La librairie L'Arbre à dires a abrité une rencontre avec Ammar Bouras et Adlène Meddi, autour de l'ouvrage 1990-1995, Algérie chronique photographique ainsi que sur l'impact des photos dans un "moment historique". "Que reste-t-il de la mémoire visuelle des années 90 ?", "Quel est le rôle d'un photographe dans un moment historique ?", telles ont été les thématiques abordées samedi dernier à la libraire L'Arbre à dires (Alger). À l'occasion de la publication du beau-livre 1990-1995, Algérie chronique photographique (éditions Barzakh) de l'artiste et photographe Ammar Bouras, les organisateurs ont voulu faire de cette rencontre plus qu'une "causerie littéraire" et de débattre ainsi autour de la place de la photographie dans l'actualité brûlante d'une société. Afin de répondre à cette thématique, Ammar Bouras aux côtés de l'écrivain et journaliste Adlène Meddi (qui a réalisé un entretien avec le photographe et un texte dans le livre) sont revenus sur la genèse de cet ouvrage, qui se veut "un livre document incontournable pour la mémoire et l'histoire, qui résonne puissamment avec le contexte actuel". Partageant une amitié de plusieurs années avec le plasticien, l'auteur de 1994 (éditions Barzakh) a raconté que pour son roman "je voulais illustrer la couverture avec l'une des photographies de Ammar sur les années 90. Je tenais à l'une de ses photos, car dans les années 2000, nous vivions cette sortie de ‘guerre'". Et de poursuivre : "J'utilise ce mot car je l'ai vécu comme une guerre intérieure, une guerre civile… Ces clichés incarnaient tous ces questionnements que nous avions autour de cette période, et surtout ce qu'il en restait : de l'espoir ? Des espoirs brisés ? Ou des gars traumatisés ?" Pour Adlène Meddi, plus que des photographies, ces images renvoyaient à un vécu, un ressentiment et toute une époque de l'histoire contemporaine du pays. "Quand j'ai vu les photos de Ammar dans son studio à Alger, j'ai reçu un choc, car il y a une chose qui est ressentie, une chose qui frappe : c'est le dévoilement interne. Ce n'était pas mystique mais de l'ordre du choc", a-t-il expliqué. Et de renchérir : "Dans ces photos, il y avait des sentiments contradictoires, une certaine nostalgie bizarre. Ces images représentaient des évènements du juste avant, avant le basculement de ce monde qui avait totalement disparu." En effet, ce beau-livre de 144 clichés comporte des images qui parlent d'elles-mêmes, qui racontent une société en ébullition, loin des massacres ou des crimes odieux commis par les hordes de terroristes. Ammar Bouras a mis en exergue cette Algérie à travers ses militants, ses citoyens, ses politiques, ses artistes ou ses sportifs. Ces clichés en noir et blanc subliment et marquent l'esprit ; pour certains, ça les replonge dans une époque "lointaine" ; pour d'autres à l'exemple de la nouvelle génération, ça leur permet de découvrir une autre facette de leurs "aînés". Pas moins de 18 000 photos scannées Afin d'immortaliser ces images sur les manifestations ainsi que sur la vie quotidienne, les moyens étaient différents de ceux d'aujourd'hui, entre appareils numériques, smartphone, réseaux sociaux… "De nos jours, il y a cette facilité à prendre des photos, alors qu'avant les photographes captaient un moment dans le sens le plus profond du mot capter, qui signifie ‘emprisonner', car la pellicule était rare et difficile à trouver", a souligné Meddi. Dans le même sillage, Ammar Bouras a indiqué que la pellicule "n'était pas accessible et qu'il fallait bien maîtriser l'appareil". Pour rappel, à l'époque, Bouras était étudiant à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger, passionné par la photographie, travaillait pour des quotidiens comme photojournaliste pour "gagner de l'argent". "En travaillant à Alger Républicain et au Matin, j'ai remarqué que les photographes remettaient les négatifs et les photos. Alors, j'ai négocié avec mes responsables pour garder les miens, parce que j'ai constaté qu'il n'y avait pas un bon archivage", a-t-il informé. Dans l'objectif de "sauvegarder" son travail, il a "décidé de garder et d'archiver chaque film en mentionnant les dates et les lieux, et j'ai stocké toutes les photos prises jusqu'à aujourd'hui". Au sujet de la réalisation de l'ouvrage, le plasticien a souligné avoir "oublié" ces photos, "invité pour la biennale de Sharjah en 2009, j'ai ressorti mes clichés pour une installation, et j'ai retrouvé notamment ceux de l'assassinat de Boudiaf, alors m'est venue l'idée avec Adlène de publier un livre". Sur les critères de sélection, il a "scanné pas moins de 18 000 photos, mais le travail a été effectué avec beaucoup de recul, à travers la démarche et le regard d'un plasticien qui a gagné en maturité". H. M.