Dans cette interview, Souhil Meddah, analyste financier, revient sur la décision d'intégrer des administrateurs indépendants dans les conseils d'administration des banques publiques et les changements que cela pourrait entraîner. Selon lui, cette réforme doit avoir plus d'un objectif et devrait faire passer les banques d'un système inefficient et archaïque vers un modèle libéral et productif. Liberté : Des administrateurs indépendants intégreront les conseils d'administration des banques publiques dès l'année prochaine. Il est attendu que cette mesure contribue à l'amélioration de la gouvernance de ces banques. Qu'est-ce qui fait que la gestion des banques publiques est assez archaïque et qu'est-ce qu'un administrateur indépendant peut-il changer ? Souhil Meddah : Dans ce segment d'affaires, il est utile de revenir sur le fonctionnement fondamental des conseils d'administration pour les banques publiques qui, dans l'état actuel de leur structuration, ne sont pas systématiquement tournées vers l'écosystème pour lequel elles sont destinées. Avant de développer n'importe quelle lecture technique, il faut avant tout savoir que les banques en tant qu'entités économiques ou acteurs financiers ont comme principale mission de fluidifier l'activité économique en s'adaptant à son modèle de croissance. Or nos banques publiques sont beaucoup plus impliquées dans des logiques politico-administratives qui se heurtent souvent à des gaps techniques qui ne trouvent aucune issue valable pour les familiariser par rapport aux besoins, soit de la demande effective (principe de la demande globale) ou même de création des débouchés (principe de l'offre qui engage la demande). La réforme du secteur bancaire doit se scinder sur trois objectifs. Le premier étant d'accompagner le principal moteur de croissance existant ou celui recherché, car la règle fondamentale selon laquelle c'est le crédit qui fait l'épargne et pas l'inverse doit nécessairement obliger un acteur comme la banque, ayant la capacité et l'aptitude de créer des valeurs monétaires contre, à base d'agrégats sûrs, de concrétiser cet instrument de ressource pour le compte des autres secteurs et des autres acteurs. Cette forme d'accumulation des valeurs à l'entrée du processus (en amont) doit pouvoir alimenter des niches de secteurs naissants en productivité et en innovation. Le deuxième objectif est de donner à la sortie du processus (en aval) un autre souffle aux demandeurs ou aux consommateurs pour pouvoir honorer leurs demandes et répondre aux offres du marché réel. Sachant que c'est dans la combinaison entre les deux compartiments que le risque consolidé de l'effet de levier donnera son principal impact entre les gains et les coûts et qui de facto impliquera et déterminera la variation entre les masses monétaires, les coûts effectifs des différentes phases, et le pouvoir d'achat en consommation ou de procuration pour les acteurs intervenants dans les différentes phases. Le troisième objectif que devra servir cette réforme sera axé dans l'adaptation des coûts et des valeurs transigées vis-à-vis des créations et des distributions des valeurs et richesses, étalées sur plusieurs segments de revenu, d'épargne, de fiscalité pour les différents acteurs et aussi de couverture sociale pour les individus. Tout ce cheminement d'objectifs doit nécessairement faire appel à un cadrage d'un écosystème très élargi intégrant l'ensemble des acteurs de l'espace macroéconomique global. La décision s'inscrit dans le cadre de la réforme des organes de gestion, dit-on. Quelles seraient les prérogatives et la marge de manœuvre des administrateurs au sein des conseils d'administration et face à des PDG souvent nommés par l'Etat ? Le fonctionnement actuel classique de l'organe de gestion d'une banque se situe dans ses prérogatives techniques, il a besoin, entre autres, d'un apport externe nouveau, capable de faire une jonction entre cette sphère technique et l'état palpable sur le marché de l'activité réelle. À mon avis, l'apport de l'expertise neutre ne peut pas ou ne doit pas être destiné aux redressements du fonctionnement hiérarchique ou technique, car les banques publiques sont souvent qualifiées de leur dogme organisationnel très rigide et très long. L'utilité d'un passage vers une ouverture managériale doit impérativement s'inscrire dans le cadre d'une flexibilité et d'une adaptabilité du fonctionnement des banques par rapport aux faits et aux effets d'un esprit libéral qui, naturellement, va