À peine désigné, le Premier ministre fait déjà face au rejet d'une partie de la rue libanaise qui ne jure que par la réforme du système politique comme seul remède contre la crise chronique que vit le pays du Cèdre. Sous pression internationale, le Premier ministre libanais Moustapha Adib, désigné lundi, a entamé hier des consultations pour former son gouvernement "en un temps record", soit 15 jours seulement pour mettre sur pied une équipe gouvernementale formée de technocrates et d'experts. L'Exécutif aura comme priorité la reconstruction de Beyrouth, dévastée par la double explosion du port, le 4 août dernier, et dont les dégâts s'élèvent à 15 milliards de dollars. Autant dire qu'il s'agit là d'une véritable course contre la montre face à des défis titanesques, alors que l'entente politique sur "un gouvernement de mission", arrachée par le président français Emmanuel Macron aux différents courants et tendances politiques, demeure extrêmement fragile. Le risque de voir les divisions latentes refaire surface n'est pas en effet exclu, pendant que la rue libanaise maintient de son côté la pression, avec comme exigence le départ pur et dur de toute la classe politique dirigeante tenue responsable de tous les maux qui rongent le pays du Cèdre depuis au moins trois décennies. Sur ce plan, si le président français, très actif, en affichant un volontarisme soutenu sur l'avenir du Liban, a pu convaincre les dirigeants du pays, toutes tendances politiques confondues, sur la nécessité de mettre de côté leurs querelles politiques et approuver un "gouvernement de mission", il n'est pas sûr que la rue l'entende de cette oreille et accorde sa confiance à la même classe dirigeante qui a conduit le pays droit à sa faillite. Et pour cause ! Au moment même où Macron, en visite de deux jours au Liban, tenait sa conférence de presse, à Beyrouth, mardi soir, les Libanais battaient déjà le pavé, avec des chants révolutionnaires qui rappellent les manifestations historiques du mouvement populaire du 17 octobre 2019. Ils étaient plusieurs centaines à se rassembler place des Martyrs, pour célébrer à leur façon le centenaire du Grand Liban, sous le signe du changement et de la "colère" et du rejet de toute la classe dirigeante, a écrit hier le média libanais -le-Jour. Les dirigeants libanais, accusés de corruption et d'incompétence, sont désormais taxés de "criminels", en référence à leur responsabilité dans la double explosion dévastatrice du port de Beyrouth qui a fait 190 morts au moins, alors que 300 000 Libanais de la capitale se sont retrouvés à la rue, sans abri. Selon la presse libanaise, la manifestation de mardi – la première depuis l'important rassemblement du 8 août, organisé sous le coup de la colère – a dégénéré en violents affrontements entre les protestataires et les services de l'ordre qui ont fait usage de tirs de bombes lacrymogènes. Ces affrontements se sont poursuivis jusque tard dans la nuit, alors que selon des témoins, cités par l'Orient-le-Jour, la police a fait usage de balles en caoutchouc, signe de la violence des affrontements. Dans ce contexte bouillonnant sur le plan social, alors que le pays est en pleine faillite financière, la mission du nouveau Premier ministre s'annonce ardue et des plus complexes. Moustapha Adib devrait peut-être compter sur son expérience de diplomate pour maintenir les équilibres entre une communauté internationale qui a mis le Liban sous surveillance, une classe politique remuante et imprévisible et une rue impatiente, prête à s'embraser à tout moment. Karim Benamar