Le défi. Ils sont nombreux, ces femmes et ces hommes qui ont écrit ou participé directement à la résistance algérienne face à l'extrémisme islamiste. Certes, dans les moments difficiles et ardus le peuple algérien est brave. Tous les peuples sont braves. Et chaque citoyen a exercé son devoir en amour et en fidélité envers ce beau pays qui est l'Algérie. Mais, aujourd'hui dans ce texte, j'évoque les faiseurs d'une autre résistance, résistance sans pair, et qui ont fait leur épreuve dans les années du sang. Je ne veux pas rouvrir la plaie, mais je veux rendre hommage à des oublié(e)s admirables. Ils ont fait la résistance solide, solide par la fragilité poétique, une résistance solide par une transparence parfaite. Je veux rendre hommage à deux catégories de la société algérienne: les fleuristes et les libraires. Certes ils ne sont pas nombreux, mais ils sont forts et audacieux. Les fleuristes d'abord, ils ont mené leur combat sur et par les pétales sensibles et ravissants. Dans une Algérie des années du sang où la beauté était menacée, où la beauté représentait le péché capital, les fleuristes algériens faisaient face aux bourreaux, aux assassins du sourire et d'amour. Dans les années les plus meurtrières d'Algérie, les fleuristes n'ont pas abandonné leurs fleurs, leurs fabuleuses petites boutiques comblées de la lumière d'espoir. Ils étaient là du matin au soir, ne regardant, ne caressant que les fleurs comme fusils et espérant le retour du printemps de la beauté. Les fleuristes n'ont pas trahi les fleurs. Ils n'ont pas cédé, aux ennemis de la beauté et de la fête. Par leurs gestes sensibles, nobles et courageux, en proposant des fleurs, les fleuristes célébraient la vie, l'amour et l'espoir. Par ce geste magique, en exposant, en offrant, en rangeant les fleurs sur les étalages, dans des jours maussades, les fleuristes disaient aux intégristes islamistes : l'amour est ici. Tant que les fleurs sont dans les rues, l'amour ne mourra jamais dans les cœurs des Algériennes et Algériens. Parmi eux, il y a eu des victimes du terrorisme aveugle. Et je rends hommage aux fleuristes algériens. La deuxième catégorie qui incarnait l'âme de la résistance, une autre résistance, contre l'obscurité du wahhabisme, était celle des libraires. Ces femmes et ces hommes, certes représentaient une minorité, ils le sont toujours, mais leur résistance fut vigoureuse, opérante et noble. Par les quelques timides vitrines qui exposaient, qui proposaient des livres: de poésie, des romans, des nouvelles, de philosophie... ces grands humanistes faisaient barrage continu à la nuit qui ensevelissait l'Algérie. Aujourd'hui, beaucoup d'Algériens, en traversant une rue ou une ruelle, passant devant les étalages de fleurs exposés au coin, ne mesurent pas, ou pas assez, le rôle joué, quelques années auparavant, par ces fleuristes ; les gardiens du sourire et les apôtres d'amour. Aujourd'hui, dès que nous nous arrêtons pour quelques instants devant la vitrine d'une librairie, elles sont toujours peu ces espaces de livre, nous ne prêtons pas le recueillement sollicité et souhaité, ou pas suffisamment, à ces lieux qui, dans les jours sombres, ont joué un rôle de première résistance. La résistance du symbole et par le symbole. Et je pense à Vincent Grau assassiné le 21 février 1994, dans sa librairie les Beaux- arts, 28 rue Didouche Mourad, Alger. Oui, les fleurs et les livres font peur aux ennemis de la beauté et de la raison. A. Z. [email protected] Nom Adresse email