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Regard sur le combat politique des juifs d'Algérie
L'historien Pierre-Jean Le Foll-Luciani à "Liberté"
Publié dans Liberté le 06 - 07 - 2015

Pierre-Jean Le Foll-Luciani, agrégé et docteur en histoire, évoque pour "Liberté" son ouvrage, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale, où on croise l'histoire et le destin de combattants juifs algériens engagés dans le combat contre la France coloniale.
Liberté : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, vous venez de faire paraître votre ouvrage, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale, ouvrage, rappelons-le, issu de votre thèse de doctorat. Qu'est-ce qui a motivé votre choix d'un tel sujet avec toutes les lectures qu'il peut entraîner du côté des deux rives de la Méditerranée ?
Pierre-Jean Le Foll-Luciani : Je souhaitais m'intéresser à des hommes et des femmes dont les parcours ne rentrent pas dans les "cases" des grandes catégories sociales et des grands récits historiques. Être français d'Algérie et militant anticolonialiste en Algérie coloniale, cela n'allait pas de soi à l'époque, et cela ne va pas de soi avec notre regard d'aujourd'hui. Mais être juif et lutter pour l'Indépendance de l'Algérie en se revendiquant Algérien, cela peut paraître encore plus exceptionnel, étant donné la complexité des relations judéo-musulmanes au XXe siècle et l'importance croissante de la question palestinienne dans l'évolution de ces relations en Algérie et ailleurs. C'est cette dissidence à l'égard des chemins tracés par l'ordre du monde dominant que je souhaitais étudier. Car, même si ces trajectoires sont très minoritaires, et au-delà de l'intérêt qu'on peut leur porter pour elles-mêmes, elles permettent d'interroger les possibles d'une société et d'éclairer ses structures sous un jour nouveau.
Pour vous et au bout de ce travail de recherche, c'est quoi un juif algérien par rapport au Français d'Algérie et comment peut-on résumer succinctement son rôle dans la lutte anticoloniale qu'on prendra soin de différencier de la guerre de Libération ?
Entre les années 1930 et les années 1960, période que couvre cet ouvrage, les juifs d'Algérie, descendants d'autochtones faits citoyens français par le colonisateur en 1870, constituent un groupe distinct des Européens dans la société coloniale. L'héritage de la structuration communautaire inégalitaire de l'Algérie d'avant 1830 et la force des différenciations raciales et de l'antisémitisme européen à la période coloniale impliquent, en effet, des vécus particuliers pour les juifs, ce qui est particulièrement net pour celles et ceux qui ont connu la période de Vichy, lors de laquelle ils ont été renvoyés au statut d'"indigène" et discriminés légalement. Un des points de départ de cette recherche est de questionner l'impact de ces vécus particuliers dans les trajectoires politiques de juifs d'Algérie. Dès lors, je me suis particulièrement intéressé aux engagements anticolonialistes de juifs qui affirmaient explicitement agir en tant que juifs, en mettant souvent en avant des éléments les liant aux Algériens musulmans : leur autochtonie, leur vécu du racisme et les solidarités judéo-musulmanes de la période de Vichy. Ce discours a notamment été porté par deux groupes durant la guerre d'Indépendance : d'une part, le Comité des Algériens israélites pour la négociation, qui a agi clandestinement durant quelques mois en 1957, animé par une poignée de communistes membres ou sympathisants du FLN résidant à Paris, parmi lesquels Claude Sixou et Claude Ouazana ; d'autre part, le Comité des juifs libéraux, dirigé par Roger Albou et favorable à des négociations avec le FLN et à la perspective de l'Indépendance, qui a réuni dans la légalité plusieurs dizaines d'adhérents de divers horizons politiques à Alger en 1956-1957. Mais plusieurs centaines d'autres juifs algériens se sont engagés durant la guerre, en s'affirmant parfois Algériens mais sans toujours mettre en avant leur qualité de juifs : certains ont rejoint des réseaux armés au sein de l'ALN (Daniel Timsit, Pierre Ghenassia) ou des Combattants de la libération communistes (Marthe Chouraqui, Marylise Benhaïm) ; d'autres ont milité clandestinement dans les réseaux politiques du PCA (Lucien Hanoun, Reine Zaoui) ou du FLN (André Akoun, Francine Serfati) ; d'autres ont déserté l'armée française avant d'être pris en charge par le FLN (Pierre Aïach, Georges Bensaïd) ; d'autres encore ont apporté leur aide aux insurgés en tant qu'avocats (Paul Bouaziz, Simone Benamara) ou médecins (Alice Cherki, Simone Aïach) ; et de nombreux anonymes se sont mis au service de la lutte clandestine, dans l'immigration en France ou dans les villes et les villages d'Algérie.
