Les événements sanglants du 5 octobre 1988 qui ont ébranlé le pouvoir n'ont pas épargné la wilaya de Béjaïa. Retour sur ces événements tragiques dans cette wilaya, 30 années après, en recueillant les témoignages du président de l'association des victimes d'octobre 88 de Béjaïa, Aziz Yahoui, lui-même blessé par une balle à la cuisse ainsi que son frère Rabah, et celui de Salem Ouaret, père d'un lycéen blessé aussi. Les événements ont éclaté, témoignent nos interlocuteurs, le 9 octobre 1988 au chef-lieu de wilaya. "Ce sont les lycéens qui avaient commencé à investir les rues de la ville avant que les manifestations ne gagnent les quartiers populaires", racontent MM. Yahoui et Ouaret. Des affrontements violents entre les manifestants et les forces de sécurité ont éclaté avant de se propager dans tous les quartiers et l'intervention de l'armée après. Des balles réelles ont été utilisées contre les manifestants. Bilan : 5 morts, plus d'une vingtaine de blessés et une centaine d'arrestations parmi la population puis relâchés, selon le président de l'AVO 88 de Béjaïa. Les cinq jeunes tués sont Bouadia Athmane tué rue de la liberté, de Timassine Abdelhamid rue Issaad Rabah, de Kheloufi Arezki aux Quatre chemins, de Debba Mahmoud aux alentours de l'ancien hôpital Frantz Fanon et de Ouari Nacer à la cité d'Ihadadden. "Quand les gendarmes sont intervenus contre les lycéens manifestants du Technicum où mon fils est scolarisé, j'ai fermé mon commerce et je suis rentrée à la maison. Je n'ai su que mon fils était blessé qu'après que l'un de ses camarades ait ramené son cartable chez moi", raconte M. Ouaret Salem père de ce lycéen blessé et membre de l'AVO 88 de Béjaïa. "J'ai tenté le miracle pour rejoindre l'hôpital afin de s'enquérir de l'état de mon fils mais impossible. Impossible devant le déluge des balles", se souvient M. Ouaret Salem. Et d'ajouter que "le lendemain, je suis allé à l'hôpital et on m'a appris que mon fils a été touché par une balle au niveau du thorax qui lui a perforé le poumon droit et que son muscle dorsal lui a été sectionné lors de son opération chirurgicale. Toutefois, il a survécu à ses blessures". "J'ai été sidéré qu'ils aient tiré avec des balles réelles contre les manifestants", conclut M. Ouaret. En apprenant la répression féroce qui s'est abattue sur les manifestants de Béjaïa, à Amizour, Akbou et Tazmalt, notamment, des manifestations ont eu lieu pour, selon nos deux témoins, dénoncer cette répression. "À Akbou et Tazmalt, il y a eu deux blessés : Agaoua Mohamed et Aït-Bessa Moussa, molestés par les gendarmes et qui ont perdu l'audition", signale M. Yahoui. À Amizour, des manifestations ont eu lieu aussi, selon ces deux témoins toujours, contre la répression des manifestants de Béjaïa. Des centaines de personnes, précise-t-on, ont investi la rue en scandant "Non à la répression", "Pour les libertés d'expression et de la démocratie" et "Non à la vie chère". Après ces événements sanglants, une association des victimes d'octobre 88 (AVO) de la wilaya de Béjaïa a été créée par les parents des victimes et les blessés, qui se bat pour la reconnaissance du statut des victimes d'octobre 88 et non comme déclaré officiellement "victimes d'accidents de travail". "L'Etat nous a déclaré comme des victimes d'accidents de travail et on perçoit 3000 DA de la CNAS", nous déclare M. Yahoui. "Nous continuerons à nous battre pour nos droits et exiger que la journée du 5 octobre soit décrétée journée nationale de la démocratie", réélire M. Yahoui à la veille de la célébration du 30e anniversaire du 5 octobre 1988. L. OUBIRA