Le G8, la Ligue arabe et… nous

Une dizaine — de chefs d’État de la Ligue arabe — étaient ailleurs. Restés sur leurs terres pour éviter de se prononcer sur la question posée par le projet de Grand Moyen-Orient, ils se sont contentés de souffrir un vague engagement rédigé de la plume de bois des vizirs arabes. Une autre dizaine de rois et présidents trouvent dans ce dialogue américano-arabe l’opportunité d’un parrainage qui les dispense d’une méprisable légitimité nationale, tellement méprisable qu’ils préfèrent la décréter plutôt que la solliciter.
L’Égypte s’étant décommandée, ils seront quatre — les souverains de Jordanie, de Bahrein, du Yémen et d’Algérie — à aller écouter, le 10 juin prochain, à Sea Island, la feuille de route américaine de démocratisation du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient. À l’adresse du G8, ils exprimeront, après avoir écouté le mystérieux projet GMO enfin révélé à l’humanité, leur accord anticipé pour une évolution politique des États de la région ; pour nous, ils seront les illustres invités des premières puissances économiques de la Terre qui auront décelé en eux les brillants élèves de la civilisation qui avance, portée là , par le message de Williams Burns et, là -bas, par la laisse de Lynne England.
Il y a quelque chose d’ironique à voir ces “Arabies� contraintes à l’évolution dans le cadre de la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme international, celui-là même que l’Amérique a initié pour combattre l’hégémonie communiste et que les régimes pétroliers ont dû financer pour contribuer à la défense du “monde libre� pendant qu’ils consolidaient leur tyrannie locale. Il y a aussi quelque chose de pathétique à les voir sommés à un engagement démocratique par une Amérique plus que jamais confondue d’atteinte aux droits humains et une Russie dont l’élection présidentielle récente constitue une caricature de procédure de république bananière. Coupables toutes deux de crimes de guerres qualifiés, en Irak et en Tchétchénie, il fallait l’abyssal déficit démocratique des pays du Maghreb et du Moyen-Orient pour que les deux ex-superpuissances trouvent à donner des leçons de droits de l’Homme.
Certes, les Américains vivent en démocratie : au moment où Bush répand ses valeurs avec la brutalité de son hyperpuissance, le festival de Cannes honore un film documentaire de Michael Moore, pamphlet contre le président des États-Unis. Mais la réalité démocratique d’un État, fût-il une superpuissance, ne lui confère point la vocation rédemptrice revendiquée par Bush.
Il s’accommoderait volontiers de roitelets et de dictatures arabes s’il n’avait pas besoin de les tenir suspendus à sa menace en attendant qu’il passe le cap du processus brutal visant à imposer sa solution en Irak et en Palestine. Quand des millions d’Américains visionneront les images “compromettantes� de Fahrenheit 9/11, les Algériens continueront à ingurgiter le discours unique produit par la télévision de leur président.
N’est-ce pas comique d’aller porter sa copie au G8 quand il s’agit de répondre aux revendications endogènes de liberté ? N’est-ce pas ridicule de promettre à l’intention de l’Occident “la consolidation des droits des femmes arabes�, comme si elles ne méritaient par elles-mêmes leur citoyenneté ? Tout se passe comme si puissances et tyrans locaux s’étaient entendus pour nous faire miroiter l’illusion que le G8 pourrait se substituer au combat des peuples. Et nous désarmer sur tous les fronts.
M. H.