Votre ouvrage s'est basé essentiellement sur le témoignage vivant de 40 témoins, piochant dans les archives policières et puisant dans des sources privées, mais il reste un travail vu de l'extérieur. En somme, une vision du sujet franco-française. En quoi peut-il intéresser le lectorat algérien ?
Je ne pense pas avoir développé une vision "franco-française" ni "de l'extérieur" dans cet ouvrage. Que l'on soit un chercheur algérien, français ou autres, il est pratiquement inévitable, lorsque l'on travaille sur l'Algérie coloniale, de s'appuyer sur des sources étatiques françaises : les archives les plus nombreuses sont celles des institutions qui administrent le territoire. Mais ces archives — policières, militaires, judiciaires — ne proposent pas seulement un regard "français" : on y trouve bien des documents produits par des Algériens. Dans l'ouvrage, les points de vue des mouvements politiques algériens et de militants "musulmans" sur la question juive et sur les militants juifs sont étudiés à partir de diverses sources, administratives ou non (documents internes ou publics des mouvements politiques, mémoires d'anciens militants, entretiens, etc.). Par ailleurs, les anciens militants juifs que j'ai interrogés se considèrent souvent comme des Algériens, ce qu'ils sont d'ailleurs parfois juridiquement. Je ne doute pas qu'une partie du lectorat algérien pourra trouver un intérêt dans ce travail qui met en valeur des trajectoires et des faits méconnus. Le Camp des oliviers, livre d'entretiens que j'ai publié avec le Constantinois William Sportisse en 2012, a ainsi connu une diffusion aussi importante en Algérie qu'en France, à notre grande satisfaction. J'espère d'ailleurs que la parution de ce second ouvrage suscitera de nouveaux témoignages en Algérie et, peut-être, la mise au jour de nouveaux documents.
Vous abordez la question de l'adhésion de certains juifs algériens au sionisme. Ne pensez-vous pas que cet aspect de l'histoire ait influé sur le regard des Algériens sur eux après l'Indépendance ?
Je ne suis pas qualifié pour évaluer le regard porté par les Algériens sur les juifs depuis l'Indépendance, mais je suis certain que ce regard n'est pas homogène. Il ne l'était pas non plus avant l'Indépendance. Des années 1930 aux années 1960, qui constituent les bornes de mon travail, la question palestinienne était déjà présente en Algérie, particulièrement lors des moments-clés de 1936, 1947-1948, 1956 et 1967. Mais durant cette période, les engagements sionistes de juifs algériens sont restés minoritaires, voire marginaux. Les tensions judéo-musulmanes qui ont pu se produire lors de ces moments ne sont donc pas tant liées aux engagements sionistes de juifs qu'aux retombées de la question palestinienne en général et aux réinterprétations locales de cette question, surdéterminées par la situation coloniale. Ces moments ont pu laisser des traces dans les regards des musulmans sur les juifs et inversement, mais la question palestinienne ne saurait tout expliquer : si l'on s'intéresse par exemple aux émeutes antijuives de 1934 à Constantine ou à la mise à sac de la grande synagogue d'Alger en décembre 1960, la question palestinienne n'y tient a priori aucune place. Il y aurait un sérieux travail de recherche à effectuer pour identifier les strates d'explication qui se mêlent dans l'évolution des relations judéo-musulmanes et des représentations diverses que chaque groupe se fait de l'autre avant, pendant et après la colonisation. Une véritable histoire des relations judéo-musulmanes reste donc encore à écrire pour l'Algérie – à l'image de celle publiée en 1994 par Mohammed Kenbib pour le Maroc –, et elle ne saurait se résumer à une histoire conflictuelle.