faire appel à une plus grande attention de la part des banques aux besoins immédiats pour les ressources et les emplois du modèle économique en cours, ou de l'orientation du marché de l'investissement ou celui de la consommation. L'apport nouveau doit impérativement servir le fondement de la fonction sans autant troubler sa forme hiérarchique actuelle. N'y a-t-il pas un risque de chevauchement de prérogatives au sein des conseils d'administration et entre les différents organes de gestion ? La fonction principale d'un conseil d'administration est d'indiquer les grandes lignes et de définir la politique globale dans laquelle l'institution économique doit s'inscrire et s'impliquer. Il est aussi utile de rappeler que la banque est une institution financière qui a un double rôle, d'une part macroéconomique et d'autre part microéconomique. Si cette nouvelle configuration se concrétise dans une perspective d'ouverture et de flexibilité, les conseils d'administration se trouveront dans l'obligation de définir et de redéfinir leurs politiques et leurs méthodes commerciales en tant que banques primaires. Celles-ci prendront le soin de calquer leurs schémas sur la base des orientations de la Banque d'Algérie sur le plan des agrégats financiers, des taux directeurs, des réserves obligatoires et fractionnaires. Cette mesure est-elle suffisante pour libérer l'initiative au sein des banques publiques et mettre fin à la situation d'archaïsme dans laquelle elles se sont embourbées ? L'objectif principal est de relooker l'espace managérial financier primaire, mais aussi de le pousser à exercer ses principales fonctions en tant qu'acteur important de la chaîne économique globale. Assurément, le staff managérial ne sera pas très outillé en prérogatives pour fournir les meilleurs résultats dans les brefs délais, mais il aura également besoin d'autres moyens émanant d'autres acteurs immédiats ou non immédiats. À titre d'exemple, la Banque d'Algérie peut toujours apporter son soutien technico-financier vis-à-vis d'un marché qui a besoin de redémarrer avec de nouvelles cadences, et dans lequel la question des taux d'intérêt doit s'adapter en fonction des capacités des opérateurs à exercer, à dégager et rembourser des valeurs sur un marché donné. Mais également, le modèle économique de croissance doit porter sur des débouchés beaucoup plus élargis, tels que les marchés naissants sur des captations par rapport à de nouvelles demandes de produits ou de services (de nouvelles offres sur le marché réel), ou de nouvelles formes de capitalisation ou de financement (capital transmission, capital-risque couplé au financement classique). Toutes ces formes s'appuieront sur une flexibilité des modes managériaux des banques primaires qui seront chargées d'ouvrir et de fermer le cycle en appuyant les capacités financières des deux côtés et dans les deux sens. L'acte de gestion demeure pénalisé dans les faits, mais la corruption au sein des banques a atteint des proportions alarmantes. Comment expliquez-vous ce contraste ? Le passage vers une nouvelle forme managériale assimilable à une forme libérale doit être complété par des préalables qui sont à la fois d'ordre réglementaire et organisationnel en même temps. Sur le plan de la réglementation juridique, il est nécessaire de contribuer vers une meilleure souplesse de la définition de l'acte de gestion et de la pénalité qui lui incombe, dans le sens où le risque financier doit et devra être valorisé selon son fondement décisionnel dans un contexte d'exploitation ordinaire ou universellement reconnu. À titre d'exemple, certains compartiments, comme celui du marché financier lié aux banques, fonctionnent très lentement et avec une très grande prudence, du fait que les deux logiques juridique et fonctionnelle ne coïncident pas sur quelques aspects, tels que les ventes à perte, ce qui fait que beaucoup de décisions financières qui sont censées être traitées rapidement se consomment souvent en ajournement. Pour la fonction organisationnelle, les banques doivent veiller sur les activités opérationnelles d'audit et de contrôle pour garantir un contrôle interne très efficace et très efficient. L'acte de gestion ne doit pas se limiter à de simples formalités qui ne seront appréciées que sur leur forme juridique ou judiciaire, mais il doit aussi s'ouvrir vers l'obligation d'une performance consolidée dans le temps pour le compte de l'institution d'une part et pour servir le modèle économique national d'autre part.