Résumé : Tahar raconte à sa mère, subtilement et en détail, la vision qu'il venait d'avoir dans l'après-midi au salon. Elle l'écoute jusqu'à la fin sans broncher. Enfin, voyant qu'elle ne se moquait pas de lui, il lui demande si elle consentait à revoir Saïd sans verser de larmes. Elle relève la tête vers moi et me regarde bien en face. -Tahar, n'importe qui sur cette terre t'aurait pris pour un fou en écoutant ton récit. Mais moi, je sais que parfois les esprits sont tellement tourmentés qu'ils tentent de retrouver leur repos, en contactant leurs proches. Il y a même des légendes qui racontent que lors de certains événements, heureux ou malheureux, les morts reviennent pour assister leur famille. J'ai déjà entendu un tas de légendes funèbres narrées par les anciens. -Alors tu me crois, maman ? -Si je te crois ? Mais bien sûr que je te crois, mon fils. On ne peut pas décrire ces belles choses que tu as vues dans le jardin d'Eden avec de telles précisions, parce que tout simplement, elles n'existent pas sur terre. Je demande à brûle-pourpoint : -Alors, tu consens à revoir Saïd ? Elle soupire. -Je le veux bien, mais je ne te promets pas de ne pas pleurer. Ce serait me demander de fournir un effort qui dépasse mes capacités émotionnelles. -Dans ce cas-là, il disparaîtra. Elle soupire encore. -Tu disais qu'il t'avait donné rendez-vous pour demain dans l'après-midi. -Oui, à la même heure. C'est-à-dire aux environs de 16h. - À cette heure-là, je serai dans la cuisine, tu n'auras qu'à m'appeler. -Non. Tu t'installeras avec moi sur le divan du salon. Je n'aimerais pas que les enfants te suivent. Il est hors de question de les traumatiser. Elle se gratte la tête. -Alors je donnerai le goûter aux enfants pour les occuper, et te rejoindrai au salon. À l'instar de la veille, à la même heure, je m'installe sur le divan, tout en surveillant les aiguilles de la pendule. À l'approche du rendez-vous, ma mère vint me tenir compagnie. Elle semblait triste, émue et heureuse en même temps. Je lui prends la main et la serre dans la mienne. Au même moment, je sentis un courant d'air froid. Ma mère se raidit. La fenêtre s'ouvrit toute grande. Une senteur suave emplit le salon, puis le jardin s'étala devant nos yeux. Ma mère se met à psalmodier des versets coraniques. Une ombre se faufile à travers les feuillages. Le bruit de l'eau parvint à nos oreilles telle une symphonie lointaine. Ma mère serre davantage ma main. Saïd avançait vers nous. Il était à peine à quelques mètres du bord de la fenêtre. Il me sembla encore plus réel que la veille, et plus près de nous. Son visage me sembla serein, et je remarquai les fossettes qui se creusaient sur ses joues. Il souriait. Ma mère se leva d'un bond. Je tentai de la retenir, mais elle échappa à mon étreinte et courut vers cette vision d'un autre monde. -Saïd, Saïd, mon fils, sanglotait-elle Dans un élan, elle tendit la main pour le toucher. Mais aussi rapide que l'éclair, la vision disparut, et ma mère s'accrocha aux rideaux de la fenêtre, avant de se laisser tomber sur le sol. Elle venait de perdre connaissance. Fadhéla, qui venait de rentrer et qui avait sûrement entendu les cris et les sanglots de sa belle-mère, accourut. -Que se passe-t-il ? Khalti a eu un malaise ? Je venais d'allonger ma mère sur le divan et tentais de la réanimer. -Va me chercher un verre d'eau. (À suivre) Y. H.