Il existe plusieurs historiens qui ont travaillé sur les juifs d'Algérie, en quoi votre approche diffère-t-elle de celle vos confrères ?
L'historiographie des juifs d'Algérie aux XIXe et XXe siècles est actuellement en plein renouvellement, tout comme l'historiographie de l'Algérie contemporaine de manière générale. Cela s'explique par l'exploitation de nouvelles archives et par la mise en œuvre de nouvelles approches par des historiens de nationalités très diverses. En ce qui me concerne, au-delà de la singularité de mon objet de recherche, j'estime m'être démarqué de travaux précédents sur les juifs d'Algérie sur deux points principaux : d'une part, en interrogeant la diversité politique et les conflits internes à ce que l'on nomme la "communauté" juive d'Algérie, qui n'a jamais formé un bloc, contrairement à ce qu'une vision communautaire de l'histoire pourrait laisser penser ; d'autre part, en ne considérant pas la "francisation" des juifs d'Algérie comme un processus linéaire, inéluctable et unanimement souhaité par les juifs. Sur ce dernier point, plusieurs travaux récents, dont ceux de Joshua Schreier sur Oran et de Sarah Stein sur les juifs du M'zab, permettent de saisir la complexité de la politique coloniale menée à l'égard des juifs et des réactions diverses des juifs à cette politique.
Vu de l'Algérie, on se méfie de cet intérêt soutenu pour la question des juifs en Algérie et l'appel à témoin du Centre français de recherche scientifique (CNRS) sur le site du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), pour retrouver les personnes de confession israélite victimes de spoliation de leurs biens durant la colonisation sous le régime de Vichy entre 1941 et 1943, n'est pas fait pour arranger les choses. On y voit l'ouverture d'une porte pour la réclamation de dédommagements pour ce qu'ils considèrent comme étant une spoliation des biens des juifs en Algérie. Comment vous analysez cette situation et quelle lecture faites-vous de la démarche du CNRS conjuguée au Crif ?
J'ai, tout comme vous, pris connaissance de cet appel à témoin et des réactions qu'il a entraînées sur certains sites algériens. J'ai été surpris de ces réactions. Avant tout, et il suffit de lire ce texte pour s'en rendre compte, cet appel n'émane ni du CNRS ni du Crif : il s'agit tout simplement d'un appel lancé à titre personnel par un historien français, Jean Laloum. Cet historien travaille depuis plusieurs années sur la politique d'"aryanisation" des biens juifs en Algérie sous le régime de Vichy, c'est-à-dire sur l'expropriation des entrepreneurs et commerçants juifs du fait des lois antijuives de l'Etat français. Il y a bien eu des spoliations de biens juifs en Algérie entre 1941 et 1943 : de nombreux ouvrages, scientifiques, mémoriels et journalistiques — dont les deux ouvrages que j'ai publiés — se sont intéressés aux conséquences du régime de Vichy en Algérie, et tous ont mentionné cette politique en s'appuyant sur diverses sources. Jean Laloum souhaite tout simplement donner de la chair aux archives officielles de l'"aryanisation" en rencontrant des témoins dont les familles ont subi ces lois antijuives. Pour ce faire, il a lancé un appel à témoin à travers plusieurs associations et médias, dont le site Internet du Crif. Il semblerait que la publication de cet appel sur le site du Crif ait orienté les réactions négatives en Algérie, mais je ne vois pas en quoi cette recherche, qui fait suite à de nombreuses autres, devrait inquiéter les Algériens : c'est bien l'Etat français qui a mené cette spoliation, dont les bénéficiaires ont très majoritairement été des Français d'Algérie. Quoi qu'il en soit, en tant qu'historien, je ne saurais souscrire à une quelconque "méfiance" a priori envers certaines questions historiques.
S. O.


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