Le deuxième marché automobile en Afrique connaît depuis quelques mois déjà ses pires moments à l'issue de plusieurs années de forte croissance. La ruée vers l'assemblage automobile, amorcée depuis 2014 et négociée dans les antichambres des cabinets officiels, s'est transformée en quelques années en un des plus retentissants scandales de corruption de ces vingt dernières années. Les mesures d'incitations mises en place dès 2014 se sont avérées un gisement d'indus avantages dont a bénéficié une poignée d'hommes d'affaires triés sur le volet et dont les critères ne sont autres que le degré de proximité avec le frère du désormais ex-président, le Premier ministre et le ministre de l'Industrie et des Mines de l'époque. Au commencement déjà, alors que les textes se préparaient en catimini dans les cuisines du ministère de l'Industrie et des Mines, pour les uns, l'option de l'assemblage renvoyait au capitalisme de copinage, au tremplin aux affaires et à la prédation. Pour les autres, elle était l'illustration parfaite de l'injustice, de la légèreté avec laquelle étaient gérés les deniers publics et d'un scandale qui allait éclater tôt ou tard. À l'origine, ce qui allait devenir le péché capital a vu le jour dans les bureaux de l'ex-ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, du Rassemblement national démocratique. Désigné ministre le 29 avril 2014, en remplacement d'Amara Benyounès, actuellement en détention provisoire, Abdeslam Bouchouareb a commencé, dès son arrivée, à soumettre les concessionnaires à de nouvelles lois, dont l'exigence de kits de sécurité additionnels sur les voitures importées ; une condition qui a surpris non seulement les concessionnaires, mais aussi nombre de constructeurs. Un ministre sans limites Rapidement, le ministre de l'Industrie et des Mines qui a passé la vitesse supérieure, exigeait que la concession automobile soit soumise à un nouveau cahier des charges. Lequel fut publié au Journal officiel en avril 2015 et devait servir de tamis pour le choix de ceux qui devaient contrôler le marché de l'automobile. C'est ainsi que plusieurs concessionnaires ont été évincés du marché ; lesquels n'ont pas eu droit au renouvellement de leurs autorisations nécessaires à l'importation de véhicules. Durant cette période, le bureau d'Abdeslam Bouchouareb était aussi fréquenté qu'une épicerie de quartier, témoignent certains concessionnaires. Cependant, la clientèle la plus emblématique n'était pas les concessionnaires, mais des hommes d'affaires qui avaient le gousset bien garni. Son cabinet était aussi fréquenté par des diplomates auxquels le ministre n'hésitait pas à présenter de richissimes personnages comme Mahieddine Tahkout dans le but de récupérer des marques automobiles qui étaient représentées en Algérie par d'autres groupes. Cette orientation vers le capitalisme de copinage s'était renforcée au fil des mois, et le ministre, sans aucune limite, avait failli provoquer un incident diplomatique avec les Allemands, lesquels se sont plaints du comportement d'un ministre qui, sans retenue, tentait de négocier l'implantation d'un nouveau représentant en Algérie des marques allemandes. Ses frasques étaient sur toutes les lèvres. L'on raconte que ses écarts de conduite avaient provoqué, par moments, des prises de bec avec son Premier ministre de l'époque, Abdelmalek Sellal, qui l'avait pourtant protégé jusqu'à ce qu'il devienne complètement incontrôlable. Les copains d'abord Parallèlement à cette volonté de soumettre l'activité de concession à un nouveau cadrage juridique, le ministre de l'Industrie et des Mines, appuyé par le gouvernement Sellal, a engagé, de son propre gré, une nouvelle réflexion en faveur du montage automobile. Ce projet a déclenché une tornade chez les concessionnaires, dont certains étaient déjà éliminés de la piste. Un choix très critiqué par les économistes, y voyant une piste glissante et une importation déguisée. Dès février 2016, un semblant de projet, sous forme d'un texte de sept pages, était déjà distribué à quelques concessionnaires, choisis en fonction de leur proximité avec le pouvoir. Ce texte n'a jamais été publié, mais servait de tremplin aux affaires à une poignée de personnes qui, avant même que le décret final soit publié, étaient déjà dans les starting-blocks. Après avoir dépossédé certains concessionnaires de leurs marques, le ministre de l'Industrie et des Mines les a offertes sur un plateau d'argent à quelques hommes d'affaires au profit desquels, une politique de montage automobile était conçue sur mesure. La redistribution des marques a profité ainsi aux Tahkout, Arbaoui, Mazouz… au détriment des groupes Elsecom, Cevital, Diamal, etc. Le nouveau cahier des charges, qui devait régir l'activité du montage automobile, ne sera finalement publié que fin 2017. Entre-temps, cette politique, destinée aux "copains", d'abord, avait permis aux premiers servis de prendre une longueur d'avance, appuyés par les banques publiques et une administration économique mise à leur disposition. La ruée vers le montage automobile avait, en revanche, exclu nombre de concessionnaires qui n'ont pas eu les faveurs de l'ex-ministre de l'Industrie et des Mines. La filière était comme un club restreint accessible uniquement aux "copains" et à la "famille". Ainsi était donc conçue la politique de montage automobile. Au compteur des dégâts, trois années plus tard, 8 milliards de dollars d'importation de kits SKD-CKD, destinés aux industries de montage, 110 000 emplois perdus après le passage à la politique d'assemblage, le Trésor privé de plusieurs milliards de dinars de revenus fiscaux des suites des exonérations fiscales dont bénéficiaient les ateliers de montage, etc. Un énorme gâchis.