�. Pis, certains sont allés jusqu’à appeler au lynchage des journalistes et au boycott du journal. “Acheter Liberté est un acte d’hérésie�, ont-ils décrété. Pour autant, de nombreux lecteurs qui ont joint nos différents bureaux et qui étaient présents aux prêches n’ont pas manqué d’exprimer leur soutien au journal et de raconter ce qu’ils qualifient “d’appel au meurtre du journaliste�. “Le pouvoir utilise les mêmes procédés utilisés dans cette même mosquée par les islamistes au début des années 1990�, a affirmé un lecteur présent au prêche dans la mosquée du quartier Oued El-Had, à Constantine, mosquée, faut-il le rappeler, qui a alimenté l’essentiel des maquis terroristes dans la région. Après les harcèlements judiciaires, les pressions des imprimeries, voilà donc que la religion est convoquée par les tenants du pouvoir dans l’espoir, on n’en doute pas, de taire à jamais les voix discordantes. À la veille d’une échéance capitale comme l’élection présidentielle, et parallèlement au harcèlement qui frappe le directeur du quotidien Le Matin, auteur d’un brûlot Bouteflika, une imposture algérienne, contre le président de la République, nul doute que ce subit intérêt accordé par les imams à la presse participe d’une stratégie minutieusement concoctée par ceux-là mêmes dont les desseins semblent contrariés. Faut-il s’en offusquer ou s’en émouvoir ? Dans une République où un sinistre terroriste est affublé du vocable “Monsieur Hattab�, où un Ouyahia se découvre les vertus d’un réconciliateur après s’être montré comme le chantre de l’éradication, où l’on n’assume pas de projet de société, il va sans dire qu’il faille s’attendre à toutes sortes de “dérives�. Que faut-il attendre d’un pouvoir qui n’hésite pas à s’appuyer sur les zaouïas pour asseoir son règne ? Au-delà du fait que le procédé rappelle à s’y méprendre les années de plomb où les imams s’évertuaient chaque vendredi à chanter les louanges des recettes socialisantes et la révolution agraire, avec les résultats que l’on sait, il charrie un amalgame dangereux entre le politique et le religieux. Un amalgame dont le pays a déjà payé un lourd tribut. Faut-il rappeler aux amnésiques de tous bords qu’au lendemain de l’assassinat du défunt Tahar Djaout, ses présumés assassins, montrés à la télé, avaient avoué que “ses écrits étaient contraires à l’islam� ? À quelques nuances près, s’ils n’appellent pas au meurtre, les imams jettent à la vindicte populaire les journalistes. Mais qu’à cela ne tienne, à Liberté, comme chez tous ceux épris des idéaux démocratiques, le combat pour les libertés continue, pour paraphraser les archs.
K. K.